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Le Printemps berbère de 1980 ouvre la voie du combat pour l’Amazighité et de la revendication démocratique.

dimanche 13 avril 2025, par Masin

Le Printemps 1980 est venu "secouer" la situation en Kabylie : il a ouvert la voie de la protestation populaire. Ainsi, pour la première fois, sous le régime arabo-musulman d’Alger, les Kabyles sont sortis massivement dans les rues pour dénoncer le régime et crier haut et fort leur ras-le-bol. Pour la première fois, ils ont dit publiquement et massivement non à l’arabisation et ont affirmé leur amazighité qu’ils sont décidés à défendre.
Si le Printemps 1980 avait ouvert les voies de la protestation en Kabylie, c’est par ailleurs l’ensemble de Tamazgha à qui cette révolte kabyle avait bénéficié. Le vent de la liberté avait donc commencé à souffler et a atteint les quatre coins du pays amazigh.

Pour en arriver là, il a fallu des années de travail, de sensibilisation et de combat sur divers fronts. Il a fallu des actions comme celle de Haroun et ses camarades en Kabylie et dans l’Algérois ; celles de Bessaoud et ses amis à Paris ou celle plus culturaliste et universitaire de Mouloud Mammeri et nombre de jeunes étudiants kabyles notamment à l’Université d’Alger. Même dans le domaine sportif, une équipe de football comme la JSK ou le boxeur international kabyle Loucif Hamani ont cristallisé la jeunesse kabyle et leurs rendez-vous sportifs ont été autant d’occasions pour exprimer l’attachement des milliers supporters kabyles présents dans les tribunes à leur culture et à leur langue, il arrive aussi que les supporters expriment leur rejet du régime algérien comme cela fut le cas en 1977 à l’occasion de la finale de la coupe d’Algérie de football ayant opposé la JSK à une équipe algéroise et qui a vu les supporters de la JSK par milliers ayant perturbé l’hymne national algérien et chantant à la place des chants révolutionnaires amazighs. Ils ont aussi sifflé le président-dictateur algérien de l’époque et scandant "Boumédiène assassin !". Il a fallu également l’action de certains artistes (poètes, chanteurs, ...) qui ont contribué à la prise de conscience : c’est le cas du groupe Imazighen Imoula, des chanteurs Idir, Aït-Menguellat, Matoub et d’autres encore. Tout ce monde avait contribué d’une manière ou d’une autre à faire vivre tamazight et surtout à résister au rouleau compresseur de l’arabo-islamisme ayant programmé l’assimilation des Imazighen et l’éradication de Tamazight et maintenir l’espoir de d’un changement.

Mais le rôle de l’Université de Tizi-Ouzou a été tout de même déterminant dans le déclenchement de la révolte d’avril 1980 qui a coûté cher au régime algérien.
L’inauguration en 1977 de l’université de Tizi-Ouzou avait permis à des étudiants kabyles de se retrouver et surtout de mener une réflexion commune quant à leur existence et celle de leurs identité, culture et langue. La première chose à laquelle les étudiants kabyles de l’époque se sont attaqués c’est "la prise du pouvoir" au sein de l’Université. Ils ont mené un combat pour leur autonomie ; pour l’autonomie de gestion des affaires de l’université qui sont avant tout leurs affaires. Une lutte acharnée s’est engagée entre les étudiants kabyles et l’administration dépendant directement du FLN (Front de libération nationale) et de ses organisations de masse, notamment l’Union national des jeunes algériens (UNJA). Les étudiants voulaient jouir d’une autonomie dans la gestion des affaires, notamment culturelles, de l’Université. Ainsi, par exemple, pour l’animation culturelle, les étudiants voulaient que cette tâche leur revienne et que, de toute façon, la liberté devait primer : les étudiants doivent décider en toute démocratie quant à leurs représentants et sur le contenu et la nature des activités à organiser. Les autorités algériennes étaient embarrassées par cette affaire et elles avaient du mal à contrôler cette volonté des étudiants kabyles décidés à bouleverser l’ordre "établi". À la rentrée de septembre 1979, une grève éclate début du mois d’octobre dans le campus universitaire : les étudiants sont décidés à s’affranchir de l’UNJA et se doter de leur propre Comité autonome, élu démocratiquement par l’ensemble des étudiants. Au terme d’un mois de grève, les étudiants ont réussi à imposer leur propre comité qu’ils ont élu démocratiquement et l’UNJA est devenue organisation non-grata au sein de l’Université de Tizi-Ouzou. C’est ainsi que très vite des activités ayant trait à la question amazighe ont été programmées par les étudiants : la première était la célébration de Yennayer, nouvel an amazigh en janvier 1980.

Janvier 1980 sortait l’ouvrage "Poèmes kabyles anciens" de Mouloud Mammeri en France chez l’éditeur François Maspéro. Les étudiants de Tizi-Ouzou avaient profité de cette parution pour inviter Mouloud Mammeri à l’Université dans le but d’animer une conférence sur la poésie kabyle : c’était dans le cadre des activités culturelles que le Comité autonome était en charge d’organiser. La conférence a été programmée pour le 10 mars 1980.
Tout a été préparé pour accueillir l’écrivain Mouloud Mammeri à l’Université de Tizi-Ouzou, la conférence était attendue par l’ensemble de la communauté universitaire. Le 10 mars matin, Mouloud Mammeri est parti d’Alger, en compagnie de Salem Chaker, linguiste qui enseignait à l’Université d’Alger, pour se rendre à Tizi-Ouzou. La police algérienne a intercepté la voiture qui transportait Mouloud Mammeri à l’entrée de la ville de Tizi-Ouzou et il a été conduit chez le wali (préfet) qui lui a interdit de tenir cette conférence et lui imposer de retourner à Alger.

En réaction, les étudiants de l’université de Tizi-Ouzou se réunissent en assemblée générale le soir même et décident d’une riposte. Une autre assemblée générale se tient le lendemain matin, 11 mars avec l’ensemble de la communauté universitaire et ils décident de manifester dans les rues de Tizi-Ouzou pour protester contre l’interdiction de la conférence et dénoncer la répression culturelle. La manifestation a eu lieu et ce fut une réussite.

C’est la goutte qui a fait déborder le vase. Et la voie est ouverte aux étudiants qui n’avaient pas hésité à déclencher les hostilités. Leur détermination à tenir cette conférence et celle des autorités à mettre une limite à cette "agitation" qui remet leur système en cause a fait que la tension n’a cessé de monter et chaque jour qui passe. C’est un pas vers le clash entre les deux parties.
Comme les différentes demandes des étudiants n’ont pas été satisfaites par les autorités, ils ont décidé l’occupation des locaux universitaires jusqu’à satisfaction de leurs revendications. Et les différentes tentatives des autorités d’arrêter le mouvement de grève et de mettre fin à l’occupation de l’université n’ont pas réussi. Même le président de l’époque, Chadli Bendjedid, est intervenu par un discours dans lequel il affirme avec un racisme explicite : « Nous sommes arabes que nous le voulions ou non. Nous appartenons à la civilisation arabo-islamique et l’Algérien n’a point d’autre identité que celle-ci ». Mais toutes les menaces et les intimidations des autorités n’ont fait que renforcer la détermination des étudiants qui ont été rejoints par des enseignants et d’autres travailleurs à l’université. Et pendant toute cette période, une coordination avec les lycées de la région ainsi que les usines et l’hôpital a été mise en place dans le but d’informer la population de l’évolution de la situation, mais aussi de se préparer pour un éventuel affrontement avec les autorités. Des réunions régulières quasi-quotidiennes se tenaient à l’université.

Les étudiants de Tizi-Ouzou s’organisent pour un long combat, mais au petit matin du 20 avril, vers 4h, les forces militaires et les gendarmes pénètrent dans la cité universitaire armés de fusils, grenades lacrymogènes et matraques. Ils défoncent les portes des chambres et battent les étudiants avec violence. Il y aura plus de 400 blessés et des centaines d’arrestations. Les militaires tiennent des propos anti-kabyles et humilient les étudiants quand ce ne sont pas leurs chiens qui les mordent. Même les étudiants étrangers, qui logeaient à la cité universitaire, furent battus. Par ailleurs, l’hôpital de Tizi-Ouzou est investi ainsi que l’usine de Oued-Aïssi par les forces de sécurité qui arrêtent de très nombreuses personnes.
Le jour même, des manifestations ont eu lieu un peu partout en Kabylie. Dans les jours qui ont suivi, la population kabyle descend des villages et convergent vers Tizi-Ouzou pour affronter les forces militaires et les gendarmes, mais ces derniers empêchent les populations d’accéder à la ville, mais elles finissent par reculer et leurs barrages filtrants ont été cassés par la population nombreuse et déterminée qui a investi la ville de Tizi-Ouzou. Plusieurs manifestations ont eu lieu aussi bien à Tizi-Ouzou qu’à travers l’ensemble des villes de Kabylie pour dénoncer la répression des étudiants, demander la libération des détenus mais également pour dénoncer l’arbitraire du régime et exiger la reconnaissance de la langue et culture amazigh.

L’institution judiciaire est alors mobilisée pour jeter en prison après des parodies de procès de nombreuses personnes, dont beaucoup d’étudiants. De nombreuses condamnations par les tribunaux auront lieu. La presse et la télévision algériennes jettent le discrédit sur la Kabylie à coup de propos régionalistes anti-kabyles.
Mais la Kabylie venait d’ouvrir la voie de la lutte pour l’Amazighité et pour la démocratie. Et l’écho de ce qui s’est passé en Kabylie ce Printemps 1980 a atteint l’ensemble du pays amazigh. Et depuis, la Kabylie, et l’université de Tizi-Ouzou en particulier, est devenue le lieu de convergence de militants Amazighs qui viennent célébrer Tafsut n Imazighen le 20 avril chaque année.... avec tout de même une petite nuance : depuis quelques années la Kabylie a "replongé" dans la répression et la dictature, une situation pire que celle des années 1970. Et Tafsut n Imaziɣen n’est plus célébrée !
Faudrait-il un autre Printemps pour que la Kabylie renoue avec ce qu’il a été quelques décennies durant : une terre de combat et de résistance contre la voyoucratie au pouvoir ? Mieux encore, se débarrasser d’un régime anti-amazigh pour accéder à une libération totale !

Masin Ferkal


Pour comprendre la genèse de cette révolte qui a bouleversé -sans en en finir- l’ordre politique algérien et a donné un bol d’oxygène à l’ensemble des Imazighen et des Kabyles en particulier, il n’est pas inutile de savoir ce qui s’est passé jour pour jour lors de ce Printemps 1980. Et à ce titre, Rachid Chaker nous a laissé l’un des rares écrits traitant de cette période. Étant un des acteurs de cette révolte (il fut enseignant en économie à l’Université de Tizi-Ouzou), il avait tenu un Journal et chaque jour, du mars à juin, il notait l’essentiel des événements qui avaient marqué aussi bien la Kabylie que l’Algérois qui était dans une certaine mesure impliqué dans cette révolte de 1980.
Nous partageons avec vous ce Journal ainsi qu’un dossier "Tafsut n Imaziɣen".

 Chronologie des événements d’avril 1980 en Kabylie
 Dossier "Tafsut n Imaziɣen"