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Question amazighe : l’État marocain épinglé par les experts onusiens
Les préoccupations et les dix recommandations du "Comité pour l’élimination de la discrimination raciale" (CERD) des Nations unies au gouvernement de la monarchie marocain au sujet des Amazighs et de leurs droits fondamentaux.
samedi 9 décembre 2023, par
Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) des Nations unies a examiné le rapport l’État marocain valant dix-neuvième à vingt et unième rapports périodiques (CERD/C/MAR/19-21) à ses 3024e et 3026e séances, les 22 et 23 novembre 2023, à l’occasion de sa 111e session qui s’est tenue au Palais Wilson à Genève du 20 novembre au 8 décembre 2023. Les 5 et 6 décembre 2023, le Comité a adopté les présentes observations finales rendues publiques le 8 décembre 2023.
L’une des questions que le Comité regrette, et ce n’est pas faute de le mentionner à chaque examen du rapport de la monarchie marocaine, c’est "l’absence de données sur la composition ethnique de sa population, basées sur le principe de l’auto-identification" [1]. En effet, l’État marocain – tout comme plusieurs autres États d’ailleurs comme l’État algérien, l’État tunisien et l’État libyen – refuse de fournir des statistiques ethniques prévalant que la société marocaine est "un mélange de nombreuses composantes et aucun Marocain ne dira qu’il appartient à une origine particulière, qu’elle soit amazighe ou autre", assurant ainsi que "le Maroc ne souffre pas de disparités raciales".
Le Comité regrette également le manque d’un plan d’action national de lutte contre le racisme, la discrimination raciale, la xénophobie et l’intolérance. Tout en recommandant à l’État la mise en place de ce plan, le Comité lui recommande "de garantir que les groupes les plus exposés à la discrimination raciale participent activement et pleinement à l’élaboration des plans susmentionnés, à leur suivi et à l’évaluation des progrès réalisés et des résultats obtenus". [2]
Dans ses observations et recommandations note avec préoccupation que "certaines communautés, en particulier les Amazighs, les Sahraouis, les ressortissants et non-ressortissants noirs, notamment les migrants, les demandeurs d’asile et les réfugiés provenant de pays subsahariens, sont confrontées à des situations de discrimination raciale, y compris indirecte, ce qui limite leur pleine jouissance de leurs droits dans des conditions d’égalité et de non-discrimination". [3] Le cas des militants rifains qui croupissent dans les prisons de la monarchie allaouite depuis 2017 en est l’une des preuves. Il est à regretter d’ailleurs que le Comité n’ait pas mentionné le cas de ces militants arbitrairement arrêtés et condamnés par des juges aux ordres. Pourtant Tamazgha, dans son rapport, a tenu à attirer l’attention sur ce cas d’arbitraire visant les militants rifains.
En revanche, le Comité a tenu à signaler "les allégations de cas de répression par la police de manifestations organisées par des activistes et défenseurs de droits de l’homme amazighs, notamment contre la dépossession de leurs terres" [4]. Il évoque également des informations relatives aux "cas de délimitation et de dépossession des terres collectives des Amazighs sans consultation adéquate avec les communautés affectées dans le contexte de projets de développement ou d’extraction de ressources naturelles, qui touchent de manière disproportionnée les femmes amazighes, et notamment les femmes soulaliyates, qui auraient été victimes de déplacement forcés et privées d’indemnisation". [5]
Le Comité recommande alors à l’État marocain de "prendre les mesures nécessaires pour veiller à ce que les Amazighs puissent jouir pleinement de leurs droits dans des conditions d’égalité et sans discrimination." Il formule cinq recommandations précises [6] :
a) Prendre des mesures visant à collecter des données ventilées par sexe et par âge concernant la participation dans la vie politique et publique de membres des groupes ethniques, et d’intensifier les mesures pour accroître leur participation dans ces domaines, en particulier des femmes appartenant à ces groupes, notamment dans les postes de décision ;
b) Redoubler ses efforts visant à lutter contre la pauvreté qui affecte les Amazighs et garantir l’accès des Amazighs à l’emploi, à l’éducation et aux services de santé, sans discrimination ;
c) Protéger les Amazighs contre la dépossession de leurs terres et les déplacements forcés, en particulier les femmes soulaliyates ; restituer les terres confisquées ou convenir d’une compensation adéquate ; assurer aux victimes un accès effectif à la justice ; et mener des consultations effectives et utiles avec les Amazighs avant d’autoriser un quelconque projet de développement ou d’exploitation des ressources naturelles susceptible d’avoir des incidences sur leurs terres ;
d) Mener des enquêtes sur tous les cas d’usage excessif de la force par les représentants de la loi à l’égard des activistes, défenseurs de droits de l’homme et manifestants amazighs et veiller à ce que les responsables soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, fassent l ’ objet de sanctions appropriées, et que les victimes et leur famille obtiennent une réparation adéquate ;
e) Prendre des mesures visant à adopter une législation spécifique sur la promotion et protection des défenseurs des droits de l’homme, y compris ceux qui travaillent dans le domaine de la lutte contre la discrimination raciale et sur les droits des groupes les plus exposés à ce type de discrimination.
Le Comité note la reconnaissance de la langue amazighe comme langue officielle dans la Constitution de la monarchie marocaine, cependant il reste préoccupé par "l’enseignement insuffisant de la langue amazighe dans les écoles ; la place limitée des émissions en langue amazighe dans les médias audiovisuels ; les difficultés rencontrées par les Amazighs pour utiliser leur langue dans le cadre de procédures judiciaires et, dans certains cas, pour enregistrer des prénoms amazighs de ses enfants" et fait savoir également sa préoccupation quant à l’utilisation encore limitée de la langue amazighe dans des documents officiels. (CERD/C/MAR/CO/19-21 - §25) Ainsi, et tout en rappelant ses recommandations lors des différentes sessions, le Comité recommande à l’État marocain "d’intensifier ses efforts visant à mettre en œuvre les dispositions constitutionnelles et la loi organique n° 26-16 relatives au caractère officiel de la langue amazighe" et il formule, là aussi, cinq recommandations particulières en direction de l’Etat marocain [7] :
a) Accroître l’enseignement de l’amazighe dans tous les niveaux éducatifs, y compris au niveau de l’enseignement préscolaire, et d’élargir le nombre d’enseignants dûment formés à l’enseignement de l’amazighe ;
b) Augmenter la présence de la langue et la culture amazighes dans les médias audiovisuels ;
c) Réviser le cadre légal, notamment la loi n° 38-15 sur l’organisation judiciaire, à la lumière de la Constitution et la loi organique n° 26-16 qui font de l’arabe et de l’amazighe des langues officielles de l’État partie, afin que la langue amazighe soit utilisée au même titre que la langue arabe devant les tribunaux, y compris dans les plaidoyers et les jugements ;
d) Veiller à ce que les officiers d’état civil respectent pleinement les dispositions normatives relatives au droit de tout citoyen de choisir le prénom de son enfant et de l’enregistrer, y compris les prénoms amazighs ;
e) Redoubler d’efforts pour garantir l’utilisation effective de l’amazighe dans les documents officiels, tel que prévu dans la loi n° 26-16, et à cet égard, réviser la loi n° 04-20 relative à la Carte Nationale d’Identité Electronique qui n’as pas inclut une référence à l’emploi de la langue ni de l’alphabet amazighes parmi ses dispositions ni à la loi organique susmentionnée.
Il faut dire que l’État marocain ne s’est même pas donné la peine de faire des efforts pour masquer sa politique de mépris envers la langue amazighe puisque les membres de son gouvernent n’ont pas su fabriquer des chiffres à même d’être en cohérence avec ses déclarations qui font état de bienveillance envers les langue et culture amazighes. Les autorités marocaines ont même réussi à annoncer des chiffres qui montrent l’exact contraire de ce qu’elles déclarent. En effet, selon les déclarations de l’État marocain et des chiffres qu’il a rendus public, l’enseignement de la langue amazighe a connu une nette régression en quelques années seulement. Ainsi, selon ces chiffres officiels, le nombre d’établissement d’enseignement primaire qui assurent l’enseignement de la langue amazighe passe de 3500 (en 2011-2012) à 1066 (en 2022-2023) et le nombre d’élèves bénéficiant de l’enseignement de la langue amazighe passe de 600.000 (en 2011-2012) à 330.000 (en 2022-2023). En 20 ans d’enseignement, moins de 6 % d’écoliers seulement bénéficient de l’enseignement de la langue amazighe à considérer que les chiffres de l’État marocain sont fiables, ce qui est loin d’être le cas. Sachant, par ailleurs, que l’enseignement de la langue amazighe n’est toujours pas introduit dans les collèges et les lycées. Cela montre, pour le moins, le manque d’intérêt accordé à cette langue pourtant reconnue comme langue officielle depuis 2011.
Il est à noter qu’un plan du Ministère de l’Éducation nationale avait prévu la généralisation progressive de l’enseignement de la langue amazighe à raison de 20 % à 25 % par année, pour pouvoir couvrir l’ensemble des niveaux du primaire à la rentrée 2008-2009. Il était même prévu, dans ce plan, d’élargir cet enseignement au collège et au lycée à partir de septembre 2005 [8]
La réalité des faits aujourd’hui ne laisse aucun doute quant à la volonté de la monarchie marocaine de saborder l’enseignement de la langue amazighe qu’il ne compte nullement promouvoir, bien au contraire. La monarchie allaouite a jute trouvé le subterfuge qui lui permet de poursuivre son projet d’éradication de l’amazighité tout en neutralisant toutes protestations et/ou revendications pouvant venir des défenseurs de l’Amazighité qu’elle a en partie corrompus ou intégrés. Ces derniers sont même ces acteurs sur les quels la monarchie s’appuie pour mettre en œuvre ses plans machiavéliques.
Il est plus que jamais urgent que la militance indépendante prenne conscience de cette politique destructrice de la monarchie et reprendre les choses en main et ne pas laisser l’avenir de l’Amazighité entre les mains de la monarchie et de ses relais amazighs.
Masin Ferkal.
Travaux de la 3024e session du CERD (première séance de l’examen du rapport de a monarchie marocaine
Travaux de la 3026e session du CERD (deuxième séance de l’examen du rapport de a monarchie marocaine
Annexes :
Observations finales du CERD (2010)
Rapport de Tamazgha
Rapport de l’État marocain (2023)
Liste de thèmes concernant le rapport de l’Etat marocain (document du CERD)
Composition de la délégation du gouvernement de la monarchie marocaine
[1] (CERD/C/MAR/CO/19-21 - § 5)
[2] (CERD/C/MAR/CO/19-21 - § 13 & 14)
[3] (CERD/C/MAR/CO/19-21 - § 21)
[4] (CERD/C/MAR/CO/19-21 - § 23-d)
[5] (CERD/C/MAR/CO/19-21 - § 23-c)
[6] (CERD/C/MAR/CO/19-21 - § 24)
[7] (CERD/C/MAR/CO/19-21 - § 26)
[8] BOUZIT Hassane, "Une politique à l’égard de l’enseignement de la langue amazighe au Maroc contre l’insécurité linguistique ?", Éla. Études de linguistique appliquée, 2014/3 (n° 175), p. 331-342. Consulter l’article en ligne
