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Retour sur le Mouvement culturel berbère et les événements d’avril 1980

Compte rendu de la journée du 3 mai 2007 à l’Inalco - Première partie

samedi 12 mai 2007, par Masin

Le Centre de Recherche berbère (CRB)de l’Inalco [1] a abrité le 3 mai 2007 une journée de conférences en commémoration du Printemps Berbère de 1980. Organisée à l’initiative de l’association KILIMA qui a vu le jour il y a quelques mois et qui regroupe des étudiants du département Afrique de l’Inalco, la journée a été riche en débats et discussions grâce, notamment, à la qualité des intervenants.


Ainsi, la matinée a été marquée par les interventions de Saïd Doumane et de Kamel Naït Zerrad, tous deux enseignants au CRB.

Saïd Doumane, qui fut l’un des 24 détenus des événements de 1980, avoue, d’emblée, que le témoignage est un exercice délicat puisqu’on est toujours amené à parler de soi, mais "l’intérêt, dit-il, est de témoigner sur cette génération qui a permis de donner naissance au mouvement et à la dynamique qui se sont propagés partout dans le monde amazigh". Certes, la revendication berbère n’est pas née en 1980, la génération d’avant l’indépendance ayant déjà préparé le terrain, mais le Printemps Berbère "a donné naissance à un mythe fondateur de la revendication berbère". Un mythe "positif" car "les mythes font aussi partie de la réalité qu’ils structurent".
Evoquant les événements qui ont marqué le printemps 1980, le conférencier reconnaît que même ceux qui formaient le noyau des militants actifs étaient surpris par l’ampleur qu’avaient pris les événements et surtout par l’immense adhésion populaire qui s’en est suivie. Car la revendication identitaire, dit-il, n’était pas porteuse à cette époque-là et n’était d’ailleurs pas assumée par les forces politiques de l’opposition. Et Saïd Doumane de nous esquisser un peu le contexte et les conditions qui ont abouti au mouvement que l’on connaît. Il citera notamment le rôle joué par l’Académie Berbère - association implantée à Paris - qui avait une influence sur les lycéens et les étudiants kabyles grâce à ses publications que ces derniers recevaient par correspondance. C’est ainsi par exemple que beaucoup d’entre eux ont découvert, pour la première fois, l’alphabet néo-tifinagh. Toujours à Paris, le Groupe d’Etudes Berbères de l’ancienne université de Vincennes avait, lui aussi, contribué pour sa part à forger cette prise de conscience notamment en Kabylie. L’un de ses membres, Ramdane Achab, par exemple, est rentré au pays à ce moment-là, renforçant ainsi le groupe des militants présents à l’Université de Tizi-Ouzou . Le cours de berbère donné par Mammeri à la Faculté d’Alger, avait créé une dynamique et un intérêt certains des étudiants - et pas seulement puisque d’autres personnes y assistaient aussi, à l’instar du poète Ben Mohamed - pour la culture et la langue berbères. L’orateur cite aussi la troupe théâtrale, créée avec l’aide de Kateb Yacine, dont il en a fait partie aux côtés, entre autres, d’Amar Mezdad, Hacène Hirèche, Salah Oudahar, Saïd Yacine. Cette troupe va sillonner les villages kabyles et va même se produire à Alger. Les autorités algériennes mettront, fin à l’existence de la Troupe en 1973 après avoir participé au Festival International de Tunis et ayant commis le "sacrilège" de jouer leur pièce théâtrale... en kabyle. Pour l’anecdote, la troupe a eu le 2e prix, le 1e prix ayant été attribué à des Palestiniens, contexte politique oblige !
Ce sont donc tous ces événements, auxquels il faudra rajouter l’affaire des "poseurs de bombes" en 1976 - et la liste n’est pas exhaustive -, qui ont posé les jalons de ce qui deviendra, depuis, le Printemps Berbère et la dynamique qu’il va enclencher. C’est ce mouvement qui donnera naissance, par la suite, à la Ligue des Droits de l’Homme et à l’orateur de dire que même Octobre 1988 ne se serait pas produit "sans cette onde de choc de 1980". La suite des événements après l’"ouverture" politique des années 1990 est connue de tous ; "le MCB a éclaté, les partis politiques se sont positionnés sur d’autres créneaux et Tamazight est devenue un "point" parmi d’autres dans leurs programmes".

Le conférencier abordera, enfin, les événements de 2001, connus sous le nom du Printemps Noir, mais pour poser la question du pourquoi de la "mise à l’écart" des militants de la génération de 1980. Une question à laquelle il a incité tout le monde à réfléchir, car la réponse nous aidera certainement à éviter l’éternel recommencement dans lequel semble confiné le combat pour l’identité berbère.


Kamel Naït Zerrad, comme nous l’avions dit plus haut, a bien voulu nous faire part de la situation qui prévalait à Oran avant et après le mouvement de 1980. L’orateur, qui était lycéen durant la fin des années 1960 début 1970, raconte un peu le malaise vécu par les Kabyles dans cette ville arabophone et comment ceux-ci exprimaient jusqu’à une certaine gène à s’affirmer comme Kabyles. Ceci a néanmoins conduit certains d’entre eux à se poser des questions et à chercher à comprendre en quoi ils étaient justement différents des arabophones. Citant sa propre expérience, il raconte comment la riche bibliothèque du CCF (Centre Culturel Français) à Oran était une aubaine pour lui et pour d’autres. C’est au sein de cette bibliothèque par exemple qu’il découvre pour la première fois les 4 volumes du dictionnaire touareg du Père Charles de Foucault.
La bibliothèque lui a permis aussi de faire des rencontres avec d’autres kabyles intéressés par la question identitaire. Viennent, par la suite, les années 1970 ; les éléments intéressés par la question berbère à Oran, tout comme ceux en Kabylie, ont pu se mettre en contact avec l’Académie Berbère en France. Ils recevaient donc les Bulletins et autres documents qu’éditait celle-ci. Kamel Naït Zerrad dira de l’Académie "qu’elle avait constitué la seule lueur pour eux qui étaient complètement isolés". La situation se gâte en 1976 avec l’affaire des "poseurs de bombes" où des lycéens furent arrêtés et où le courrier envoyé par l’Académie Berbère est systématiquement ouvert par la police politique.
Une "sorte d’embryon" de revendication commence à se créer à partir de ce moment-là et malgré les différentes tentatives de création d’associations à caractère culturel, celles-ci n’ont jamais abouti jusqu’à l’"ouverture" de 1988, notamment avec la loi qui autorisait la création d’associations à caractère politique". C’est ainsi qu’est née la principale association culturelle d’Oran, "Assirem".

Après ces deux conférences, les conférenciers ainsi que l’ensemble de l’assistance ont été conviés à partager, dans la convivialité, un couscous préparé par les étudiant(e)s.

Boussaâd Bouaïch







[1Institut National des Langues et Civilisations Orientales