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Sous les izran, l’héritage : entre deux rives et un rêve
samedi 9 décembre 2023, par
Le nouvel ouvrage Sous les izran, l’héritage, de Fatiha Saïdi, nous fait voyager d’une rive à une autre de la Méditerrané, du Rif à la Belgique, à la découverte du groupe musical Suyt Izran.
A l’instar de deux de ses autres ouvrages que j’ai eu plaisir de lire précédemment, Les fourmis prédatrices et Échos de la mémoire sur les montagnes du Rif, l’autrice demeure fidèle à son style marqué par la sincérité et l’honnêteté liées par une subtile dose émotionnelle. Ce livre constitue, à mon sens, une continuité évidente dans la mise en relief de la mémoire toujours vivante du Rif et surtout des femmes rifaines.
L’ouvrage est structuré en quatre sections principales dont la première commence par un aperçu général sur les définitions de la poésie lyrique rifaine, en l’occurrence izran et lalla buya. Cette partie s’appuie sur des recherches académiques en la matière mais fait aussi la part belle aux témoignages d’artistes connus comme Khalid Izri, Faysal Itran, Farid El Hamdioui, Najib Amazigh, etc. Tous seront sollicités pour témoigner sur le sujet en s’appuyant sur leur propre vécu. Fatiha Saidi mettra aussi en lumière le rôle des distiques comme expression souvent féminine. Ensuite, elle nous fait traverser la méditerranée pour nous présenter l’expérience remarquable du groupe Suyt izran qui réunit six femmes, de différents horizons, qui résident en Belgique. L’autrice consacrera à chacune d’elles un portrait dans lequel elle brosse leur passion au chant et l’ensemble des émotions qui les y ont emmenées.
Entre deux rives et un rêve, à l’instar de feu Idir et du groupe de danse kabyle Tafsut à Montréal, Suyt Izran est né pour une cause et un souci permanent : celui de transmettre et de faire connaître leur région d’origine à travers les chants féminins qui résonnent des profondeurs des montagnes du Rif. La transmission de ces izran est une occasion de briser et d’estomper les différents préjugés et clichés véhiculés sur le Rif et les Rifains. Cette transmission permet de valoriser notre culture et joue un rôle primordial de sauvegarde des racines avec le pays natal ou d’origine. Cette nouvelle génération puise dans le corpus poétique oral tout en usant de rythmes et d’instruments musicaux modernes, comme le fait l’artiste Hafsa Da. Cette fusion de la tradition avec la modernité contribue ainsi à garder vivaces les ponts avec le pays d’origine des troisièmes et quatrièmes générations nées en Belgique. Les izran se révèleront ainsi un puissant instrument pour les intéresser à la langue et à la culture amazighes.
On ne peut évoquer les chants lyriques rifains sans mentionner l’artiste Milouda Elhoceimia, l’une de ses figures emblématiques, malgré une société rifaine réfractaire à la production artistique de femmes en dehors du cadre strictement familial et villageois. Mais par sa voix mélodieuse et authentique Milouda a continué, malgré les obstacles, à faire vibrer les âmes de génération en génération. Plusieurs chants de son répertoire sont nostalgiques et trouvent échos auprès des personnes qui vivent loin de leurs villages et dans l’absence de l’affection familiale.
En somme, ce livre est le gardien de la mémoire de la tradition poétique orale amazighe en général et rifaine en particulier. Fatiha Saïdi nous offre un beau voyage entre les deux rives avec les izran, la voix de Suyt izran et d’autres artistes. Un voyage tracé comme une voie de liberté portée par une verve poétique qui doit sans cesse être nourrie et revitalisée par les personnes passionnées par la transmission culturelle.
Abdelmottaleb Zizaoui.
