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La Tunisie renoue avec son penchant dictatorial
Un doctorant français arbitrairement incarcéré en Tunisie depuis le 19 octobre.
jeudi 7 novembre 2024, par
Dix jours après son arrivée en Tunisie pour effectuer des entretiens dans le cadre de sa thèse, Victor Dupont, doctorant rattaché à l’IREMAM (Aix-en-Provence), s’est fait violemment arrêté le 19 octobre. Déféré devant le tribunal militaire du Kef pour "atteinte à la sureté de l’État" le lundi 21 octobre, après une garde à vue de 48 heures, il est depuis incarcéré dans la prison politique de la Mornaguia à Tunis. Une amie du chercheur, franco-tunisienne, est également arrêtée le même jour et elle est, elle aussi, incarcérée.
Victor Dupont est doctorant contractuel à l’IREMAM depuis novembre 2022, rattaché à l’équipe ED 67 Sciences Juridiques et Politiques (Aix-Marseille Université) et il est membre d’un programme scientifique financé par le Conseil européen de la recherche (ERC). Sa thèse est intitulée "Se mobiliser pour le travail en Tunisie (post) révolutionnaire. Une comparaison des rapports au politique de jeunes diplômés universitaires", sous la codirection d’Amin Allal (CERAPS) et d’Éric Gobe (IREMAM).
Cette arrestation scandaleuse montre la gravité de la situation qui sévit en Tunisie et l’état de dégradation des droits et libertés en Tunnisie. Kaïs semble être nostalgique de l’ère Benali.
En effet, en Tunisie aujourd’hui ce sont des dizaines d’opposants (artistes, activistes, avocats, journalistes,..) qui croupissent arbitrairement dans les prisons accusés d’atteinte aux intérêts de l’État, de complot contre l’État, d’intelligence avec l’Étranger (des forces ennemies),... Victor Dupont étant français, que signifierait alors, aux yeux des militaires tunisiens, l’accusation "atteinte à la sûreté de l’État" dont fait l’objet le chercheur ?
Interrogé par l’AFP, Vincent Geisser, directeur de l’Iremam, a tenu à préciser que le projet de recherche de Victor Dupont "n’est pas un sujet politique lié aux dissidents ou opposants, ce n’est pas un sujet sécuritaire, c’est un sujet sociologique classique".
Désemparé, son co-directeur de thèse, Amin Allal, explique sur France Culture (04/11/24) que "son sujet de recherche portait, au moment de son arrestation, sur les jeunes de Jendouba, une région située dans le nord-ouest de la Tunisie", Amin Allal explique que Victor Dupont "s’intéressait à ces personnes qui sont devenues des acteurs des processus sociaux et politiques après la révolution tunisienne de 2011".
Si cette arrestation arbitraire du doctorant français contribuera, sans aucun doute, à ternir l’image de la Tunisie déjà bien "abîmée", elle risque, fort probablement, de compromettre nombre de projets de recherche universitaire qui ont comme terrain la Tunisie.
Par l’incarcération de Victor Dupont c’est la liberté académique qui est attaquée, ce qui a fait réagir le monde universitaire et de la recherche en France. Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer l’arrestation de Victor Dupont ainsi que cette atteinte inadmissible à la liberté académique, tout en exigeant la libération immédiate du chercheur français.
Les membres du laboratoire de recherche LACNAD (Langue et cultures du nord de l’Afrique et diasporas), rattaché à l’Ecole doctorale 265 de l’Inalco à Paris, ont rendu publique une déclaration datée du 4 novembre par laquelle ils expriment leur plus vive préoccupation au sujet de cette incarcération qu’ils dénoncent et appellent les autorités tunisiennes à libérer sans délai Victor Dupont. "L’inadmissible arrestation de Victor Dupont est une atteinte grave à la liberté académique et à la recherche et nous affirmons notre solidarité avec le doctorant et les chercheurs tunisiens dont la liberté académique est également menacée" précisent les chercheurs dans leur déclaration avant de réaffirmer leur attachement aux libertés académiques ainsi que leur engagement à les défendre.
Des jeunes chercheur·e·s de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche ont tenu à exprimer leur solidarité et ont mis en place un collectif "Les jeunes chercheur·e·s pour la libération de Victor Dupont et son amie" qui lance un "Appel pour la libération de Victor Dupont et de son amie". Particulièrement inquiétés sur les conditions futures d’exercice de leur profession, suite à cette arrestation, ces jeunes chercheur·e·s estiment que "la situation de Victor Dupont, emprisonné dans un contexte de forte répression politique, doit urgemment engager une politique de protection de [leurs] libertés académiques au sein et en dehors des campus universitaires". Il tiennent à attirer l’attention sur la vulnérabilité spécifique des jeunes chercheur·e·s "dans un contexte où les libertés académiques sont de plus en plus menacées par des pressions politiques en France comme à l’étranger".
Dans un communiqué commun daté du 4 novembre, l’Association française de sociologie (AFS), l’Association française de science politique (AFSP), l’Association des sociologues enseignant-e-s du supérieur (ASES) et l’Observatoire des atteintes à la liberté académique (OALA) s’élèvent contre cette arrestation arbitraire et demandent à ce qu’elle soit "condamnée sans réserve par les autorités françaises" auxquelles elles demandent, ainsi qu’aux tutelles et institutions concernées (MESRI, MEAE, IRD, CNRS, ERC), "de tout mettre en œuvre pour une libération immédiate de Victor Dupont et d’une de ses amies, arrêtée le même jour". Les quatre organisations dénoncent "cette nouvelle violation caractérisée de la liberté académique, sans laquelle aucune science n’est possible".
La CGT FERC Sup , quant à elle, exprime sa plus vive préoccupation au sujet de cette arrestation qui, selon l’organisation syndicale, "représente une nouvelle atteinte aux libertés académiques dans le monde, alors que Victor Dupont menait ses travaux de recherche sur les rapports au politique des jeunes diplômé·es tunisiens".
Les syndicats SUD Éducation et Sud Recherche, tout en exprimant leur vive inquiétude et leur indignation face à cette arrestations arbitraire, dénoncent, dans une déclaration datée du 7 novembre, une situation inacceptable et déclarent que cette incarcération "dans des conditions qui violent les principes de liberté d’expression et de recherche, constitue un signal alarmant pour la liberté académique en Tunisie, ainsi que pour tou·tes les chercheur·ses et citoyen·nes engagé·es dans des démarches critiques ou militantes". Ils exigent la libération immédiate de Victor Dupont et appellent "la communauté académique et la société civile à se mobiliser pour défendre la liberté de recherche et dénoncer l’instrumentalisation des tribunaux militaires à des fins répressives". Ils précisent par ailleurs que "l’arrestation de Victor Dupont ne concerne pas seulement un étudiant, mais bien la liberté de penser et de s’exprimer librement, des valeurs fondamentales que nous devons collectivement protéger".
La Rédaction de Tamazgha.fr tient à dénoncer cet arbitraire que les autorités tunisiennes font subir à Victor Dupont qui doit retrouver sa liberté : sa place est dans son laboratoire et sur ses terrains de recherche et non pas en prison. Et par la même occasion, nous tenons à dénoncer, de manière générale, la politique autoritaire et répressive du régime tunisien qui s’installe petit à petit dans un système dictatorial renouant avec le régime d’avant 2011. Les Tunisiens méritent d’accéder à une vie meilleure et au respect de leurs libertés et ils ne sont pas condamnés à choisir entre la dictature et l’islamisme.
La Rédaction.
[Mise à jour : 14 novembre 2024]
Déclaration du LACNAD
Communiqué de la CGT FERC Sup
Communiqué des associations AFS, AFSP, ASES et OALA
Communiqué de Sud Education et Sud Recherche