Né en 1962 à Aghbalou n Kerdous à Tizi-n-Imnayen (Goulmima), Mustapha Berhouchi est, aujourd’hui, Président de "TADA", confédération des associations amazighes de Tamazgha occidentale. Il est un des farouches militants de la cause amazighe, connu pour son franc parler et son indépendance, dans une région qui continue à résister à la politique du Makhzen mais aussi à l’idéologie arabo musulmane qui tente de soumettre l’ensemble des Imazighen.
Dans cet entretien, nous avons essayé, avec lui, de comprendre davantage les objectifs de "TADA" mais aussi de faire l’état des lieux du combat amazigh dans une région de Tamazgha sous le contrôle de la monarchie marocaine.

Mustapha Berhouchi, dernièrement vous avez été élu président de TADA des associations amazighes de la partie occidentale de Tamazgha, suite à une assemblée générale extraordinaire qui a eu lieu à Tizi n Imnayen (Goulmima). Pouvez-vous nous dire pourquoi avez-vous (re)mis en place cette confédération et quel est son objectif ?
L’objectif de TADA est la coordination entre les associations amazighes indépendantes au Maroc, lesquelles luttent pour le recouvrement des droits culturels et socio-économiques du peuple amazigh. C’est un cadre où les associations mettent en commun leurs expériences et coordonnent leurs positions et leurs actions indépendamment de l’Etat, de ses institutions, de ses relais ainsi que des partis politiques.
Alors, pourquoi ce silence qui a duré quelques années ?
En effet, durant trois ans la confédération TADA a connu une certaine "léthargie", due, entre autre, au dysfonctionnement de son Bureau exécutif. Ce dysfonctionnement étant la conséquence de la volonté de l’Etat marocain, par le biais de ses "Berbères", de démunir Imazighen d’une instance nationale forte et porteuse du projet amazigh.
Par ailleurs, d’autres fédérations et rassemblements d’associations existent. C’est le cas, par exemple, de "TAMUNT N IFFUS", de la "Fédération des associations du Nord". Quelle est la position de TADA au milieu de ces fédérations ? Et qu’est-ce qu’elle propose de particulier ? Ou est-elle une fédération de plus ?
D’abord, Tamunt n Ifus et la Fédération des associations du Nord sont des fédérations régionales alors que TADA est une confédération nationale. D’autre part, ces fédérations régionales, si elles ne s’inscrivent pas dans le cadre d’une vision pan amazighe risquent de servir la politique de "diviser pour régner" tant chère au Makhzen [1].
A ce propos, une réunion a rassemblé 33 associations le 9 décembre 2006 près de Rabat pour parler des discriminations dont fait l’objet tamazight. "TADA" n’était pas de la partie. Pourquoi ?
Ce n’était pas une réunion mais plutôt une journée d’étude. Et si TADA n’y a pas été invitée, c’est sans doute parce qu’elle n’a été "ressuscitée" que quelques jours avant la tenue de cette activité.
Aussi, ces derniers temps on assiste à une profusion de partis politiques amazighs ? Qu’en pensez-vous ?
Au Maroc, chaque fois que les élections approchent, on assiste à une fabrication de partis politiques. Et ces partis dits amazighs qui apparaissent actuellement au Maroc ne font pas exception à la règle. Leur seule particularité c’est l’instrumentalisation sous une nouvelle forme de la question amazighe. Ils commettent l’erreur d’essayer de noyer la cause et le débat amazighs dans un jeu politique antidémocratique, corrompu et médiocre.
Sur le registre des droits de l’Homme, on compte, à travers Tamazgha occidentale, au moins deux organisations qui se disent amazighes : la "Ligue de droits de l’Homme amazigh" et le Réseau "AZETTA". Quelles sont vos relations avec ces organisations ?
Ces deux organisations ont vu le jour durant les trois années de "léthargie" qu’a traversées TADA. A présent que TADA est réactivée, elle est prête à nouer des relations avec toute organisation indépendante qui œuvre pour la défense des droits humains. Mais il faut prendre garde de commettre l’erreur de greffer la lutte amazighe sur le processus de réconciliation entre la monarchie et la gauche panarabiste. Et n’oublions pas que les organisations défensives, aussi importantes soient-elles, ont cette limite de n’être que des groupes de pression qui n’aspirent pas au pouvoir politique. Elles sont, de ce fait, insuffisantes pour mener un peuple opprimé vers son émancipation.
Vu la situation, pour le moins chaotique, du Mouvement amazigh dans la partie occidentale de Tamazgha, que compte faire "TADA" ? Y a t-il une stratégie bien précise adoptée pour "sauver les meubles" ? Avez-vous des propositions concrètes notamment pour (ré)orienter le combat ?
Avant d’aboutir, tout mouvement de libération passe généralement par trois phases : une première, celle du rétablissement de la confiance en soi ; une deuxième, celle de la construction d’un projet théorique qui s’accompagne du développement d’une conscience nationale ; et une troisième, celle de la concrétisation de ce projet. Le Mouvement amazigh au Maroc, qui est un mouvement de libération, en est au début de la deuxième phase (la construction d’un projet théorique). De ce fait et pour orienter le combat amazigh, il faut donc une production intellectuelle, protégée de l’idéologie arabo-musulmane, et des débats qui permettront l’expression de l’intelligence collective amazighe. Ce sont là les conditions nécessaires pour la réalisation de la conscience nationale amazighe.
Près de sept ans après la création de l’IRCAM [2], quel bilan en faites-vous ? Et pouvons-nous considérer que la question amazighe, ne serait-ce que dans ses dimension culturelle et folklorique, a connu une quelconque évolution ?
l’IRCAM est un outil, et comme tout outil il ne fait que ce que ses auteurs font avec. C’est à ces derniers d’en faire le bilan. Pour nous, l’IRCAM est et demeure un moyen par lequel l’idéologie arabo-musulmane essaie de phagocyter l’identité amazighe. Il n’est fait que pour entraver le Mouvement amazigh dans son évolution vers la construction de son projet de société. Mais, nul ne peut arrêter un peuple dans sa marche vers son émancipation.
Le Mouvement amazigh au sein des universités est connu pour son dynamisme. Quelle est sa place au sein de TADA ?
Le Mouvement amazigh estudiantin agit indépendamment du Mouvement amazigh associatif.
De manière générale, en Afrique du Nord, peut-on, sincèrement, attendre quelque chose des Etats qui sont d’essence arabo-musulmans ?
Non, on ne doit rien attendre de ces régimes arabo-musulmans. Ils sont porteurs de projets aux antipodes du projet amazigh. Ils ne peuvent pas être leurs propres fossoyeurs ! Le projet arabo-musulman et le projet amazigh sont antinomiques !
Que faire alors ?
Le peuple amazigh ne peut être protégé que par une forme de souveraineté amazighe. Dans un monde où l’Islam fanatique cherche à se doter d’une force nucléaire et devant une attitude hypocrite de l’Europe, Imazighen n’ont de choix, s’ils veulent continuer à exister en tant que peuple, qu’à se doter d’un Etat.
En Kabylie, mais semble-t-il que c’est le cas partout ailleurs en Afrique du Nord et notamment dans les régions amazighophones, il y a un retour inquiétant de l’islam. Une offensive sans précédant d’islamisation. Qu’en pensez-vous ?
Il ne s’agit pas d’un retour, mais plutôt de la continuation du processus d’islamisation de l’Afrique du Nord, lequel a commencé depuis des siècles !
Un dernier mot pour les lecteurs de Tamazgha.fr
Inna-yas Maâtub : "Skud mazal tarwa l-leh’lal, ur s-nkennu i lqid !" (Matoub a dit : "Tant qu’il y a des enfants de la probité, nous ne nous soumettrons pas !")
Propos reccueillis par
Masin FERKAL.