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Kabylie
DU DIAL... AU DEAL
Ou comment brader la révolte kabyle
mardi 9 août 2005, par
Depuis le soulèvement d’avril 2001, le gouvernement algérien alterne les vagues de répression avec les appels au "dialogue". Est-ce là les soubresauts d’un repenti qui tente de racheter son crime ? Ou, tout simplement, la dernière stratégie du système pour abattre la Kabylie une bonne fois pour toutes ?
Dialoguera, dialoguera pas ?
C’est Benflis qui leur fait la première offre en septembre 2001. S’improvisant réconciliateur, celui-ci n’apparaît pas moins calculateur. Car, en ne recevant pas l’appui des âarchs dans sa démarche, le chef du gouvernement algérien ordonnera le montage de toutes pièces d’une tendance encline au dialogue au sein du mouvement kabyle.
Au terme de manœuvres qui fleurent bon le noyautage et l’infiltration à tout va, les âarchs se voient greffer une branche consentante au dialogue. Cette ramification officielle du mouvement kabyle s’engage dans des négociations qui se terminent par une ratification présidentielle.
Dans son discours à la "nation" en date du 12 mars 2002, Bouteflika affirme "la prise en charge" des "revendications fondamentales" de la plate-forme d’El Kseur et s’engage à ce que le statut de "langue nationale" soit reconnu au berbère à la suite d’un amendement constitutionnel à venir.
Cette façon de céder dans la forme sans rien apporter dans le fond, n’affecte guère le porte-parole des délégués ayant conduit les négociations, Arab Aïssa, qui déclare à la presse que "ce discours à caractère essentiellement politique peut-être qualifié d’historique" puisque, s’explique-t-il, "ce n’est qu’à partir de cette date du 12 mars 2002, qui devrait dorénavant être célébrée, que notre existence a commencé". Malgré ces gesticulations, l’État algérien reste tel qu’il était avec les fondements arabes et islamiques qui sont les siens. Aussi, la question kabyle demeure pendante.
Entre mars 2002 et 2003, le mouvement kabyle, plus préoccupé à empêcher la tenue des élections législatives du 30 mai 2003 et les élections locales prévues pour le 10 octobre 2003, a systématiquement rejeté toute offre de dialogue. En effet, les âarchs, jouant la carte de l’obstruction systématique, ne pouvaient pas soutenir devant leur base kabyle l’argument du dialogue.
Or, suite à "l’ultime" offre de Bouteflika du 20 juillet 2003, les âarchs non-dialoguistes, réputés "radicaux", réunis le 15 août 2003 en assemblée plénière à Iwaqquren (Bouira), parviennent, sous l’impulsion de Bélaïd Abrika, à un accord de principe sur l’opportunité de négocier avec le gouvernement. Ce consensus affiche, néanmoins, une série de points auxquels les âarchs n’entendent pas déroger et qui conditionnaient la tenue effective des négociations autour de la plate-forme d’El Kseur contenant les revendications des âarchs.
Il s’agit, en tout et pour tout, de la libération des derniers détenus du mouvement kabyle et l’annulation de toutes les poursuites judiciaires contre eux, la révocation des maires élus en octobre 2002, une amnistie fiscale pour 2001/2003, la réintégration des travailleurs licenciés pour leur engagement dans le mouvement citoyen et la reparution des quotidiens algériens alors suspendus.
Sans que ces préalables n’aient été honorés par l’État, une délégation des âarchs, conduite par Bélaïd Abrika, prend néanmoins le chemin du palais du gouvernement le 6 janvier 2004. Le fruit des premières négociations, qui s’est traduit par la signature de deux protocoles d’accords, est bien maigre. En substance, l’État s’est engagé à appliquer cinq points de la plate-forme d’El-Kseur portant sur la libération des détenus, la levée des poursuites judiciaires, la prise en charge du contentieux avec la Sonelgaz [1], la réintégration des personnes licenciées et la révocation des élus de mai et d’octobre 2002.
Le gouvernement ne faisant preuve d’aucune souplesse s’agissant de l’officialisation de la langue berbère, les âarchs ne pouvaient réagir qu’en suspendant le cours des négociations au risque de perdre toute crédibilité aux yeux de leur base kabyle. Au final, force est de constater que les âarchs n’ont rien négocié de mieux que ce qui conditionnait, initialement, leur participation au dialogue ! Nulle négociation de fond n’a eu lieu.
Le 4 janvier 2005, soit une année après les premières négociations, le premier ministre algérien Ahmed Ouyahia, lance une invitation au mouvement kabyle pour renouer le dialogue. Cette offre tant inattendue que bien accueillie par les leaders des âarchs a fait mouche. Alors que l’on pensait qu’aucune négociation ne serait possible sans le préalable de l’officialisation de tamazight, l’assemblée des âarchs ("l’inter-wilayas" [2]), réunie en plénière le 8 janvier 2005 à Tizi-Ouzou, réserve une suite favorable à l’offre d’Ouyahia.
Pure et simple, l’acceptation des âarchs ne pose cette fois-ci aucun préalable. Ce faisant, les âarchs, dont on ne sait s’ils représentent véritablement la Kabylie, semblent en tout cas l’engager sans un processus dont elle ne connaît ni les tenants ni les aboutissants.
Dialoguer dans le flou ?
Tout d’abord, on s’étonne devant la célérité dans laquelle a été décidée la reprise du dialogue. Et bien que l’option ait été levée à l’issue d’un vote de l’assemblée plénière de l’inter-wilaya, l’architecture organique des âarchs, peu lisible en vérité, ne rend la tâche que plus difficile qu’elle ne l’est, pour savoir le degré d’implication de la base dans la prise de décision. Un débat en Kabylie sur les termes et les contours du dialogue aurait été certainement opportun.
Ensuite, on s’étonne que la plate-forme d’El Kseur, document élaboré durant le soulèvement kabyle de 2001 considéré comme l’unique fondement textuel des négociations, n’ait pas fait l’objet d’une actualisation nourrie de tout le recul qu’impose, aujourd’hui, l’évolution de la question kabyle.
Dans un ordre d’idées voisin, la fonction de mandataires de la Kabylie dont les délégués de l’inter-wilayas se prétendent légitimement investis, trouverait davantage de cohérence si toutes les tendances significatives du mouvement kabyle étaient représentées par les âarchs. En conséquence, ces derniers auraient dû, par exemple, soulever la question de l’autonomie de la Kabylie, si tant est, néanmoins, que les autonomistes soient favorables au dialogue.
Enfin, le climat dans lequel interviennent les négociations nous interroge sur la question de savoir si la signature par la Kabylie d’un chèque en blanc à l’ordre des âarchs est synonyme d’une confiance entière ou, à l’inverse, rend compte d’une indifférence totale. Au fond, la Kabylie est-elle intéressée par ces négociations et si oui, quels intérêts peut-elle en tirer sur le long terme ?
Si la réponse à cette question ne va pas de soi, il est évident que les parties au dialogue, âarchs et État, ont un intérêt incontestable à vouloir négocier.
Le bénéfice du dialogue
Heureuse coïncidence. L’offre de dialogue, faite à un moment stratégique pour le gouvernement, arrive également à point nommé pour les âarchs. Après les vagues successives de répression et de pacification qu’a essuyé la Kabylie, les âarchs ont connu une perte de vitesse et d’audience certaine. Probablement la sanction de leur gestion insatisfaisante de la question kabyle.
Dès lors, les négociations avec le gouvernement permettent aux âarchs de se projeter au devant de la scène et d’occuper l’espace politique kabyle. Comptant (re)devenir l’acteur politique majeur en Kabylie, les âarchs ont alors beaucoup à escompter de leur position de négociateur avec les pouvoirs publics. Ainsi, en qualité de contradicteurs autorisés de et par l’État, ils entreprennent une véritable démarche d’institutionnalisation et d’enracinement. Reste à savoir s’il ne leur sera pas tenu rigueur de ce rapprochement avec le pouvoir étatique.
Côté gouvernement, l’offre de dialogue correspond à une stratégie identifiable qui s’articule autour de deux objectifs distincts. Si le premier est circonstancié, le second s’inscrit, lui, dans la durée.
En premier lieu, solder la question kabyle. En effet, le premier ministre algérien a apporté des précisions édifiantes en déclarant aux âarchs sa "volonté partagée d’aboutir d’abord à clôturer un chapitre douloureux pour toute l’Algérie pour aller vers des jours meilleurs". Il est rejoint, en cela, par Bélaïd Abrika qui affirme, à la presse, sa "volonté de dialoguer pour mettre fin à une crise qui a duré de longues années". Affichant la même longueur d’onde, les deux parties semblent sous-entendre que les négociations qu’elles entreprennent seront la matière d’un règlement entier de la crise endémique que la Kabylie traverse, faut-il le rappeler, depuis 1963. En somme, les négociations d’aujourd’hui viendraient mettre un point final à la question kabyle et ce dans l’indifférence et la confidentialité les plus totales.
En second lieu, absoudre l’État. En effet, peu avant de remettre le dialogue sur le tapis, Bouteflika avait annoncé un projet de réforme "d’amnistie générale" pour que l’État trouve une nouvelle virginité politique. Or, l’organisation de cette paix unilatérale s’accommoderait mal de l’abcès kabyle. Dans cette optique, les négociations avec les âarchs constitueraient l’apport idéal du pouvoir en contrepartie de l’acceptation de l’amnistie par les Kabyles.
Au final, la synthèse reste autant difficile à faire qu’il n’est pas aisé d’identifier les intérêts de la Kabylie dans la perspective de telles négociations. Même si, dans le fond, la question politique kabyle ne pourra, un jour, se résoudre autrement que par des accords dignes de ce nom. Pour l’heure, si les hypothèses qu’on a envisagées sont validées, c’est anticiper les réactions politiques de la Kabylie que de lui proposer de tels deals. Et, en la matière, elle ne manquera pas de s’exprimer. La rue lui appartient.
Yuba
A propos du Mouvement kabyle depuis 2001 :
– Quelques rapports sur les évènements du Printemps Noir
– Déclarations de la CICB
– Déclarations de l’Interwilaya
– Kabylie 2001-2003 : textes et documents
Cela fait au moins un an qu’une version de cet article devait être publiée sur Tamazgha.fr, mais nous avons longtemps hésité. En effet, nous avons, aussi bien au sein de l’association que de la Rédaction, évité de prendre position par rapport à la gestion du Mouvement kabyle depuis avril 2001 par ses dirigeants. Les divisions graves survenues au sein de ce Mouvement à partir de 2003 l’ont sérieusement entamé et ont mis au grand jour certaines tristes réalités. Nous assistons aujourd’hui au "chaos" de la Kabylie avec la reprise en main des affaires par le pouvoir algérien grâce notamment à la nouvelle génération de supplétifs locaux mis à contribution par Alger. Vu la gravité de la situation, il est difficile de rester indifférent ou de se priver d’expression sur des questions qui nous concernent toutes et tous quel que soit le point du globe où l’on se trouve.
[1] Société nationale qui fournit l’électricité
[2] Il ‘agit d’une assemblée qui rassemble les représentants de l’ensemble des régions de Kabylie


Messages
1. > DU DIAL... AU DEAL, 9 août 2005, 15:37
votre intervention est très marquée politiquement, elle loin de ne pas répondre à des impératifs partisans.
Si vous pouvez faire mieux que les archs, allez y........
Abrika pratique la real politic , ni plus ni moins , ce n’est pas un utopiste
qui chante la zorna aux cobras.
salutations
2. > DU DIAL... AU DEAL, 9 août 2005, 18:40, par Hsen
Yuba,
Merci pour cet excellent article qui donne une tres bonne perspective sur les aarchs et la kabylie apres 2001.
C’est devenu maintenant historique. Tous les mouvement de la societe Kabyle finissent avec une perte de vitesse dans le leadership (dysfonctionnements et parfois trahison/manipulations). Le peuple Kabyle finit par perdre interet dans son propre avenir et surtout confiance dans son leadership. Mais ce ne sera que partie remise. Et la rue parlera encore une fois. Plus clairement, j suis sur. Je ne sais pas ou cela nous conduirait, mais on retiendra les noms des traitres sans les punir. Et tout contrat signe avec l’etat est nul est non avenu. Mais personne ne leverait la main sur ceux qui nous ont abattu. Et c’est la l’erreur fondamentale. On se bat, on souffre, puis on se fatigue et on abandonne, et cela reprend de plus belle une dizaine d’annees plus tard.
Un jour il nous faudra non seulement une autonomie Kabyle, mais aussi une justice Kabyle. On ne pourra pas etre libre sans une justice qui distinguera bien entre droits/interets de l’individu et ceux de la societe Kabyle.
Il fut un temps ou ceux qui nuisent a la societe sont tout simplement mis au banc de celle-ci. Il y a vait des hommes simples a cette epoque, des hommes qui tenaient parole et avaient le sens du devoir. Des hommes justes.
3. > DU DIAL... AU DEAL, 9 août 2005, 23:16
azul
nous sommes des idiots.
ont se fait avoir a chaque fois.
ar tufat
4. > DU DIAL... AU DEAL, 10 août 2005, 12:51, par bader
yuba ton analyse est juste et parfaite.
5. WEB, 14 août 2005, 23:47, par Menouar Yanes
http://ouadhias15450.skyblog.com/
Voir en ligne : WEB