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5 juillet...

"Aux grandes dates, la patrie reconnaissante". Oui, mais… !

dimanche 6 juillet 2003, par Masin

par SID-LAKHDAR Boumédiene (*)

Des cérémonies officielles vont encore une fois battre l’appel pour que nous nous inclinions devant le sacré. Inutile de compter sur notre présence car notre 5 juillet n’est pas tout à fait le même. Le notre n’a pas besoin de grandiloquence pour honorer la mémoire de ceux qui ont payé de leur vie pour que nous vivions libres. Notre 5 juillet est sincère et ne spécule pas sur les larmes pour mieux assouvir une sinistre ambition. Notre 5 juillet est rêve plutôt que réalité car rien de ce qui l’a justifié ne s’est finalement réalisé malgré les prêches de ceux qui ont foulé au pied la mémoire et le message d’une génération sacrifiée.

La fête de l’indépendance d’un pays doit correspondre à une communion sans faille des citoyens autour de ce qui est le ciment d’une collectivité, la nation. Sans cela, une date n’est qu’un alignement de chiffres et de mots comme un drapeau ne serait qu’un morceau de tissu imprimé et la république, une abstraction.

La litanie des dates commémoratives se poursuit donc en Algérie dans une sonorité qui finit par les rendre incompréhensibles. 5 Juillet, 1 novembre, 20 août…, une succession de chiffres ésotériques qui défilent le long des inscriptions murales comme ces icônes des autocraties qui veillent à ce que la mémoire ne s’égare de son automatisme et ne laisse place à la lucide réflexion.

"Non, le 5 juillet n’est pas seulement un stade !" finiront par dire les instituteurs à une jeunesse algérienne qui aura ânonné si souvent ces dates qu’elle n’en discernera plus l’origine. Bien entendu, il existera toujours parmi les nouvelles générations des personnes qui penseront spontanément que Confucius était un empereur romain, Nabuchodonosor, un animal préhistorique et Néfertiti, un sorbet exotique. Mais, hormis le niveau d’inculture incompressible auquel n’échappe aucune société, quelle nation peut exiger de la conscience collective l’inscription durable d’une date dont on a vidé le sens.

Pour cette raison aucun démocrate ne saurait s’associer aux cérémonies officielles car leur 5 juillet n’a ni l’odeur de la gloire ni les couleurs de l’honnêteté. Nous n’avons nul besoin d’être abreuvé de dates, de commémorations et de discours qui n’ont aucun sens lorsqu’ils sont le fait de ceux qui nous proposent un autre destin que celui de la liberté, de l’intelligence et de la tolérance.

La nation existera et célèbrera la fête nationale avec ferveur lorsque les femmes auront un statut qui ne se rapproche plus de celui des primates. Lorsque la misère sera combattue par l’éradication de fortunes immenses et illégitimes. Lorsque nos frères berbérophones auront le sentiment de recouvrir la plénitude de leurs droits naturels. Lorsque, enfin, les militaires serviront cette nation avec le devoir et la fierté de l’honorable fonctionnaire. C’est dire combien le chemin est long avant que nous fêtions ensemble ce 5 juillet !

Et pour revenir à notre calendrier national, on peut dire que les oranais ont eu droit à la pire des félonies puisque leur stade a été baptisé "stade du 19 juin". Les plus âgés se souviendront de la cause de ce malheur, un match mémorable "Algérie-Brésil" avec la participation du roi Pelé. A la tribune se trouvaient le grand Khalife et celui qui voulait être grand Khalife à la place du grand Khalife. C’est en souvenir de cet évènement que les oranais n’ont jamais pu jouir d’un match de football sans qu’on leur rappelle l’autre sport national, le coup d’état, survenu quelques heures après le match.

Le ciel nous a préservé du pire en évitant qu’à chaque veille de mauvaise action, le maître n’ait pas eu l’idée saugrenue de marquer son passage dans un lieu en le baptisant de la date du jour. Les algériens auraient été réduits à user d’une sémantique nationale assez surprenante comme "donnons-nous rendez-vous à la place du 11 mai", "nous irons ensuite boire un verre au café du 15 novembre" puis "un film au cinéma du 3 septembre."

Nous l’avons échappé belle !

(*) Enseignant.