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Et la plus grande bibliothèque du monde ?

lundi 19 novembre 2007, par Masin

La concomitance de deux articles dans les colonnes d’El Watan m’a interpellé. Un réquisitoire contre la politique à fabriquer les illettrés, par Leïla Benammar Benmansour (6 novembre 2007) tout à fait juste et auquel rien n’est à rajouter. Puis ce questionnement de Ali El Hadj Tahar (4 novembre 2007) à propos d’un monument religieux dédié à la gloire vaniteuse et aux fastes indécents. Et si cette surenchère dans la médiocrité pouvait servir, dans sa démesure, à construire la plus grande bibliothèque du monde ?

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Leila Benammar Benmansour expose avec pertinence l’outrageant sort réservé à la lecture des jeunes. Une opération de démolition qui a aboutit au désastre que l’on connaît et pour les raisons essentielles qu’elle a exposées. Oui, la destruction de la lecture est un thème politique car la racine du mal est politique. Mais voila qu’une polémique portant sur la plus grande mosquée du monde est venue conforter notre idée commune qu’effectivement l’Algérie prend un chemin radicalement inverse à celui des lumières.

Qu’on soit rassuré, personne ne viendra porter atteinte au sacré et à la foi légitime des algériens. Ce dont il s’agit est justement de s’étonner que cette foi soit si bafouée dans ses bases par ceux-là même qui prétendent la protéger avec zèle.

J’ai cru comprendre que la foi musulmane n’est pas compatible avec la vanité, l’arrogance et l’indécence de l’image, de la représentation et du superflu. Or, voila que les nations et les régimes politiques rivalisent dans des constructions séculaires comme le faisaient de vulgaires entrepreneurs milliardaires du début du siècle dernier qui se battaient pour la hauteur de leurs gratte-ciels. C’est le retour de la parabole de la tour de Babel dans toute la force de son enseignement. Chacun veut épater, briller et laisser sa trace dans ce bas monde par le plus haut, le plus cher et le plus impressionnant. Ali El Hadj Tahar reprend avec minutie un historique assez risible et pathétique dans cette course à "c’est moi le plus grand !".

Dois-je rappeler à mes compatriotes qu’il s’agit là d’une vanité hautement méprisable au regard du message de l’Islam qui est la religion de la spiritualité, de la modestie et du rapport direct avec Dieu. N’avons-nous pas tous appris qu’elle fut à peine révélée que le premier acte fut de combattre l’idolâtrie ? Et voila qu’on discute sur la carapace, sur l’édifice et sur le gigantisme.

Les convictions de l’auteur du présent propos n’ont pas lieu à être relevées ni à mettre en questionnement, elles restent du domaine de l’intime et de la liberté. Il n’empêche que la liberté du culte et de la foi imposent aux démocrates de ne jamais trouver à redire sur le désir légitime des croyants de disposer de mosquées dignes de ce nom.

En revanche, il ne peut accepter que l’on dilapide l’argent chèrement payé du sacrifice de tous pour la vanité d’un régime politique. La construction d’une grande mosquée n’est pas contestable en soi, c’est d’en retenir et d’en proposer un superlatif susceptible de briller de toute son arrogance qui l’est, sans aucun doute.

Puisque l’argent coule à flot pour le lustre et le prestige, puisqu’il faut marquer les esprits, parader auprès des autres régimes politiques, tous aussi contestables les uns que les autres, alors pourquoi pas la plus grande bibliothèque du monde ?

Personne n’y ferait objection et pour une fois, aucune dépense ne serait dispendieuse et contestable. Au moins le faste et l’absurde vanité des hommes serviraient-ils à quelque chose de positif. Que Leila Benammar Benmansour et Ali El Hadj Tahar m’excusent pour la faiblesse de l’argument. L’intelligence et les livres n’ont effectivement rien à avoir avec la petitesse des hommes. Bien au contraire, ils en sont un antidote. La folie dispendieuse n’ira hélas pas jusque là, ils ne sont pas tout à fait fous, on peut paradoxalement le regretter pour une fois.

Non, ils ne lisent pas, nos jeunes algériens et c’est bien là le drame. Je répondrai à Leila Benammar Benmansour que ce qui est encore plus inquiétant est qu’ils ne lisent qu’un seul livre.

Et rien de plus dangereux que ceux qui ne lisent qu’un seul livre !

SID-LAKHDAR Boumédiene
Enseignant

Messages

  • Des milliards pour une misérable mosquée, alors que le peuple meurt de faim. Des minarts hauts comme des grattes ciels pour nous niquer et des livres jaunes pour nos enfants kamikazes potentiels !

    quel malheur !

  • Rassurez-vous M. Lakhdar Boumédiene, il n’y a dans votre réflexion (ou votre mise au point) aucune faiblesse de l’argument. Au contraire, à vous lire, il est agréable de constater que si d’autres voix aussi intelligentes et courageuses que la vôtre, pouvaient s’élever, on se dirait que tout n’est pas perdu. Il nous reste l’espoir, mais l’espoir ne nourrit pas son homme (ni par la nourriture livresque, ni par le pain). C’est pour cela que si "la plus Grande bibliothèque du monde", ce serait bien, aux Algériens, il faut d’abord un toit décent, du travail, la sécurité de la santé (entre autres, car la liste est longue)) et ce qui est fondamental aujourd’hui, des solutions urgentes à une jeunesse en perdition. En cela, vous et moi, nous nous sommes bien compris. Mais je vais extrapoler sur un sujet qui me tient à coeur, celui des harragas qui ne méritent pas de passer en justice, et encore moins une condamnation. D’une part parce que les voyages forgent la jeunesse, et d’autre part parce que ces jeunes, laissés sur le palier, essayent de trouver une solution à leurs problèmes. Bonne ou mauvaise là n’est pas la question.Si le ministère de l’éducation, et celui de la culture ont longtemps perdu de vue que le livre est non seulement un outil du savoir, mais aussi une ouverture sur le monde, et si l’école a failli à sa mission, autant dire que les gouvernants successifs algériens ont perdu de vue que cette jeunesse c’est l’espoir du pays. "A quoi servirait l’instruction sans son corolaire, la liberté !"(Ferhat Abbas in "Le jeune Algérien"(P144)

    Cordialement
    Leïla Benammar Benmansour

    • Bonjour,

      Je suis extrêmement touché (et agréablement surpris) de votre réponse. Bien entendu que nous nous sommes compris, la grande bibliothèque n’est qu’un clin d’oeil, une image qui interfère avec leur incommensurable bêtise.
      Votre analyse sur la lecture des jeunes (ou plutot la non lecture) est tout à fait exacte, c’est un grand gachis et on ne saurait les rendre coupables d’un sort qui n’est pas de leur fait. Comme ces jeunes qui veulent s’enfuir d’ailleurs.
      Lorsque les premiers islamistes ont commencé à sévir cruellement, j’ai été l’un des premiers dans la presse a m’indigner qu’ils se soient retrouvés à égorger dans les montagnes alors que leur place était sur les bancs de l’université. Je ne les excuse pas, j’essaie de comprendre, comme vous-même.
      J’ai envoyé à El Watan cette réponse à votre article, vont-ils la publier ? Ils faut dire qu’ils le font 9 fois sur dix pour mes envois. Attendons de voir.
      Mes sincères amitiés et bon courage dans ce monde de bêtise et d’inculture dans lequel baigne l’Algérie.
      Sincères amitiés

    • Bonjour,

      Finalement l’article est publié dans le Quotidien d’Oran dans son édition du 7 janvier.
      Cordialement