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"Tuda ger taksi d tayri" : un hymne à l’amour libre

jeudi 1er mai 2025, par Masin

Le roman “Tuda ger taksi d tayri” ("Tuda entre Héritage et Amour") est écrit en amazighe par l’écrivaine Raḥma Ɛli (Wakrimi), originaire de la ville de Naqoub (sud-est). Ce récit, publié aux éditions Ad Nuru, poignant, s’inscrit dans la tradition du roman social engagé, mettant en lumière les conflits entre les aspirations individuelles et les contraintes des traditions ancestrales.

L’intrigue tourne autour de Touda, une jeune femme de 19 ans appartenant à la tribu Aït Oualal. Lors d’un mariage dans le village, elle rencontre Yidir, un homme de 29 ans issu de la tribu voisine Aït Sliliou. Leur coup de foudre survient alors que résonne le chant de l’Ahidous, élément symbolique de la culture amazighe. Cette scène initiale, empreinte de poésie, marque le début d’un amour interdit par les normes tribales.
En effet, la relation entre Touda et Yidir se heurte à une interdiction communautaire connue localement sous le nom de Taferrgant, une forme d’alliance intertribale qui interdit le mariage entre les membres des tribus concernées. Ce tabou représente une tradition tenace qui lie les individus à des obligations collectives, souvent au détriment de leurs désirs personnels.
Malgré l’opposition du père de Yidir et les tentatives de la famille de Touda de la marier de force à son cousin – chauffeur de transport local – Touda refuse catégoriquement ce destin imposé. Sa résistance lui vaut d’être enfermée et torturée par ses propres frères, symboles du patriarcat rigide et de la violence exercée sur les femmes qui osent se libérer. Ce passage met en lumière la condition féminine dans certains contextes ruraux, où l’honneur familial prévaut sur les droits individuels.
Affaiblie physiquement et moralement, Touda est finalement autorisée à sortir par sa mère. Ce moment devient une opportunité décisive : elle en profite pour retrouver Yidir près de la source (aɣbalu n yizdar n iɣrem), lieu symbolique de vie et de pureté, où ils planifient leur fuite. Aidés par un ami de Yidir basé à Casablanca, les deux jeunes quittent le village à l’aube.
Dans la grande ville, ils retrouvent Khwa Ali, un homme qui, des années plus tôt, avait été marginalisé pour avoir épousé une femme noire – preuve que le rejet de l’altérité dépasse même les frontières tribales. Ce personnage joue un rôle de médiateur social et de guide. Il aide le couple à se marier légalement chez un Adel (notaire), par la récitation de la Fatiha.
Le retour de Khwa Ali au village marque un tournant dans le récit. Il devient porteur d’un message de changement, appelant la communauté à briser les chaînes des traditions rigides et à accepter la liberté de choix. Ce plaidoyer pour l’évolution sociale rencontre d’abord des résistances, mais finit par convaincre les anciens du village.
« Sg tizi nnaɣ, kigan n ifeddamen ur yad da sseflidn s uzref nnaɣ ireẓẓan tayri, maka, suln, awd s assa, winna mi tga tfrgant algamu d ukarif dat tayri-nnsn »
peut être traduite par :
« Depuis ce jour, de nombreux jeunes ont cessé d’écouter ces lois qui restreignent l’amour, mais à ce jour, il y en a encore qui restent piégés par ces règles qui étouffent leurs sentiments. »
Cette phrase conclut le roman sur une note ambivalente, soulignant que si certains progrès sont possibles, le poids des traditions reste encore lourd à porter.
Le roman Tuda : héritage et Amour se lit à la fois comme une dénonciation des violences sociales et comme un hymne à l’amour libre. Il s’inscrit dans une tradition littéraire amazighe contemporaine qui interroge les héritages culturels sans les rejeter, mais en les confrontant à la modernité. À travers le personnage de Touda, l’autrice offre une voix féminine puissante et résistante, tandis que la figure de Khwa Ali illustre le rôle des individus éclairés dans la transformation des mentalités.

Mustapha El Ouiche
Laboratoire de recherche : LALIES, USMBA Fès