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Enseignement du berbère en France
"Une affaire algéro-française", selon François Gèze.
François Gèze qui estime que l’attitude de l’Etat français envers les Berbères est aussi inadmissible que scandaleuse.
samedi 26 février 2005, par
François Gèze est le Directeur des Editions La Découverte. Il est l’une des rares personnalités françaises à dénoncer la junte militaire algérienne mais aussi le soutien de l’Etat français à cette junte. C’est ce qu’il appelle la "Françalgérie" ; une étrange entité politico-économique unissant une bonne partie des dirigeants français et la nomenklatura algérienne, qui pille les ressources du pays et exerce sa tutelle sur le peuple, comme aux temps de la colonisation.
Nous l’avons sollicité pour s’exprimer quant la récente décision du Ministère de l’Education Nationale de nommer un "Coordinateur des enseignements et épreuves de berbère auprès de la DESCO". Il a bien voulu répondre à nos question et nous le remercions.
une affaire algéro-française
Tamazgha.fr : Le Ministère de l’Education Nationale (MEN) a nommé en octobre 2004 Hocine Sadi au poste de "coordinateur des enseignements et épreuves de berbère auprès de la DESCO" sachant que cette l’Inalco, sous la responsabilité du professeur Salem Chaker, est en charge du dossier "Berbère au Bac" 1995. Que pensez-vous de cette nomination ? Comment expliqueriez-vous cette attitude du MEN et de l’Etat français de manière générale ?
François Gèze : J’avoue que cette nomination est vraiment sidérante. Le fait qu’elle émane de la présidence de la République, qui a ainsi court-circuité le MEN et les filières normales - en écartant de facto le professeur Chaker, dont les compétences sont pourtant unanimement reconnues, ce qui n’est pas le cas de M. Sadi - ne peut s’expliquer à mon sens que d’une seule façon : pour l’État français, le berbère n’est pas une langue qui doit être enseignée en France au même titre - ni plus, ni moins - que d’autres langues "minoritaires" parlées par des citoyens français, et son enseignement continue à s’inscrire dans une logique coloniale.
En confiant une telle responsabilité à une personne dont la principale compétence, en l’espèce, semble être sa proximité idéologique avec le pouvoir algérien actuel, et en écartant un universitaire éminent en la matière, le gouvernement français manifeste clairement en effet, qu’à ses yeux, la question de l’enseignement du berbère en France est une affaire "algéro-française". Ou plutôt de la "Françalgérie", cette étrange entité politico-économique unissant une bonne partie des dirigeants français et la nomenklatura de l’"Algérie Club des Pins", qui pille les ressources du pays et exerce sa tutelle sur le peuple algérien, comme aux temps de la colonisation.
Cela rappelle, sur un autre registre, les récentes acrobaties de la "gestion" de l’islam de France : là encore, les responsables politiques français (de gauche comme de droite) ont tout fait pour donner un rôle majeur à la Mosquée de Paris, héritage colonial aujourd’hui étroitement et notoirement contrôlé par la nomenklatura des généraux d’Alger (et dont la "légitimité" pour représenter les musulmans de France est très voisine de zéro).
Tout se passe, avec ces mesures et bien d’autres (comme le "Traité d’amitié franco-algérien" qui doit être bientôt signé, ou la discrète bénédiction des gouvernants français à la prochaine amnistie destinée à effacer les crimes contre l’humanité commis par les généraux algériens au cours de la "sale guerre"), comme si l’Algérie était redevenue une colonie française. Avec, en lieu et place des pieds-noirs, une caste militaro-civile locale qui semble se vivre d’abord comme une émanation de la "métropole" et dispose à Paris de soutiens aussi influents, corruption aidant, que les agents du "parti colonial" au temps de la colonisation.
À mon sens, c’est ce cadre qui explique que, pour les responsables politiques français, les locuteurs du berbère en France, loin d’être des Français comme les autres, avec leurs racines culturelles (plongeant en Algérie comme au Maroc) aussi respectables que les Bretons, les Basques ou les Corses, sont toujours, "quelque part", des "indigènes" à traiter comme tels. Ce qui est aussi inadmissible que scandaleux.
Comment voyez-vous l’enseignement du berbère en France et que suggérez-vous au MEN en vue d’une réelle et sincère prise en charge de l’enseignement de la langue berbère en France ?
Je crois que la condition numéro un est de sortir de cette infernale logique coloniale (et même pas "postcoloniale"). Il serait absurde de le nier : si le berbère est aujourd’hui une "langue de France", c’est évidemment un fruit de la colonisation, qui s’est faite notamment au prix du déracinement de centaines de milliers d’hommes et de femmes, contraints de venir vendre leur force de travail en France. Mais aujourd’hui, leurs descendants sont pleinement Français, et ils ont le droit, comme les autres, d’entretenir et de découvrir la culture de leurs parents.
Ce constat de bon sens n’est malheureusement pas partagé par nos dirigeants, et cela pour une raison majeure : la France officielle, trop désireuse de tourner définitivement la dernière page après plus de 130 ans d’une cruelle domination en Algérie (et des décennies de tutelle sur le Maroc et la Tunisie), a choisi de ne pas relire ces pages atroces de l’histoire de France, de les oublier. Mais on ne peut pas les effacer, et leur mémoire est toujours présente aujourd’hui, de façon perverse : pour nos dirigeants, il est toujours "naturel" de traiter les "populations issues de l’immigration" (euphémisme pour ne pas dire "indigènes") avec les méthodes mises au point au temps des colonies (et on sait, notamment, à quel point la "question kabyle" a été utilisée et manipulée par les colonisateurs pour diviser et soumettre le peuple algérien ; comme cela a été le cas également au Maroc, par exemple avec le fameux "dahir berbère" de 1930).
Cela reste aussi inacceptable aujourd’hui qu’hier, et il faut en sortir. Des efforts significatifs, même s’ils restent très insuffisants, ont été faits pour reconnaître dans les manuels scolaires certains des crimes de l’armée française au cours de la guerre d’indépendance algérienne. Mais d’autres initiatives, bien plus importantes, doivent être prises pour que la France reconnaisse officiellement la très lourde responsabilité historique qu’elle porte dans l’asservissement de peuples entiers.
Je n’ai pas la place ici de développer tous les volets possibles d’une telle perspective (à laquelle beaucoup d’autres, heureusement, travaillent depuis des années). Mais ce qui est certain, c’est qu’on n’arrivera pas à une approche sereine et durable des modalités de l’enseignement du berbère en France sans ce travail de reconnaissance historique (qui devrait notamment mettre à nu ce que doit à l’héritage colonial le mythe des Kabyles tournant le dos au peuple algérien, dont ils sont pourtant l’une des âmes, comme l’a montré leur engagement dans la guerre de libération nationale). Cela risque, hélas, de prendre encore du temps, et c’est pourquoi la mobilisation de tous reste essentielle, sans œillères ni partis pris idéologiques.
Dans l’immédiat, il me semble essentiel, pour faire avancer la cause que vous défendez, de continuer à promouvoir le travail remarquable des universitaires qui s’emploient depuis tant d’années à faire connaître et reconnaître la formidable richesse de la culture berbère, une richesse aussi importante au Maghreb qu’en France. Je pense, évidemment, à l’œuvre immense du regretté Mouloud Mammeri (à qui je dois, pour ma part, la découverte de la complexité de l’histoire algérienne), ou aux œuvres de la famille Amrouche. Mais aussi, bien sûr, aux travaux incontournables d’autres érudits, comme Tassadit Yacine, Salem Chaker ou Camille Lacoste-Dujardin.
La culture berbère est bien vivante, comme en témoigne par exemple l’audience de chanteurs et poètes aussi grands que Lounès Matoub (lâchement assassiné en 1998 par les sbires des généraux d’Alger), Aït-Menguellet, Idir et bien d’autres. Par une étonnante grimace de l’histoire, cette culture, qui n’a rien renié de ses racines séculaires, contribue à nourrir aujourd’hui une France "multiculturelle" et moderne, au même titre que les autres cultures héritées de la colonisation, arabes, africaines ou asiatiques. Il serait absurde de tourner le dos aux richesses qu’elles apportent, et j’ose espérer, qu’à défaut de responsables politiques rendus autistes par le poids d’une histoire mal assumée, il reste dans notre administration et dans les lieux de production culturelle suffisamment d’hommes et de femmes pour porter ce flambeau.
Questionnaire élaboré par Masin FERKAL et Saïd CHEMAKH.
Pour mieux comprendre la "Françalgérie", selon François Gèze, lire :
– Françalgérie : sang, intox et corruption
Lire également l’ouvrage publié récemment par les éditions La Découverte :
– Françalgérie, crimes et mensonges d’États
Messages
1. > "Une affaire algéro-française", selon François Gèze., 16 décembre 2005, 17:03, par Isa
Votre article est intéressant… mais pour nous, Français ignares, il n’éclaire pas quelques points troubles : le pouvoir Bouteflika que vous condamnez est directement issu des accords d’EVIAN et de la mise en place à Alger de la Nomenklatura du FLN, donc il est logique que la France, qui a financé les exactions du FLN - et fermé les yeux à ses charniers - soutienne Bouteflika ? En revanche, quelle est l’alternative à B. ?
Apparemment, le FIS : est-ce l’avenir des Berbères que de donner le pouvoir aux islamistes ?
Merci de votre réponse.
1. > "Une affaire algéro-française", selon François Gèze., 3 avril 2006, 20:09, par hafid lachtar
moi je dirai prenons exemple sur d’autre civilisation,cela veux dire que si notre destin sera le fis pour une autre vingt ou une trentaine d’années,il faudrait l’admettre ,je veux dire que si ce peuple a besoin d’éxperiance si ce peuple est obligé de passer par la pour ensuite tourner la page alors il faudrait se soumettre a l’histoire et peut etre dans 2ou3 géneration l’algerie touvera le chemin qu’il lui faudra,en ce qui nous concerne notre génération et celle de nos parents on la eu dans le Q,et tampis.
2. Golias décrypte Gèze et cie, 1er octobre 2007, 19:36
Golias Magazine (no. 115 juillet-août) vient de sortir un dossier grand angle : L’autre enquête sur l’assassinat des moines de Tibhirine.
Au travers une lecture du livre « Le huitième mort de Tibhirine » de Rina Sherman, ainsi que d’éléments de l’investigation de Didier Contant sur la mort des moines de Tibhirine, jusque-là jamais publiée, ce dossier propose une analyse en profondeur du traitement médiatique de la décennie sanglante en Algérie par la presse française, et notamment de la mort du grand reporter, Didier Contant, décédé avant qu’il n’ait pu publier son troisième enquête sur les moines.
« L’étrange suicide » d’un journaliste
Islamistes ou « services » : qui a enlevé les moines ?
La contre-enquête sur l’assassinat des moines
L’Eglise en Algérie au cœur du drame
La scandaleuse campagne de presse du trappiste Armand Veilleux
Golias Magazine :
Pour une liste de librairies où vous pouvez vous procurer Golias Magazine, cliquez ici :
Le huitième mort de Tibhirine
Qui a tué Didier Contant
et aussi :
Le Huitième mort de Tibhirine ou la mort d’un journaliste passée sous silence
Écrit par Marie Baudlot
CategoryNet
25-09-2007
Le Huitième mort de Tibhirine ou la mort d’un journaliste passée sous silence Le Huitième mort de Tibhirine, aux éditions Tatamis, revient sur la mort inexpliquée de Didier Contant, journaliste qui enquêtait sur l’enlèvement et le meurtre des sept moines algériens en 1996. Sa compagne, Rina Sherman, a retracé jour après jour les événements qui ont mené Didier Contant jusqu’à sa mort. Entre incompréhension et indignation, Le Huitième mort de Tibhirine rappelle à tous combien la liberté d’expression est fragile.
Lire l’article :
Voir en ligne : Le huitième mort de Tibhirine