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Monarchie marocaine : l’échec programmé de l’enseignement de la langue amazighe
jeudi 18 janvier 2024, par
En 2003, la langue amazighe a intégré le système éducatif de l’État marocain. Vingt ans plus tard, cet enseignement n’a pas été au-delà de l’enseignement primaire alors que le ministère avait promis sa généralisation à tous les niveaux. Ce même ministère a tout fait pour bloquer l’enseignement de cette langue, pourtant officielle depuis 2011. Pendant ce temps, le Mouvement amazigh, liquéfié par la monarchie, paraît impuissant devant cette situation.
Mais que dit au juste la loi organique ?
L’article 4 du Dahir du 12 septembre 2019, « portant promulgation de la loi organique n°26-16 fixant le processus de mise en œuvre du caractère officiel de l’amazighe, ainsi que les modalités de son intégration dans l’enseignement et dans les domaines prioritaires de la vie publique », précise ce qui suit :
"L’autorité gouvernementale chargée de l’éducation, de la formation et de l’enseignement supérieur, en coordination avec le Conseil national des langues et de la culture marocaine et le Conseil supérieur de l’éducation, de la formation et de la recherche scientifique, œuvre à la prise des mesures nécessaires pour permettre l’intégration de la langue amazighe de manière progressive dans le système de l’éducation et de la formation dans les secteurs public et privé.
A cet effet, la langue amazighe est enseignée de manière progressive dans tous les niveaux de l’enseignement préscolaire, primaire, secondaire collégial, secondaire qualifiant et de formation professionnelle.
Elle doit être généralisée, de la même manière, aux niveaux de l’enseignement secondaire collégial et qualifiant".
Promesses
Lors d’une conférence de presse organisée le 1er juin 2023, le ministre marocain de l’Éducation nationale a déclaré "qu’actuellement, 1.066 établissements scolaires primaires enseignent l’amazighe, au profit de 330.000 élèves. Notre objectif est d’atteindre, d’ici 2030, 12.000 établissements capables d’enseigner l’amazighe, soit 4 millions d’élèves. Nous avons tracé une trajectoire pour atteindre ces chiffres et nous espérons atteindre nos objectifs d’ici 2026".
Le ministère de l’Éducation nationale a annoncé la généralisation progressive de l’enseignement de la langue amazighe au cycle primaire au titre de la rentrée scolaire 2023/2024, à l’horizon d’une généralisation globale lors de la rentrée 2029/2030.
"En vue de mettre en œuvre ce chantier national, le ministère entreprend bon nombre d’actions et de mesures organisationnelles, administratives, pédagogiques, de formation et d’appui aux niveaux central, régional, provincial et local, et ce dans l’objectif d’atteindre un taux de couverture de 50% des établissements scolaires offrant un enseignement en Amazighe au cours de la rentrée scolaire 2025-2026", précise le site Maroc.ma [1].
Depuis le début de l’intégration de cette langue dans l’école marocaine en 2003, Seuls 330.000 élèves apprennent la langue amazighe dans 1.066 établissements du primaire. Le nombre des enseignants formés pour enseigner cette langue ne dépasse pas 1.600 enseignants. Le ministère fait souvent appel aux enseignants d’autres matières (les "bilingues", pour reprendre la terminologie utilisée) pour enseigner la langue amazighe, alors qu’ils ne disposent d’aucune formation pour mener à bien cette mission.
Le ministère promet de former 400 enseignants de cette langue chaque année, ce qui est très insuffisant, alors que pour la généraliser, il faudra former 15.000 enseignants au total d’ici 2030.
Dans le secteur privé, seul 2 % des établissements scolaires enseignent cette langue depuis 2003. Aucune évolution n’a été constatée à ce niveau.
Les forçats de "la généralisation"
Au lieu d’appliquer les dispositions de la loi organique et de recruter davantage d’enseignants, le ministère n’hésite pas à exercer des pressions sur les enseignants de la langue amazighe déjà en poste. D’après des communiqués rendus publics début septembre 2023, plusieurs coordinations régionales des enseignants de la langue amazighe affirment que le ministère a imposé à chaque professeur de dispenser 3 heures de cours hebdomadaires de langue amazighe à 9 classes différentes. Ces classes sont situées dans différentes écoles. L’enseignant doit se déplacer d’une école à l’autre pour effectuer cet enseignement.
Certains enseignants se sont vus interdire d’enseigner cette langue par leurs hiérarchies pour des raisons idéologiques. C’est le cas à l’école Abdellah Guennoun à Fès, ce qui a été dénoncé dans un communiqué, daté du 26 septembre 2023, par la Coordination de la région Fès-Meknès. Cette dernière a dénoncé l’anarchie qui règne dans l’enseignement de cette langue, précisant que le volume horaire hebdomadaire de l’enseignant de la langue amazighe est de 24 heures alors que les académies régionales imposent aux enseignants d’enseigner 30 heures.
La Coordination explique que les enseignants de la langue amazighe ne disposent pas de classes propres pour exercer leur professions, ils changent de classes et d’écoles chaque semaine et ne disposent pas de manuels scolaires, comme le confirme la Coordination d’Errachidia dans un communiqué daté du 24 septembre 2023.
Pour sa part la Coordination régionale des enseignants de la langue amazighe d’Inzegan-Aït Melloul affirme dans un communiqué daté du 23 septembre 2023 que les enseignants de la langue amazighe sont exclus des formations continues et que le ministère recrute des enseignants d’autres matières pour enseigner la langue amazighe. Ainsi, le ministère fait appel à des enseignants déjà en poste et qui enseignent d’autres matières pour gonfler ses chiffres d’enseignants de la langue amazighe. Une telle politique aura, sans doute, des conséquences négatives sur la qualité de cet enseignement.
Le chantier de l’enseignement est déterminant pour la survie de la langue amazighe agressée de toute part et menacée de disparition malgré son officialisation. Il est urgent que le Mouvement amazigh se mobilise sérieusement et exerce des pressions sur les autorités marocaines afin que celles-ci respectent leurs engagements en la matière.
Généraliser l’enseignement de la langue amazighe recommandé par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD)
Suite à l’examen, les 22 et 23 novembre 2023 à Genève, du rapport présenté par l’État marocain et s’appuyant sur des informations fournies dans des rapports alternatifs présentés par des ONG amazighes dont Tamazgha, le CERD a recommandé dans ses observations à l’État marocain "d’intensifier ses efforts visant à mettre en œuvre les dispositions constitutionnelles et la loi organique n° 26-16 relatives au caractère officiel de la langue amazighe", et lui recommande en particulier d’accroître l’enseignement de la langue amazighe "dans tous les niveaux éducatifs, y compris au niveau de l’enseignement préscolaire, et d’élargir le nombre d’enseignants dûment formés à l’enseignement de l’amazighe".
Pour rappel, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale est composé d’experts indépendants chargés de surveiller l’application par les États parties de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale.
Aksil Azergui
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