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Hommage à Mohya

Le Moh’ Lière de chez nous. A win i ttr’ağun r’ebbi

par Moussa Lebkiri

jeudi 23 décembre 2004, par webmestre

Tout d’abord, merci à Tamazgha d’avoir honoré la mémoire du poète Mohya en lui rendant un hommage.

Je suis touché par sa disparition, par la perte de l’homme de combat et l’humaniste qu’il était. Mohya était un homme de conviction, intègre.

J’ai eu la chance de faire mes premiers pas dans le théâtre kabyle avec lui dans les années 1980, à l’ ACB de Paris. J’étais son metteur en scène et cela pendant deux ans.

Il m’a beaucoup apporté, moi qui pratiquait un théâtre des plus conventionnels, école française oblige !
J’étais loin de soupçonner que notre langue kabyle pouvait être à la hauteur des grands hommes de théâtre tels que Becket, Molière, Pirandello etc.
Oui, Mohya les a traduits !

Hélas, on ne peut que déplorer l’absence de notre public aux représentations de ses pièces. Il faut dire que le théâtre n’est pas une expression coutumière chez les Kabyles. Mais quand le public est là, il sait donner la réplique aux personnages de Mohya comme le témoigne cette anecdote :

"Lors d’une représentation de "Tacbaylit" (la jarre ), l’acteur, très convaincant, se mit à déclamer sa tirade : "lluz’eγ, lluz’eγ, lluz’eγr" (j’ai faim, j’ai faim...").
Soudain, la réplique se fit entendre dans la salle ; une femme bien traditionnelle se lève et lui dit texto en kabyle : "A mmi, mon fils, je ne savais pas que tu avais si faim sinon je t’aurais amené du pain."

Mohya sait puiser dans le répertoire de la vie des gens pour nourrir les personnages de ses pièces.

Je me rappelle de Mohya venant à L’ACB avec des chaussures trouées. J’ai demandé à Bében que l’ACB lui paie au moins ses droits d’auteur à défaut de salaire. C’était légitime, pour moi, qu’un homme de théâtre, écrivain, poète puisse recevoir son dû. Mohya n’a jamais rien réclamé, pas un sous pour tout ce qu’il faisait. Il donnait, il était généreux... le mercantilisme ne l’intéressait pas.

J’ai rarement vu un bonhomme être ce qu’il écrit ; ses personnages lui ressemblent comme deux gouttes d’eau. Il est un peu le "pauvre Martin" de Brassens dont, par ailleurs, il a fait une traduction chantée par Djurdjura. Il a travaillé pour une grande cause, celle de la reconnaissance de notre culture.
Il était discret, plus que discret, invisible. Il se faisait rare à ses propres représentations, de crainte d’être cité ou amené de force sur scène aux saluts.
Timide ? non, plutôt pudique.
C’était un homme de l’ombre mais la lumière était à l’intérieur de l’homme. Il n’avait pas besoin des projecteurs pour briller ; il brillait.

Je l’appelais le Moh’ lière de chez nous parce qu’il a su donner une âme kabyle, une plume kabyle à ses œuvres. En effet, Il s’agit bien d’œuvres car ses traductions sont des réécritures. Il y a un esprit bien Mohya quand vous lisez le "Tartufe" de Molière qui devient "Si pertuf". Et si l’on s’amusait à retraduire "Si pertuf". de Mohya en français, Molière lui-même ne se reconnaîtrait pas.

Mohya est inventif, il est ciseleur de mots, il est conteur.
Il est l’oralité, cette oralité qui nous est si chère, qui nous a bercée.
kanoun de l’enfance et nos grands-mères raconteuses lorsque j’entends la voix de Mohya dans ses cassettes.

Comment peut-on imaginer, que, de sa petite épicerie de Saint-Ouen, ce petit bonhomme, haut comme trois pommes et grand comme un géant par son verbe, soit aussi créatif.

Il est tant maintenant de comprendre son œuvre, son message.
Ses étoiles sont à la portée de nos yeux et de nos mains...

Adieu l’ami.


Moussa Lebkiri

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Moussa Lebkiri lors de la veillée du 12 décembre 2004 à Paris