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Nedjima Plantade, anthropologue spécialiste du monde amazigh, est décédée

samedi 22 décembre 2018, par Rédaction-Tamazgha

Nedjima Plantade, anthropologue kabyle, spécialiste du monde amazigh, est décédée le 13 décembre, à l’âge de 64 ans, à Paris, des suites d’une longue et douloureuse maladie.

Née Nedjima Bitout, dans un village situé à une vingtaine de kilomètres de Bgayet, elle passe son enfance en Kabylie, dans un milieu de paysans, puis émigre en région parisienne avec sa famille.



Jeune adulte, elle entame des études de psychologie à l’université Paris XIII. A l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales), elle suit les cours de Georges Devereux, fondateur de l’ethnopsychiatrie, sous la direction duquel elle obtiendra en 1984 un doctorat en anthropologie sociale et culturelle. Sa thèse, intitulée Magie et sexualité féminine en Kabylie, s’est nourrie de nombreux travaux de recherche de terrain conduits en Kabylie, ainsi que d’un stage de plusieurs mois effectué à l’hôpital psychiatrique de Oued-Aïssi (Tizi-Ouzou). Elle obtient parallèlement le diplôme de l’Institut national des langues et civilisations orientales, où elle a suivi des cours de langues et civilisations amazighes, dispensés notamment par Salem Chaker.

En 1988, mariée et mère de deux enfants, elle publie La guerre des femmes, ouvrage tiré de sa thèse de doctorat. Elle y analyse la manière dont les femmes kabyles ont recours aux services de magiciennes pour écarter les rivales qui tentent, y compris par la magie, de les empêcher d’accéder aux seuls rôles valorisants que leur réserve la société kabyle : ceux d’épouse et de mère. Dans ce livre, elle décrit et tente d’analyser les rituels magiques des femmes kabyles et nord-africaines, témoignages, selon elle, de cultes et de croyances antérieurs à l’islamisation de la région. Durant cette période, elle collabore au Centre National de la Recherche Scientifique, dans l’unité de recherche de Camille Lacoste-Dujardin, ethnologue spécialiste de la Kabylie.

En 1993, paraît son second ouvrage, L’honneur et l’amertume, transcription et traduction du témoignage oral d’une femme kabyle d’âge mûr qui raconte son existence. Ce livre marque nombre de ses lecteurs par sa description de la misère des paysans kabyles au milieu du XXe siècle, mais également par le voile qu’il lève sur la brutalité des rapports entre hommes et femmes au sein de la société kabyle, l’atmosphère de rivalité permanente entre femmes kabyles, ainsi que par la dureté des conditions de vie au sein de l’immigration kabyle en France dans les années 1960.

Au cours de sa vie de chercheuse, Nedjima Plantade publie également de nombreux articles universitaires. En 2005, sa notice intitulée Women, Gender, Magic, Fortune Telling and Amulets : North Africa, paraît dans la prestigieuse Encyclopedia of Women and Islamic Cultures. Avec le latiniste Emmanuel Plantade, elle entreprend la première étude à caractère scientifique tendant à prouver l’origine nord-africaine du mythe antique de Psyché et Cupidon, relaté par Apulée, auteur gétulo-numide d’expression latine, dans son roman L’âne d’or (IIe siècle). Cette découverte donnera lieu à la publication de deux articles, le premier en français, intitulé Du conte berbère au mythe grec : le cas d’Éros et Psyché, publié en 2013 dans la Revue d’études berbères et le second, en anglais, Libyca Psyche : Apuleius’ Narrative and Berber Folktales, inséré dans l’ouvrage universitaire collectif Apuleius and Africa, publié en 2014 chez Routledge, éditeur américain de référence.

Au fil des années, elle oriente son travail vers la recherche sur les croyances antiques du monde amazigh, antérieures à l’intrusion des cultes monothéistes dans la région (christianisme, puis islam). Elle cherche à croiser les données issues de toutes les périodes (de la préhistoire à l’époque contemporaine), de toutes les provenances géographiques (nord-africaines, sahariennes, pan-méditerranéennes), et de toutes les disciplines (archéologie, histoire, ethnologie) afin de remonter aux sources de la religion autochtone d’Afrique du Nord, dont il faut reconstituer les mythes et la cosmogonie. Tentant de rassembler les traces d’un puzzle aujourd’hui quasiment disparu, elle s’intéresse à la question de la représentation des divinités chez les anciens Amazighs, ainsi qu’aux cultes qu’ils auraient voués aux saisons, aux astres célestes et à certains animaux. Ces recherches, que la maladie l’aura empêché d’achever, sous tendent les notices qu’elle a publié dans l’Encyclopédie Berbère, dirigée par le professeur Salem Chaker, notamment Printemps, Têtes et l’inédit Soleil.

En parallèle à ses activités de recherche, Nedjima Plantade aura été un membre, discret mais aux convictions chevillées au corps, du “mouvement amazigh”. Proche du “Groupe de Vincennes” qui gravitait autour du cours de langue amazighe dispensé à l’université Paris VIII à la fin des années 1970, elle se lie rapidement d’amitié avec le poète et dramaturge kabyle Abdallah Mohya, connu sous le nom de plume de Muḥend U-Yeḥya, amitié qui restera vivace jusqu’à la mort de celui-ci, en 2004. Cruelle ironie du sort, Nedjima Plantade décédera en 2018 dans le centre de soins palliatifs où Mohya a fini ses jours, quatorze années auparavant.

Dans les années 1980, elle fonde en région parisienne l’association Abrida, où elle donne des cours de langue amazighe. Dans les années 1990, elle développe des liens militants avec Masin Ferkal, premier président du Congrès Mondial Amazigh et actuel président de l’association Tamazgha, qu’elle entretiendra jusqu’à la fin. Tout au long de sa vie de chercheuse, elle échange régulièrement avec le professeur Salem Chaker, figure intellectuelle du Mouvement Culturel Berbère, avec qui elle tentera, sans succès, de faire ouvrir une Maison de la culture berbère à Paris. Ces dernières années, malgré la douleur et les handicaps physiques causés par sa maladie, elle participe, comme simple citoyenne anonyme, à plusieurs rassemblements et marches en faveur de l’indépendance de la Kabylie.

La Rédaction

Quelques articles de Nedjima Plantade, publiés sur Tamazgha.fr :

 Yennayer et le calendrier Julien
 Célébrations du temps nouveau en Afrique du Nord
 Deux fêtes amazighes : Yennayer et Amenzu n tefsut.


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