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La nécessaire union des Imazighen

Entretien avec Ali Harcherras

mardi 14 août 2018, par Masin

Ali Harcherras fait partie des premiers militants amazighs qui ont eu à subir l’injustice de la monarchie marocaine sous le règne de Hassan II. En effet, en 1994, Ali Harcherras, avec six autres militants de Tizi-n-Imnayen (Goulmima) et Imteghren », tous enseignants, ont été arrêtés par la police marocaine pour avoir osé brandir une banderole en tifinagh réclamant l’enseignement de Tamazight lors du défilé du 1er Mai. Cet acte a été considéré par les autorités comme une atteinte aux valeurs de l’État ainsi qu’à l’ordre public. Leur arrestation a suscité une grande mobilisation locale mais aussi en France et en Kabylie. Et c’est grâce à cette mobilisation pan-amazighe que les autorités de la monarchie marocaine ont reculé et ont fini par les libérer.
Les sept militants arrêtés étaient tous militants de l’association Tilelli dont le président était, à l’époque, Ali Harcherras. Tilelli a eu à jouer un rôle important au sein du mouvement amazigh pendant au moins deux décennies.
Ali Harcherras a bien voulu répondre à nos questions au sujet de l’affaire Yezza et de la solidarité amazighe à laquelle veut s’attaquer l’État algérien. Réponses que nous vous livrons dans l’entretien ci-après.


Imteghren, le 1er mai 1994 - A. Harcherras à gauche. (photo de Lhou Naji)



Tamazgha.fr : Le 14 juillet 2018, Salim Yezza, un militant amazigh des Aurès est arrêté à l’aéroport de Biskra, dans les Aurès, alors qu’il s’apprêtait à prendre l’avion à destination de Paris. Il s’était rendu dans les Aurès pour assister aux obsèques de son père décédé le 9 juillet. Un procureur algérien à Taghredayt aurait émis un mandat d’arrêt à son encontre l’accusant d’"appel à attroupement et à la haine". Une mobilisation s’est mise en place à Paris, où il réside, et dans les Aurès, son pays natal. Le 7 août, le tribunal de Tagherdayt le condamne à un an de prison avec sursis. Le jour-même il quitte la prison de Tagherdayt.
Que pensez-vous de cette arrestation et comment expliqueriez-vous la méthode mise en œuvre par les autorités de l’État algérien ?

Ali Harcherras : Tous ceux qui connaissent Salim Yezza savent très bien qu’il n’est pas quelqu’un qui appellerait "à la haine". C’est un militant amazigh connu pour son humanisme. En réalité, Salim a été arrêté et poursuivi parce que lui, amazigh des Aurès, "a pensé et, surtout, a osé soutenir" Imazighen du Mzab lors des événements qu’a connus la région il y a quelques années. Un Amazigh d’une région qui soutient les Amazighs d’une autre région, c’est l’exemple-type de berbère que ne supportent pas les États qui nous gouvernent. Mais malheureusement pour eux, les YEZZA se multiplient de jour en jour. Et ils ne peuvent pas tous les arrêter…

Lors de sa comparution le 24 juillet au tribunal correctionnel de Taghredayt, le procureur algérien avait requis deux ans de prison ferme contre lui pour "incitation à la violence". Il lui aurait reproché des propos tenus au sujet des évènements qu’a vus le Mzab entre 2013 et 2015 où les Mozabites ont eu à subir un véritable terrorisme couvert par les autorités algériennes dont des membres de la police et gendarmerie auraient même pris part.
Quel commentaire faites-vous de ces accusations et la peine requise ?

 La peine requise par le procureur vise à intimider Salim Yezza et tous les autres Yezza, et ce pour affaiblir la solidarité pan-amazighe. Mais c’est le contraire qui s’est produit : des Imazighen de toutes les régions de Tamazgha et de la Diaspora ont apporté, d’une façon ou d’une autre, leur soutien à Salim…

Que pensez-vous de la décision du tribunal de Taghredayt, rendue le 7 août ?

 Je vois dans cette décision un certain recul et en même temps un entêtement des autorités algériennes. Elles ont reculé parce qu’elles ont constaté la vague de solidarité qu’a suscitée l’arrestation de Yezza. Et un entêtement parce que l’acquitter serait, pour elles, une "défaite".

Peut-on dire qu’à travers cette arrestation l’État algérien compte s’attaquer à la solidarité entre Amazighs et veiller à maintenir les frontières qu’il a établies entre les différentes composantes amazighes ?

 C’est sûr et certain que le but de l’arrestation et de la poursuite en justice de Salim Yezza ne vise qu’à affaiblir la solidarité pan-amazighe. Elle leur fait tellement peur…

Comment interprétez-vous cette attitude de l’État algérien qui multiplie ses pratiques de répression et d’humiliation qui visent des militants amazighs et des symboles de l’Amazighité ?

 Ma réponse va être un peu particulière : les États, les régimes qui nous gouvernent sont dans leur rôle. Vu leur nature, ils ne peuvent pas faire autrement, sous peine de disparaitre. C’est aux Imazighen, aux militants amazighs, aux associations amazighes, aux intellectuels amazighs, aux artistes amazighs d’être dans leur rôle et d’assumer leur responsabilité historique…

Mais l’État algérien n’est pas le seul, en Afrique du nord, à pratiquer une politique répressive à l’égard des Amazighs. La monarchie marocaine aussi a brillé à travers son histoire par sa politique anti-amazighe. D’ailleurs en ce moment, des centaines de militants rifains croupissent dans les prisons marocaines. Pourriez-vous nous dire une peu plus sur cette affaire ?

 La nature de ces États n’a pas changé. Mais, heureusement, le Monde, lui, a changé. Sinon, le sort des acteurs du Mouvement Rifain (le Hirak) ne serait pas les arrestations et la prison, mais "quelque chose" de pire…
Permettez-moi de saisir cette occasion pour réitérer ma solidarité avec les acteurs du mouvement Hirak, notamment Nasser Zefzafi, Nabil Ahemjik et leurs codétenus…

Dans certains milieux l’on se réjouit des pseudo-reconnaissances aussi bien de la monarchie marocaine que de l’État algérien en faveur de Tamazight notamment l’officialisation de la langue amazighe. Peut-on dire que la question amazighe est résolue ?

 La question amazighe est loin d’être résolue parce qu’elle n’est pas encore VRAIMENT posée. On fait semblant de l’avoir résolue justement pour essayer d’empêcher qu’elle soit posée. Mais, tôt ou tard, le jour viendra où elle finira par être posée en termes clairs…
Quant à ceux qui "se réjouissent" des soi-disant "acquis", ils le font parce que, pour certains, ils se trompent tout simplement, et, pour d’autres, parce qu’ils sont payés pour tromper ceux qui sont susceptibles d’être trompés…

L’État algérien et la monarchie marocaine, pour ne citer que ces deux, ont toujours œuvré pour établir des frontières entre les Amazighs : il y a même tendance à inventer l’amazigh algérien et l’amazigh marocain. Certains mouvements régionaux aussi tombent dans ce piège et se replient sur leurs régions respectives. Qu’en pensez-vous de ces attitudes et comment voyez-vous les choses  ?

 C’est connu : entre le Maroc et l’Algérie (en tant que pays et en tant que peuple), il n’y a pas de différences. Tout les unit : la Géographie, l’Histoire, le Peuple, la Culture… Alors, et parce qu’il n’y a pas de différences sur lesquelles ils peuvent s’appuyer pour se justifier, les deux États inventent des différences fictives ! Et leur dernière invention, c’est bien celle-là : tamazight d’Algérie et tamazight du Maroc ! Ceux qui prétendent qu’il y a une tamazight du Maroc et une tamazight d’Algérie n’ont qu’à définir et à décrire l’une et l’autre ! Cela n’existe aucunement dans la réalité. Ce qui est réel, et dont ces États ne veulent pas, c’est qu’il y a tamazight et au Maroc et en Algérie et ailleurs qu’au Maroc et qu’en Algérie !…
Concernant Imazighen de telle ou telle région qui croient qu’ils peuvent s’émanciper seuls, sans l’apport et le soutien des autres régions de Tamazgha et de la Diaspora amazighe, ils se trompent totalement. L’union des Imazighen dans leur lutte pour leur émancipation n’est pas un luxe, mais une nécessité…

Propos recueillis par
Masin Ferkal.
Taknara/Tizi-n-Imnayen, le 13 août 2018.




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Au sujet des évènements des Tizi-n-Imnayen (Goulmima) de 1994 :
 Que reste-t-il de Tilelli vingt ans après le procès de 1994 ?
 Dossier "Tilelli : mai 1994 - mai 2014"