Bouteflika nobélisable ?

Certes, nous savons déjà que les nominations ou les honneurs internationaux répondent à une logique qui heurte le démocrate. Kurt Waldheim a bien été Secrétaire général de l’Onu, la Libye fut bien pressentie pour présider la commission des droits de l’Homme et Bokassa intronisé Empereur sous le regard protecteur de dizaines de chefs d’Etat et de souverains.

Quant au prix Nobel, il n’échappe pas non plus aux polémiques, particulièrement en ce qui concerne le prix de la paix. Certaines sont infondées comme celle autour de Yasser Arafat ou de l’allemand Fritz Haber qui se voit attribué le prix en 1918 sous les huées du public pour avoir été l’inventeur des gaz utilisés par les troupes allemandes [1]. La polémique est cosubstancielle au Nobel de la paix, de par sa nature, mais elles ne sont pas toutes à mettre sur le même plan et certaines nobélisations sont tout de même des plus contestables.

Essayons donc, le plus raisonnablement possible, de passer en revue ce qui pourrait légitimer celle de Bouteflika. Comme souvent dans de pareils cas il est plus aisé de formuler la proposition inverse, "y a-t-il des actes ou des comportements qui soient irrémédiablement contradictoires avec le prix Nobel" ?
Est-ce normal qu’un prix Nobel de la paix puisse justifier de sa participation au bien de l’humanité en commençant sa carrière publique par un putsch militaire ? C’est tout de même un début assez étonnant. Mais poursuivons car l’acte était-il, comme il le prétend, un acte révolutionnaire indispensable au bonheur des siens ? Hélas, la plaidoirie aura du mal a convaincre car le bonheur des siens passait-il vraiment par l’établissement d’un parti unique, d’une police militaire des plus redoutables, d’assassinats politiques, de tortures les plus immondes et de détournements publics les plus insolents ? C’est bien là un fait reconnu par tous et même par l’intéressé lui-même puisqu’il a resurgit dans la vie publique en dénonçant ce qui n’avait que trop duré.

Puis, est-ce normal qu’un nobélisable puisse avoir assumé publiquement l’emprisonnement d’un homme pendant dix-huit ans, dans le secret et sans aucun jugement. Le pauvre Nobel s’en retournerai dans sa tombe !
Est-ce normal enfin qu’un prétendant au prestigieux prix Nobel de la paix ait étouffé dans la brutalité la légitime culture de ceux qui sont pourtant les siens et qui n’ont ni à demander la permission ni à s’excuser d’être ce qu’ils sont, des berbérophones. Les personnes du comité de soutien se sont-elles posé la question si le titre de Nobel de la paix sied bien à celui qui enterre une partie de son peuple dans l’humiliation et la sourde indignation ?

Prix de la paix pour avoir réconcilié les Algériens ? C’est d’abord vite dit mais surtout l’argument nécessite d’analyser l’origine et les responsables de cette terreur. A défaut d’enquête sérieuse et indépendante, nous avons, par chance, encore la liberté de nos esprits pour nous interroger. Je suis de ceux qui sont outrés que l’on amnestie à tour de bras sans essayer de comprendre [2]. C’est effectivement plus facile d’enterrer l’affaire par cette vaste mascarade de réconciliation nationale. Si Bouteflika était Mandela, cela se saurait.

Bouteflika nobélisable, finalement pourquoi pas. Son propre peuple l’a bien porté au sommet de la popularité, peut-on contester le peuple ? J’aurai tendance à dire oui si la méthode de questionnement n’était pas si douteuse et surtout le système éducatif et légal si pervers. Mais ce sont là des propos inutiles, tant répétés et peu entendus par ceux qui hurlent leur enthousiasme béât lorsque le César apparaît à leurs yeux. Que peut-on y faire ?

Remercions Dieu que l’hystérie aveugle n’ait pas entraîné cette ferveur jusqu’à proposer le prix Nobel de médecine, des sciences ou de la littérature. Mais au point où nous en sommes dans l’incongruité de la demande, cela fait-il une différence ?



SID-LAKHDAR Boumédiene
Enseignant