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L’enseignement du berbère dans le secondaire en France :

les promesses fleurissent, les gouvernements passent, les Berbères attendent...

dimanche 10 octobre 2004, par Masin

par Salem CHAKER

Professeur de berbère à l’INALCO (Paris)

Depuis 1995, une épreuve facultative écrite de langue berbère peut être présentée au Baccalauréat (séries générales et technologiques). Cette épreuve s’intègre dans un ensemble de 27 langues, ne faisant pas l’objet d’un enseignement dans les lycées, mais qui peuvent être présentées par les candidats, en matière supplémentaire. Organisée au plan national par l’Education nationale, elle fait l’objet d’une convention entre la Direction des Enseignements Scolaires (DESCO) et l’INALCO qui, chaque année prépare les sujets et assure la correction des copies. Depuis 1995, le nombre de candidats en berbère est progressivement passé de 1350 à 2250 (session 2004 du Bac) pour toute la France.
En dehors de quelques rares initiatives locales, aléatoires et hors temps scolaire, dépendant de la bonne volonté du chef d’établissement, il n’existe aucune préparation à cette épreuve au sein des lycées français ; la seule possibilité de soutien pédagogique pour les candidats est de suivre des cours organisés par les associations culturelles berbères de France. Le Centre de Recherche Berbère de l’INALCO, pour sa part, a diffusé avec l’aide d’une de ces associations, une petite brochure d’information sur l’épreuve et a mis en accès libre sur le site Internet de l’INALCO un ensemble d’informations et d’épreuves corrigées ; des « Annales du Bac » sont en cours de finalisation et devraient paraître en 2005.

Pourtant, depuis quelques années, on perçoit de la part des autorités françaises des "frémissements", une attention explicite à la présence berbère en France, qui permettaient d’espérer une prise en charge minimale de la langue par l’Education nationale.


1. Le débat autour de la Charte européenne (1999) : le berbère « langue de France » (*)

Entre juin 1998 et mai 1999, la France a connu un débat politique passionnant autour de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Outre son intérêt général, ce débat a concerné très directement les spécialistes des langues de l’Afrique du Nord puisque, pour la première fois, la question du statut des langues d’origine étrangère - dont le berbère - a été explicitement posée et débattue. Et pour la première fois, des documents officiels français ont proposé de considérer le berbère comme une « langue de la France ».

Suite à la censure du Conseil constitutionnel, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires n’a pas été ratifiée par la France et ne le sera sans doute pas dans un proche avenir, mais le débat autour de la Charte a eu le grand mérite d’ouvrir pour la première fois la discussion sur le statut des langues d’origine étrangère et d’avoir bousculé, sur la base du raisonnement juridique et de la réalité sociolinguistique, la classique opposition entre "langues territoriales" (= langues régionales) et "langues non-territoriales" (= langues d’origine étrangère).

Au-delà des arguments des avatars politico-juridiques, on ne pouvait que se réjouir de cette approche nouvelle, de cette évolution des mentalités. C’est en soi un progrès que de reconnaître les réalités socioculturelles d’un pays : certaines langues de populations d’origine étrangères, comme le berbère, sont parlées en France par un grand nombre de locuteurs ; elles sont implantées en France depuis longtemps (Les Kabyles ont commencé à arriver en France dès le début du XXe siècle) ; ces kabylophones sont largement intégrés, aux plans juridique, social et culturel. Le berbère est donc objectivement et durablement une langue de France.<br


2. Des annonces aux suites incertaines

Un tournant symbolique : la DGLF devient DGLFLF

La seule suite institutionnelle concrète du débat sur la Charte a été la transformation de la Délégation Générale à la Langue Française (DGLF) en Délégation Générale à la Langue Française et aux Langues de France (DGLFLF), modification qui traduit une extension du champ d’intervention de cette institution rattachée au Ministère de la Culture. Depuis lors, des activités et recherches concernant des « langues de France » autres que le français (dont bien sûr le berbère) sont régulièrement soutenues par la DGLFLF. Mais les prérogatives de cette institution sont limitées (observation des pratiques linguistiques...) et ne concernent pas l’enseignement.

Néanmoins, le débat autour de la Charte a été suivi par différentes déclarations et prises de position des politiques français en faveur de l’enseignement du berbère, devenu « langue de France ».
On verra qu’il convient de rester prudent, voire circonspect quant au sérieux et aux motivations de ces annonces.

Les annonces de Jack Lang : février 2002
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A quelques semaines des élections présidentielles et législatives du printemps 2002, Jack Lang, alors Ministre de l’Education nationale, annonçait des mesures « en faveur de l’enseignement du berbère dans le secondaire ». S’agissant d’une personnalité dont l’engagement pour les langues régionales est par ailleurs bien connu, cette annonce pouvait a priori être considérée comme sérieuse et crédible. Le contexte politique et la démarche globale adoptée par le Ministère de l’Education l’ont rapidement réduite à l’insignifiance. En fait, il est immédiatement apparu que le Ministère n’envisageait pas de traiter le berbère dans la perspective d’une intégration normalisée au sein de l’Education nationale, mais tout au plus comme une expérience marginale et exploratoire. Ce que devait d’ailleurs confirmer quelques semaines plus tard le seul document officiel consécutif aux déclarations de J. Lang : une simple note de service de la DESCO (Note 2002-059 du 20/03/2002, BOEN n° 13, 2002) rappelait aux recteurs que, dans le cadre des textes et dispositions existantes, ils pouvaient soutenir des expériences d’enseignement du berbère, en dehors du temps scolaire obligatoire pour la préparation des épreuves facultatives écrites du Bac. On en restait donc strictement au niveau de l’existant antérieur. En substance, on rappelait que des expériences comme celle qui a eu lieu, dès le début des années 1980, au Lycée Honoré de Balzac à Paris restaient possibles...

Le rapport sur la laïcité de Bernard Stasi : décembre 2003.

Le rapport sur la laïcité demandé par le Président Jacques Chirac à Bernard Stasi, Médiateur de la République, allait réserver une réelle surprise au lecteur attentif : à deux reprises et de manière très explicite et insistante, le texte fait mention de la nécessité d’enseigner et d’encourager les langues de l’immigration (musulmanes non arabes) comme le berbère et le kurde.

La conjoncture politique immédiate a certainement été déterminante. Dans un rapport destiné à orienter et à éclairer l’Exécutif sur les mesures à prendre pour lutter contre les menaces que fait peser l’Islam radical sur la laïcité en France, la référence au berbère et au kurde n’a sa place et ne peut se comprendre que par la conviction que l’on a que ces langues et cultures des immigrations musulmanes non arabes sont de nature à contrer, contrebalancer le poids et l’influence de l’arabo-islamisme et de l’islamisme. Avec l’idée, ancienne et largement relayée par la militance berbère, que ces langues et cultures sont porteuses de valeurs en convergence avec celle de la République : démocratie, tolérance, ouverture à la diversité et laïcité.

Les annonces de Jean-François Copé, Porte-parole du Gouvernement (janvier 2004).

Le 11 janvier 2004, dans le cadre de la campagne électorale pour les élections régionales de mars 2004, Jean-François Copé, Porte-parole du Gouvernement et tête de liste de l’UMP pour la région Ile-de-France, annonçait, à son tour, la mise en place d’une expérience d’enseignement pour la préparation des épreuves de berbère au Bac dans un lycée du centre de Paris (Lavoisier), dès la rentrée 2004. Cet engagement a été réitéré en janvier et février 2004 (voir les dépêches des agences de presse : AFP, Reuters ou le journal Libération du vendredi 23 janvier 2004). Il n’est d’ailleurs pas sans intérêt de noter que, dans ses annonces, J.-F. Copé faisait expressément référence aux recommandations du "rapport Stasi".

Dès le lendemain de la première déclaration de J.-F. Copé, il m’a été demandé d’examiner avec le proviseur du lycée Lavoisier les conditions concrètes de cette expérience. Après les contacts et échanges nécessaires, des propositions précises ont été faites quelques jours plus tard par moi-même au Ministère de l’Education nationale et à l’Académie de Paris (et confirmées par la direction de l’INALCO).

Au jour d’aujourd’hui (10 octobre 2004), alors que la rentrée du Secondaire est faite depuis plus d’un mois, nous n’avons eu connaissance d’aucune confirmation, ni d’aucune mesure concrète, malgré de nombreuses relances faites auprès de l’Académie, du cabinet du Ministre de l’Education et du Porte-Parole du Gouvernement.
On peut donc avoir des doutes sérieux sur la possibilité de voir démarrer, au cours de la présente année scolaire, cette expérience annoncée par le représentant le plus officiel qui soit du Gouvernement de la République.

3. Quelques réflexions finales et prospectives

Nous sommes donc dans une situation incertaine. Cette valse-hésitation, cette suite de déclarations d’intentions, de Gauche comme de Droite, non suivies d’effets depuis plusieurs années établissent en tout cas clairement que le rapport de la classe politique française au "dossier berbère" est contradictoire et très hésitant.
Comment comprendre cette hésitation, cette absence d’avancée significative sur un dossier qui se présentait apparemment sous un jour très favorable ? Les éléments pour la compréhension de cette situation de « non-aboutissement » sont certainement nombreux et enchevêtrés et il n’est pas aisé d’évaluer précisément le poids de chacun d’entre eux, car beaucoup relèvent du non-dit, idéologique ou politique, difficile à objectiver.

Mais au fond, on peut penser que cette curieuse situation d’indécision durable n’a rien de très surprenant : elle correspond très exactement à l’état des intérêts et forces en présence dans le champ politique français.
En France, on aime bien les Berbères, mais ils ne représentent pas un poids politique significatif, ni ici ni là-bas, et toute sollicitude marquée à leur égard risquerait de provoquer plus de difficultés (externes et internes) que de gains. Pour les décideurs politiques français, il est donc encore sans doute urgent d’attendre.

Et il n’est pas moins évident que la balle est désormais dans le camp des Berbères de France. Toute évolution de la situation, tout déblocage, ne peut venir que de leur mobilisation, de leur action unitaire pour obtenir ce minimum du minimum : que leurs enfants, qui rappellent par centaines depuis des années leur attachement tenace à la langue de leurs parents, puissent enfin recevoir dans le cadre de l’Ecole de la République un enseignement qui leur permette de préparer, dans des conditions normales, une épreuve d’un examen national.

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(*) Sur ce document et ce débat français, on se reportera à notre étude : « Quelques observations sur la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Un exercice pratique de glottopolitique », parue dans Mélanges David Cohen..., Paris, Maisonneuve & Larose, 2003, p. 149-158.

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