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Adrar n Dren, Rif, Tata, Tafilalet-Dra : le mépris anti-amazigh de la monarchie
jeudi 10 octobre 2024, par
Mais que se passe-t-il au juste dans la tête des (ir)responsables marocains lorsque des régions telles que Adrar n Dren (le Grand Atlas), le Rif, le Souss ou le Tafilalet Dra subissent une inondation où un séisme ? On tourne la tête pour regarder ailleurs en attendant les directives royales. Personne ne bouge. Après avoir péroré quelques éléments de langage dictés par le palais et repris par tous les chiens de garde médiatiques, on passe à autre chose. La suite, rien de concret n’est fait pour secourir les habitants. Les paroles, fussent-elles celles d’un monarque « sacré », ne peuvent pas reconstruire des maisons, des dispensaires, des routes, des écoles et réparer des dégâts autant matériels que psychologiques provoqués par de tels événements imprévus.
On appelle cela le Mépris. Au pays de M6, il est institutionnel. Il est même une politique d’État.
Des intempéries inédites
D’après un décompte publié lundi 9 septembre 2024, le ministère marocain de l’Intérieur a annoncé qu’au moins dix-huit personnes ont trouvé la mort dans de violentes averses orageuses et des crues qui se sont abattues début septembre dans plusieurs régions du pays (Le Monde du 10/09). À Tata, une région située à 740 kilomètres au sud-est de Rabat, le bilan est particulièrement lourd : au moins 10 personnes sont mortes dans les deux villages inondés d’Igmir et d’Aoukerda, bâtis sur les bords de l’Asif n Tamanart.
Des crues similaires ont fait cinq morts à Dra-Tafilalt, tandis que trois autres personnes sont décédées dans la région de Tiznit. Le record de précipitations a été atteint dans celle de Zagora où il est tombé en deux jours entre 200 et 516 millimètres (Media24 du 7/09).
Neuf autres personnes sont portées disparues dans les zones de Tata, d’Imtghren (Errachidia) et de Taroudant.
D’après des médias marocains, ces inondations ont provoqué des interruptions de circulation sur 110 tronçons routiers, affectant des routes nationales, régionales et provinciales (Tel Quel du 23/09).
Les réseaux d’électricité, d’eau potable et de télécommunications ont également été sérieusement touchés. Des images de ponts emportés par les crues, de routes goudronnées éventrées et de villages dévastés ont été publiées sur les réseaux sociaux. Elles témoignent à la fois de la violence des intempéries et de la fragilité des infrastructures routières dans ces régions du « Maroc inutile » où seuls les ponts construits lors de l’occupation française (1912-1956) ont résisté aux torrents. Ce constat prouve l’ampleur de la corruption et le manque de suivi dans la réalisation des projets structurants dans ces régions. « Il s’agit en somme d’une absence quasi totale de l’État », dénonce Aziz Ghali, le président de l’ONG AMDH [1] dans une interview accordée à Orient XXI (17/09).
Ce qui a aggravé la situation dans ces villages enclavés après ces inondations est la faiblesse de l’intervention des autorités. Ce qui s’est passé à la suite de ces inondations nous rappelle la situation désastreuse que nous avons déjà dénoncée après le tremblement de terre du 8 septembre 2023. Les habitants étaient livrés à eux-mêmes. Ce sont eux qui ont conduit les secours. Bien sûr, tout cela se déroule dans le silence total de M6.
« Maroc inutile »
L’oubli est également le sort réservé par les autorités marocaines aux sinistrés du séisme de septembre 2023 qui a fait plus de 3 000 morts dans l’Atlas selon un décompte officiel. Ils vivent toujours dans une immense précarité, la question de la reconstruction des 50 000 habitations dévastées par le séisme suscite plusieurs interrogations. Les promesses du premier ministre et celles du roi ne sont que paroles en l’air. De la poudre aux yeux. D’après Aziz Ghali, « sur les 50 000 maisons détruites selon les chiffres officiels, seul un millier a été reconstruit. Le reste de la population vit encore sous des tentes. L’État avait pourtant collecté 120 milliards de dirhams (12 milliards d’euros) grâce à la solidarité et la générosité des Marocains à l’intérieur du pays et à l’étranger, une somme qui devait être utilisée pour reconstruire et réparer ce que le tremblement avait détruit. »
Ces régions, où l’État n’investit absolument pas, sont toujours gouvernées par la théorie colonialiste du « Maroc utile » et du « Maroc inutile », chère au maréchal Lyautey. L’État marginalise délibérément ces zones alors que celles-ci recèlent des mines d’argent et d’or exploitées dans l’opacité totale par le groupe Managem appartenant à Mohamed VI.
« Zone sinistrées ? »
Malgré les effets dévastateurs du tremblement de terre et des récentes inondations, l’État n’a pas daigné désigner ces régions comme « sinistrées » pour ne pas assumer la responsabilité juridique d’une telle décision. Cette reconnaissance engagerait des dépenses et des indemnisations, ce que Rabat ne veut surtout pas faire. Quand l’État déclare une zone « sinistrée », il doit mobiliser des moyens appropriés pour répondre aux besoins urgents de la population sinistrée et prendre des mesures concrètes. Pour éviter cela, il ne fait rien.
En réalité, l’État fait tout pour que la situation ne change pas. Si les autorités rechignent à intervenir dans ces régions, c’est pour inciter les habitants à partir loin de ces lieux, à rejoindre le prolétariat urbain dans des bidonvilles plus misérables que leurs villages d’origine.
Ce comportement dénote un mépris institutionnel vis-à-vis de tout ce qui est amazigh.
Et le Rif ?
Même constat dans le Rif. Depuis les arrestations massives et la répression policière et judiciaire du mouvement pacifiste rifain de 2017, absolument rien n’a changé dans cette région. Pire, les habitants fuient vers l’intérieur du pays où vers l’Europe pour échapper à la répression politique.
À Biya (Al-Hoceima), l’épicentre de la contestation, un hôpital a été certes construit, mais il est vide. Et les grands projets structurants promus par la propagande officielle à travers ses médias de grand chemin comme le projet « Phares de la Méditerranée » ? Rien n’a été réalisé. Tous les ingrédients d’un nouveau soulèvement sont toujours présents.
Comble de mépris, le 20 août dernier, le monarque marocain a gracié 4800 cultivateurs de cannabis. Le 29 juillet, il avait déjà libéré 2476 prisonniers, dont trois journalistes et un intellectuel.
« La Grâce Royale se démarque par son caractère humain, et a été accueillie avec profonde gratitude par les familles des graciés », a affirmé Hicham Mellati, directeur des Affaires pénales et de grâce au ministère de la Justice (AFP, 29 juillet 2024).
Et les militants rifains ? Ils ont été oubliés comme l’étaient avant eux les habitants sinistrés de l’Atlas et les victimes des récentes inondations.
Aksil Azergui
Liens vers quelques références citées :
– Maroc. « L’ouverture politique demande la liberté d’expression », OrientXXI
[1] Association marocaine des droits de l’Homme