Accueil > Actualité > La Une > "Une nomination inexplicable et incongrue", selon Kamal Naït-Zerrad*.

Enseignement du berbère en France

"Une nomination inexplicable et incongrue", selon Kamal Naït-Zerrad*.

jeudi 14 avril 2005, par Masin

Suite à la nomination par le Ministère de l’Education nationale français de Monsieur Hocine Sadi au poste de coordinateur des enseignements et épreuves de berbère auprès de la DESCO (Direction des enseignements scolaires), Salem Chaker, Professeur de berbère à L’Inalco, a décidé de ne plus assurer l’élaboration des sujets de l’épreuve facultative de berbère au baccalauréat français ni la correction des copies. Il considère que le Ministère qui a su trouver les compétences pour la préparation à cette épreuve est en mesure de confier ces tâches aux mêmes compétences.

L’équipe de Rédaction de Tamazgha.fr a voulu recueillir les réactions de différents acteurs notamment universitaires et politiques à ce sujet.

Kamal Naït-Zerrad, professeur associé à l’Inalco, auteur de plusieurs publications sur la langue berbère, a accepté de répondre à nos questions.

S’agissant de Kamal Naït-Zerrad, il faut rappeler qu’il est Docteur en micro-optoélectronique de l’INPG (Institut National Polytechnique de Grenoble, qui regroupe un certain nombre de Grandes Ecoles), thèse soutenue en 1995 avec plusieurs publications dans ce domaine ; docteur en linguistique berbère, thèse soutenue à l’Inalco en 1996. En 2003, il obtient à l’Inalco le plus haut diplôme de l’enseignement supérieur, l’habilitation à diriger des recherches. Son intérêt pour le berbère est très ancien, il a publié un certain nombre d’articles à la fin des années 80 et son premier ouvrage, le "Manuel de conjugaison kabyle" date de 1994. Depuis, les articles et ouvrages en linguistique berbère se sont succédés, ainsi que des livres plus grand public ou destinés à la jeunesse.



Enseignement de la langue berbère en France



Kamal Naït-Zerrad répond aux questions de Tamazgha.fr :

Une nomination inexplicable et incongrue...




Tamazgha.fr : Le Ministère de l’Education nationale a nommé en octobre 2004 Hocine Sadi au poste de "coordinateur des enseignements et épreuves de berbère auprès de la DESCO" sachant que cette l’Inalco, sous la responsabilité du professeur Salem Chaker, est en charge du dossier "Berbère au Bac" 1995.
Qu’en pensez-vous de cette nomination ?


Kamal Naït-Zerrad : Je crois qu’il y a au moins deux éléments qui font que cette nomination est inexplicable et incongrue du point de vue strictement académique :
1. Tout d’abord, quelles que soient les qualités pédagogiques et scientifiques - dont je ne doute pas - de M. Hocine Sadi, il ne dispose pas des compétences nécessaires pour l’enseignement du berbère (dans les trois variétés proposées à l’épreuve du bac) et pour le développement d’une documentation pédagogique. Peut-on s’improviser du jour au lendemain médecin ou professeur de mathématiques sans des études universitaires poussées dans ces domaines ? A moins de considérer qu’il n’est pas nécessaire d’étudier le berbère pour l’enseigner... Ce qui pour le français serait un scandale national et d’ailleurs impossible - n’importe qui parlant le français ne peut évidemment pas assurer un enseignement dans une école ou dans un lycée - semble possible pour le berbère... Cela montre également l’estime dont jouit cette langue !
2. Ensuite, effectivement, le professeur Salem Chaker, a assuré l’organisation des épreuves écrites de berbère au baccalauréat depuis 1995 et les membres du centre de recherche berbère, dont il est le directeur, y ont participé activement. Il était donc normal qu’il soit responsable de ce dossier. Pour l’installation d’une structure destinée à l’organisation de l’enseignement du berbère dans le secondaire, on se serait attendu au minimum à une consultation de S. Chaker.



Comment expliqueriez-vous cette attitude du MEN et de l’Etat français de manière générale ?

Je ne vois pas d’explication... mais plutôt un certain nombre de questions. Au vu du traitement de certains dossiers au niveau politique et le cafouillage qui s’en suit, on se demande parfois comment travaille le gouvernement français... Il faut souligner que cette décision n’émane pas du Ministère de l’éducation nationale mais de la Présidence de la république... On attend d’ailleurs toujours une réaction du MEN à cette décision qui n’a aucun fondement pédagogique et qui se situe en dehors des critères académiques.


Comment voyez-vous l’enseignement du berbère en France et que suggériez-vous au MEN en vue d’une réelle et sincère prise en charge de l’enseignement de la langue berbère en France ?

L’enseignement du berbère devrait être une chance pour les diplômés en berbère dont la plupart sortent de l’Inalco. Une prise en charge sérieuse de cette langue passe d’une part par la réalisation de matériel pédagogique et d’autre part par l’enseignement comme une langue vivante dans les collèges et lycées en particulier dans les régions où la demande est forte (Ile de France, Rhône-alpes, PACA...). Le MEN devrait donc de toute façon passer par l’Inalco pour mettre en place et superviser une structure composée d’enseignants-chercheurs et de diplômés de berbère dont l’objectif serait la formation des formateurs et la réalisation de matériel pédagogique dans les variétés qui seront enseignées : kabyle, chleuh, rifain,... avec les différents niveaux nécessaires.


Questionnaire élaboré par Masin FERKAL et Saïd CHEMAKH.


(*) Kamal Naït-Zerrad est Professeur associé à l’Inalco

Messages