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Documents fondateurs
Pour une "Maison de la Culture Berbère"
dimanche 14 décembre 2003, par
Texte d’orientation initial adressé par Salem Chaker aux personnes sollicitées en tant que membres fondateurs, en tant que parrains du projet, aux associations et aux institutions partenaires (octobre-novembre 2002).
Préambule
Il existe en France, particulièrement en région parisienne, un potentiel culturel, artistique et intellectuel berbère considérable. On sait que l’immigration berbère, notamment kabyle, est l’une des plus anciennes (dès le début du 20e siècle) et l’une des plus importantes [1] ; en région parisienne, elle représente sans doute une majorité de la population d’origine algérienne.
La présence longue et importante d’une population berbérophone a fait de la France un pôle de la vie culturelle berbère : dès le début des années 1930, Paris est un des hauts lieux de la chanson kabyle ; la France a été le lieu de naissance du disque, de la cassette, du disque compact et du livre berbères ; elle demeure un passage quasi obligé pour tous les créateurs et artistes berbères.
D’autre part, la situation d’exclusion de la langue et de la culture berbères qui a longtemps prévalu en Afrique du Nord après la décolonisation a eu pour conséquence, surtout en Algérie, le déplacement massif de l’activité berbérisante vers la France et Paris. La majeure partie de la production consacrée à la langue et à la culture berbères a été réalisée en France. Cette "délocalisation" a touché bien sûr les activités militantes berbères, culturelles et politiques, mais aussi la production et la formation scientifiques et une très large part de la production culturelle.
L’Université et la Recherche françaises n’ont jamais été de reste. Depuis le milieu du XIXe siècle les études berbères sont et restent une grande spécialité française et parisienne [2].
Les chaires de berbère ayant disparu en 1956 à Rabat et en 1962 à l’Université d’Alger [3], il s’en est suivi qu’un nombre considérable - une bonne centaine - de thèses de doctorat concernant le berbère ont été soutenues en France, surtout à Paris, mais également en province (Aix, Toulouse, Montpellier, Nancy...). Actuellement, malgré une internationalisation sensible, la France conserve une position hégémonique dans les Etudes berbères, tant dans la formation universitaire que dans la production scientifique.
Pourtant, malgré ce potentiel considérable, une histoire déjà longue et une réelle densité du tissu associatif berbère, la culture berbère en France reste peu visible, fragile, dispersée, inefficace, très en deçà de ses possibilités ; la cause principale de cette situation paraît être l’absence d’un lieu de visibilité fédérateur, autour duquel pourraient converger et se renforcer les nombreuses initiatives et actions particulières.
Cette absence de lieu fédérateur résulte de l’histoire et de la sociologie de la communauté berbère de France, caractérisée notamment par :
– une très longue phase d’immigration ouvrière, économiquement et culturellement très démunie ;
– l’absence d’un lien communautaire global formalisé ;
– la constitution relativement récente [4] et la grande fragmentation du tissu associatif berbère ;
– la forte individualisation des projets et initiatives, qui entraîne des concurrences et conflits tenaces entre les acteurs ;
– l’interférence, encore forte, de stratégies politiques d’origine maghrébine.
Ce sont d’ailleurs tous ces facteurs qui expliquent que plusieurs tentatives de fédération des associations berbères de France, initiées à partir de 1990, n’ont eu que des résultats limités.
Le projet
La création d’une Maison de la Culture Berbère permettra de donner à la culture berbère une visibilité à la hauteur de sa présence effective en France ; elle aidera à l’enracinement de la vie culturelle berbère dans un contexte clairement français, rendra plus efficaces les actions et favorisera les synergies dans ce domaine.
De nombreux indices permettent de penser que la conjoncture est favorable à une telle initiative :
– L’arrivée massive à l’âge adulte des nouvelles générations de jeunes d’origine berbère dont les liens avec le pays d’origine sont plus lâches et dont l’avenir est clairement en France, mais qui conservent un fort attachement à leurs racines ;
– L’élévation sensible du niveau général d’éducation de ces nouvelles générations, qui franchissent le cap du Baccalauréat [5] et arrivent à l’Université ;
– La présence en France de très nombreux intellectuels, artistes et créateurs berbères, notamment kabyles, présence renforcée par la violence endémique en Algérie ;
– Enfin, une évolution positive de l’opinion et des instances françaises quant à la place des langues et cultures d’origine étrangère en France. La notion de "langues de France" qui s’est imposée à l’occasion du débat (1999-2000) autour de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, intégrant dans le patrimoine linguistique de la France des langues comme le berbère, manifeste clairement cette situation nouvelle.
Objectifs
Il s’agira de créer à Paris un pôle permanent pour la culture berbère, neutre et indépendant, qui aura pour missions :
– d’assurer l’information, la documentation, l’animation et la promotion culturelle en direction du public large ;
– d’être un lieu de rencontre, d’initiative, d’encouragement et de coordination en matière d’action culturelle berbère en France ;
– de contribuer à la préservation du patrimoine et de la mémoire berbères de France.
L’action de la MCB aura une dimension sociale forte ; elle aura pour souci permanent de s’adresser au grand public et tout particulièrement d’associer la communauté berbère de France à ses activités.
La Maison de la Culture Berbère interviendra notamment dans les domaines suivants :
1. Constitution d’un fonds documentaire, accessible au public, sur les Berbères, leur langue, leur culture et leur histoire ;
2. Constitution d’archives de la mémoire et de la culture berbères de France (collection d’objets, conservation et exploitation d’archives de personnalités de la culture berbère) ;
3. Constitution d’archives sonores et visuelles de la culture berbère ;
4. Animation, et information sur les Berbères en direction d’un public large : conférences, expositions, manifestations et activités culturelles diverses ;
5. Initiatives en faveur de la promotion de la culture berbère en France : aide directe ou indirecte à tout projet culturel berbère ;
6. Enseignement, en direction du public large. Cette action de formation portera sur tous les aspects de la culture berbère : la langue, la littérature et les arts.
7. Edition et aide à la création dans tous les secteurs de la production berbère (livre, tous types de supports sonores et visuels).
Dans tous ces domaines, l’action de la MCB sera conçue comme complémentaire de celle des institutions publiques existantes (Universités, Recherche, Musées, INA…) avec lesquelles elle cherchera à mettre en place les partenariats et collaborations nécessaires.
Statut et financement
Association loi de 1901 ayant vocation à devenir fondation reconnue d’utilité publique.
Une autre possibilité, certainement la plus intéressante mais qui dépendra de la réception du projet par les partenaires institutionnels, serait de construire un Groupement d’Intérêt Public, dans le cadre des dispositions régissant les GIP du domaine de la culture (décret 91-1215 du 28 novembre 1991).
La MCB rassemblera des membres personnes physiques (membres-fondateurs), des institutions partenaires et des associations culturelles adhérentes.
Le soutien matériel de la Mairie de Paris paraît être un paramètre décisif pour la mise en place et le démarrage du projet ; elle pourrait fournir des locaux ainsi qu’une subvention de fonctionnement.
D’autres soutiens publics seront immédiatement recherchés : en priorité celui du Ministère de la Culture (aide au démarrage, subvention de fonctionnement, conseil technique et juridique), du Ministère de l’Education Nationale, du FASILD et des établissements universitaires intervenant dans le champ berbère, qui pourront soutenir le projet par des subventions de fonctionnement et/ou des mises à disposition de personnel : l’INALCO, en premier lieu, mais également l’Université de Paris-8, l’EHESS et le CNRS (cette liste n’étant bien sûr pas exhaustive).
Les organismes et institutions internationaux seront aussi sollicités : Union Européenne, UNESCO, AUF…
Des dons privés, émanant notamment de la communauté berbère de France seront sollicités, dans le strict respect de l’indépendance de la fondation.
Fonctionnement [6]
Pour assurer à la fois la représentativité, la crédibilité et l’indépendance de la future fondation, celle-ci sera gérée par un Conseil d’administration composé de :
1. Membres fondateurs ;
Ces membres fondateurs seront exclusivement :
a- des personnalités scientifiques et culturelles du domaine berbère (universitaires et artistes) ;
b- des personnalités scientifiques et culturelles amies de la culture berbère ;
2. Membres de droit ;
Il s’agit des représentants de la Mairie de Paris, du Ministère de la Culture, de l’Education nationale, du FASILD, de l’INALCO et autres institutions universitaires et scientifiques partenaires.
3. Représentants des associations culturelles berbères adhérentes.
[1] Près de 1.500.000 berbérophones en France.
[2] Au point que les berbérisants non-français (Danois, Allemand, Néerlandais…) préfèrent souvent rédiger et publier leurs travaux en français, ce qui est une situation assez exceptionnelle dans le domaine scientifique. Et Paris et Aix-en-Provence sont, au niveau documentaire, des passages obligés pour tout berbérisant.
[3] Ce n’est qu’à partir de 1990/91 que les études berbères retrouvent une place dans le champ universitaire algérien, avec la création des deux départements de langue et culture berbères des universités de Tizi-Ouzou et Bejaïa.
[4] Le réseau associatif berbère en France est certes actif et implanté sur tout le territoire, mais il n’a guère plus de 20 ans. Avant 1981, les associations berbères se comptaient sur les doigts d’une main !
[5] 1850 candidats ont présenté l’épreuve facultative écrite de berbère au Baccalauréat 2002.
[6] On n’évoque ici que les principes généraux qui devront guider l’organisation et le fonctionnement de la fondation ; un projet complet de statut sera rapidement élaboré après les consultations préalables indispensables.