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« Alger Confidentiel » : Paix à leur bon sens !
Au sujet de la série « Alger Confidentiel » diffusée par "Arte"
jeudi 28 avril 2022, par
"Paix à leurs armes" est le titre du roman de l’écrivain allemand Oliver Bottini qui a servi de trame à la série "Alger confidentiel" diffusé en février dernier par Arte. Le scénario de la série, tournée au Maroc, a été signé Abdel Raouf Dafri. La traduction de ce polar, paru en allemand, a été publiée en 2016 aux éditions Piranha.
La diffusion de cette série a provoqué une levée de bouclier dans les milieux amazighs, notamment kabyles. C’est au début du deuxième épisode qu’on distingue un drapeau amazigh sur le mur d’une planque dans laquelle deux Allemands enlevés ont été séquestrés et torturés par un groupe de jeunes terroristes qui rêvent de mener une « révolution propre » pour renverser le régime.
Afin de démêler cette situation, nous avons cherché à savoir ce que dit exactement l’auteur de ce roman policier des Kabyles et de la Kabylie.
Le roman
Constantine, octobre 2012. Peter Richter, cadre de « Elbe Defence », une importante entreprise d’armement allemande et son garde de corps sont enlevés par un groupe armé « terroriste ». Si les services secrets algériens privilégient immédiatement la thèse d’Al-Qaïda, pour Ralf Eley, chargé de la sécurité à l’ambassade d’Allemagne, quelque chose ne colle pas. Malgré les mises en garde de l’armée algérienne et de son ambassade, il décide de mener sa propre enquête. Les pistes qu’il suit le conduisent à une mystérieuse organisation appelée « ceux qui chassent les infidèles » (p. 47) manipulée par une aile de l’armée algérienne qui mène une guerre contre un clan adverse pour l’accession au pouvoir et qui se sert de réseaux terroristes pour éliminer les rivaux.
« Berbères » et « Kabylie »
Les événements se déroulent lors de « la décennie noire ». L’auteur parle d’une Algérie « menacée de l’intérieur par al-Qaïda, les partis islamistes, les revendications d’autonomie des Berbères » (p. 23).
Il porte dès les premières pages un regard bienveillant sur la Kabylie. Il récuse toute implication des Kabyles dans l’enlèvement de ressortissants étrangers, même si certains des membres de la cellule sont « Kabyles », comme Jamal Benmedi, petit fils de « Dihia », une combattante tombée sous les balles de l’armée française lors de la « guerre d’indépendance ». Ce personnage dont le père a été enlevé et probablement tué par l’armée à Alger, se veut musulman et arabe.
« – Nous allons aujourd’hui en ville. Au cas où vous souhaiteriez quelque chose de précis…
– De la viande. Et une bière fraîche. Peut-on avoir de la bière, ici ?
– Ici ?
– En Kabylie ? »
Madjer sourit. « Oui, on peut avoir de la bière, ici.
– Vous êtes kabyle ?
– Non.
– Et vos hommes ?
– Certains sont kabyles, d’autres targuis, la plupart arabes. Mais il y a également des chrétiens parmi nous. Saviez-vous qu’il y avait beaucoup de chrétiens en Kabylie ?
– Non.
– Un quart de million », dit Madjer. » (p. 175)
Les Kabyles sont-ils responsables de cet enlèvement ?
« Et les Kabyles ?
– Ils n’ont aucun problème avec les étrangers, uniquement avec le gouvernement. » (p. 36)
« Pas les Berbères dans le nord, ils étaient politisés, réclamaient leur autonomie, défendaient leur culture, n’étaient pas des criminels. » (p. 37)
L’auteur fait également référence dans son polar aux excellents romans de Mouloud Mammeri et de Tahar Djaout (p. 98), puis décrit une Kabylie qui subit le terrorisme et les ratissages incessants de l’armée.
« Août 2008 avait été un mois sanglant pour la Kabylie. » (p. 206).
Le drapeau amazigh, objet de la colère, est évoqué par l’auteur, mais pour identifier un symbole de lutte des Berbères. Il décrit Tizi Ouzou :
« Tizi-Ouzou, la « colline des genêts », quatre-vingt-dix mille habitants, une ville universitaire négligée au pied de Sidi Belloua, fondée en 1858 par les Français, habitée principalement par des Kabyles, les Berbères du nord de l’Algérie. Une architecture fonctionnelle et sans pompe, des rues et des trottoirs en pire état qu’à Alger. Des détritus, des sacs en plastique éclatés, mais en contrepartie beaucoup de verdure, des arbres, du lierre. Et un peu partout, le drapeau bigarré des Berbères, trois rectangles horizontaux, bleu, vert et jaune, avec le signe pour « hommes libres » dans l’écriture symbolique des Berbères (…) À Tizi-Ouzou également, les rues étaient pleines de soldats et de policiers. Une région agitée et rebelle, pauvre, qui plus est. Tous ceux qui étaient venus de loin pour la soumettre s’y étaient cassé les dents : les Phéniciens, les Romains, les Turcs, les Arabes, les Espagnols, les Français et, après 1962, les politiciens du FLN d’Alger qui s’étaient juré d’arabiser également les Berbères. Les Kabyles, de la famille des Targuis, réclamaient déjà depuis l’Indépendance davantage de droits et d’autonomie culturelle. Ils avaient à moult reprises manifesté contre la politique d’arabisation du gouvernement et avaient eu à déplorer des morts, notamment lors du « Printemps berbère », en 1980, et du « Printemps noir », en 2001. » (p. 219).
L’auteur ne parle d’aucun drapeau amazigh brandi ou revendiqué par les terroristes qui se présentaient comme étant « majoritairement arabes ». C’est dans cette page uniquement ou le drapeau berbère est évoqué.
Mauvaise foi
Le roman et la série sont certes des fictions, mais que le scénariste verse dans l’anti-berbérisme primaire en associant les Kabyles et la Kabylie au terrorisme est scandaleux et incompréhensible. L’auteur du roman a certes parlé longuement de la Kabylie parsemée de maquis terroristes. C’est dans ce territoire qu’une grande partie de la trame de cette fiction se déroule. Il explique, d’ailleurs, que la Kabylie est d’abord victime de la terreur des islamistes jihadistes et du pouvoir militaire. Que la trame d’une fiction se déroule en Kabylie ne signifie pas que le mouvement identitaire qui y milite pacifiquement pour des droits est terroriste. Faire du drapeau amazigh l’emblème d’un groupe terroriste relève soit de l’ignorance la plus crasse soit de la pure mauvaise foi.
Si les Kabyles sont des méchants terroristes pour le scénariste (série), le Maroc est, de son côté, un paradis, une échappatoire (roman) ; c’est dans ce pays que Ralf Eley et son amie Amal Samraoui, juge d’instruction algérienne, ont passé leurs vacances en amoureux à Mogador (Essaouira) et à Tanger. C’est à travers ce pays également que Ralf Eley, recherché en Algérie après avoir enquêté sur l’enlèvement de deux allemands, a fui vers l’Espagne. Il avait été aidé à traverser la frontière vers le Maroc par des contrebandiers qui travaillaient pour un membre influent des services algériens. Cette fuite de Ralf, à travers le Maroc, est bien sûr occultée dans la série.
Le polar « Paix à leurs armes » est captivant. Il décrit une période charnière de l’histoire, à savoir l’émergence des groupes armés islamistes en Algérie et les menaces qui pesaient sur plusieurs pays qui avaient fait face à des manifestations pacifiques dites « printemps démocratiques » dont la Libye, la Tunisie et l’Egypte. La série « Alger Confidentiel » a réduit cette fiction en un « manifeste » contre la Kabylie et les Berbères dans les esprits de la plupart des téléspectateurs amazighs outrés par cet outrage.
Aksil Azergui
Messages
1. « Alger Confidentiel » : Paix à leur bon sens !, 28 avril 2022, 11:45, par Gérard
Merci Aksil pour cet article de mise au point. Il met à jour ce que les berbères ne doivent pas accepter du côté des médias. Effectivement, le drapeau berbère n’a rein à faire dans ce documentaire d’Arté.