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Nous avons plus que jamais besoin des poètes !

Entretien avec Amina Amharech

mardi 24 décembre 2019, par Masin

Amina Amharech est poétesse. Elle a publié deux recueils de poésie. Son dernier livre s’intitule "Le chant de la guerrière". Nous l’avons rencontrée à l’occasion de la sortie de ce livre.



Entretien.

Tamazgha.fr : Le poète a-t-il encore un rôle à jouer dans notre société ?

Amina Amharech : Le poète aura toujours un rôle à jouer dans notre société, car il a cette faculté de tourner les mots pour dire les choses que beaucoup n’arrivent pas à exprimer mais qu’ils ressentent de manière consciente ou inconsciente. Un poète n’a pas uniquement le sens des mots, mais aussi et surtout cette sensibilité qui va au-delà des choses pour les dépeindre de manière à toucher autant les esprits que les consciences. Aujourd’hui, plus que jamais nous avons besoin des poètes, des "rêveurs" et des "lucides" pour réapprendre à espérer, à ouvrir les yeux et ne pas perdre de vue ce qui se passe dans notre société.

Quelle est la situation actuelle de la poésie traditionnelle (Tamedyazt) au Moyen-Atlas ? Celle-ci a perdu (presque dans l’anonymat) de grands noms ces dernières années (Bouazza n Musa par exemple).

La situation de Tamedyazt au Moyen-Atlas et de ses poètes résume la double problématique de la place de l’oralité face à l’écrit et aux réseaux sociaux. Entre les deux, Tamdyazt perd ses repères, pire : la traçabilité de sa source. Avant, les poèmes étaient essentiellement appris et transmis et, malgré tout, on arrivait à savoir qui en était le poète car chacun avait sa propre empreinte. Avec le temps, l’oralité a considérablement reculé et beaucoup de poèmes, surtout ceux d’inchaden qui étaient de véritables épopées, se sont perdus. Aujourd’hui, le problème se situe ailleurs : la divulgation incontrôlée, le piratage et le non-respect de la propriété intellectuelle et des droits d’auteurs ont "séparé" Izli de son auteur (Bab-nnes / Bu Izli). C’est ainsi que beaucoup de grands poètes de l’Atlas sont morts dans l’anonymat alors que leurs poèmes sont devenus "éternels".

A ton avis, que faudra-t-il faire pour que les poètes puissent reprendre la place qui leur "convient" dans la société ?

Difficile de dire comment le poète pourra retrouver sa place dans la société. La poésie n’a jamais été un métier mais c’est d’abord un art et une philosophie. Beaucoup de poètes avaient des métiers parallèlement à leur "génie créatif". En étant autonome, le poète restait libre et indépendant et donc crédible auprès de ses auditeurs car tous se retrouvaient en lui. Difficile aujourd’hui de trouver un poète vivant de son art, et quand il y en a un, il est difficile pour lui d’en vivre toujours sans droits d’auteur ou couverture sociale.
Pour reprendre la place qui lui "convient" aujourd’hui, dans la société, le poète doit parfois être un kamikaze surtout lorsqu’il s’attaque aux problèmes qui fâchent : discrimination, inégalité, appauvrissement, enclavements, spoliation et détresse des Amazighs. Une responsabilité à assumer jusqu’au bout dans un contexte compliqué où on risque la prison pour un commentaire sur les réseaux sociaux. Je vous laisse imaginer ce que peut valoir un poème ou une Tamedyazt en termes d’incrimination. Ceci étant dit, on est ce qu’on est, et on doit l’assumer.

Propos recueillis par
Aksil Azergui

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