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Le Désert de Hawad / Tiniri n Hawad

vendredi 15 décembre 2023, par Masin

"Pénètre dans le vide / dépasse les airs / transperce l’envolée de l’azur /
En dessous au dessus / de la mer de fer / tu voleras sans ailes / sur la crête de l’essence / qui crache les flammes".
Pour renaître "du giron des cendres", pour résister à l’éradication des mondes sans voix "qui ne comptent pas", Hawad s’appuie sur la liberté incompressible de l’imaginaire et dégaine sa poésie furigraphique et son verbe tellurique.
Ci-après le premier chapitre de son ouvrage "Irradiés", paru en 2015.




Broyage démolition crépuscule
le désert pue
Jour de plomb et de sueur
haleine des tueurs
sur le sang des tués
Le cadavre respire encore
et regarde les pantins
de la soumission pacification
tout à leur jeu d’anéantissement


Flèches des souvenirs
rappel des orientations
zones de la mort
Ils vous ont parqués
toi tes sœurs tes frères ta mère
cinq chèvres une chamelle
et la chienne
et votre gamelle trouée
pour que vous puissiez contempler
le miroir de votre soleil étranglé


Le crépuscule est ligoté lui aussi
comme votre père
qui déjà ne compte plus,
enchaîné harnaché
sur la planche à torture
villa gouvernorat
du successeur du commandant
de la colonisation d’hier


Soleil et crépuscule s’étranglent
sanglés comme les pères enchaînés
qui ne comptent pas


Et soudain, malheur aux yeux
et aux oreilles de l’innocent
La terreur revient
Qararararararat !
Procession d’images et de voix,
les visions se confondent
s’interpellent se répondent
s’entrechoquent se poursuivent
brouhaha
éclair tonnerre
qararararararat
nuée vacarme désordre
débris de foudres


Soixante-dix fois
le ciel s’écartèle
La terre se fend
L’air brûle
Le silence braie


Chaos
L’ouïe et l’odorat sont morts
Le temps et l’espace s’éclipsent
dans l’aveugle crépuscule
Les pelures enflammées du ciel
descendent du vide
et creusent des eschares
cancers gangrènes galeries
se prosternant à la recherche
du vivant minéral
dans tout orifice cratère
faille direction abyssale
cellules vessies terrestres engourdies
Terre devenue Homme,
homme revenu à sa mère poussière
sous la tutelle de ses frères autophages


Et le rythme chaos divague dans le thorax
entre les poumons et le cœur
Les troupeaux de flammes
broutent l’essence
Les souffles fumées rampent


Nerf spasme tétanie
Tu es ligoté
Tu vacilles
ficelé noué entortillé
Épilepsie tellurique
tu vomis des mots
ressassement monologue
répétition obsession
syllabes d’une langue singulière
borborygme avant-garde du chaos
qui déjà défèque sur toi
des grumeaux de plomb
mercure atomique


Du thorax cabossé de ton ombre
tu veux arracher la grenade
cocktail Molotov du cœur
Avalanche du chaos
tu es emporté avec l’éboulis
Et vous êtes propulsés
face au viseur
Falaise de tirs
À nouveau le fusil dans la bouche
Et le silence crie
Ils t’ont arraché la voixet l’essence vitale,
Éja


Hurlement bégaiement
aboiements de la mitraillette
Ceci n’est pas de la poésie
Une averse de plomb mercure laiton
fond et dégouline
à même ta pommette
La poésie est un autre souffle
un souffle à part
C’est toi même
toi, râle nu
qui remonte l’abîme
par le coccyx du chaos
fosse commune
sous le bulldozer


Aridité
Cette terre a soif de ton âme, Éja
Âme galet de sang qui se craquèle
sur la pierre tombale
repos de ton aïeul
que les chiens de guerre ont
déterré avec sa sépulture
et jeté sur la décharge
des scories atomiques


À la rencontre avec toi-même
Éja, tu avances vers le tonnerre
foudres orages de la destruction
éclairs performants technologie de pointe
Devant toi ta poésie
et le départ de nouveaux chaos
mines d’uranium,
ton visage


De gris
ton visage est maculé
Éja
tu vas être
le beau gris
à la mine enfumée


Texte en tamaziɣt avec traduction en format pdf


Hawad, Irradiés. Poésie touareg contemporaine [ouvrage traduit de la tamajaght (touareg, langue amazighe)], Ed. Portique nomade, 2015, 63 p., format 10X14,5 cm