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Amnesty international : le malaise subsiste en Kabylie.

Un article de Sylvie Dewambrechies

lundi 5 mai 2003, par webmaster

Depuis les émeutes du printemps 2001, dont la répression a fait environ une centaine de morts, la Kabylie a été le théâtre de violences récurrentes. Le gouvernement, après avoir longtemps mis en avant le caractère arabo-musulman de l’Algérie, a fini par reconnaître la langue berbère comme langue nationale. En dépit de cette concession, le malaise subsiste dans la région.

…"Une nouvelle fois, les revendications identitaires kabyles se doublent d’exigences de progrès social, et de la remise en cause d’un système offrant peu de perspectives à une jeunesse de plus en plus marginalisée"


le 4 mai 2003


Depuis les émeutes du printemps 2001, dont la répression a fait environ une centaine de morts, la Kabylie a été le théâtre de violences récurrentes. Le gouvernement, après avoir longtemps mis en avant le caractère arabo-musulman de l’Algérie, a fini par reconnaître la langue berbère comme langue nationale. En dépit de cette concession, le malaise subsiste dans la région…

En Kabylie, la contestation ne date pas d’hier. Cette région montagneuse située à une centaine de kilomètres à l’Est d’Alger abrite les Berbères, nom donné aux tout premiers habitants de l’Afrique du Nord. Réputés frondeurs et rétifs aux influences extérieures, ils ont opposé une farouche résistance aux différents candidats à la conquête de l’Algérie (les Romains, les Arabes, les Turcs, les Français…).

L’islamisation s’est définitivement imposée au XIIe siècle en Kabylie [1], mais les Kabyles ont conservé une langue et une culture spécifiques, auxquelles ils sont fortement attachés. Une particularité qui ne fut toutefois pas reconnue lorsque l’Algérie accéda à l’indépendance en 1962. « Nous sommes arabes, nous sommes arabes », proclamait d’ailleurs Ahmed Ben Bella, le premier président de la République d’Algérie, en 1963 [2]. La même année, la Constitution du pays ne reconnaît qu’une seule et unique langue officielle : l’arabe.

Un printemps qui en rappelle un autre

En avril 1980, la préfecture de Tizi-Ouzou interdit la tenue d’une conférence sur la poésie berbère ancienne, en raison de prétendus risques de troubles à l’ordre public. Cette décision met le feu aux poudres. Les étudiants de la ville, l’une des principales de Kabylie, clament leur indignation, s’opposent à la politique d’arabisation et revendiquent le droit au respect de leur identité culturelle. La contestation s’étend à d’autres couches de la population et, bientôt, les slogans remettent en cause le pouvoir algérien tenu par le Front de Libération National (FLN), alors parti unique. La répression sera sévère, se soldant par des milliers d’arrestations.

De façon aussi tragique qu’ironique, les révoltes de 2001 ont débuté 21 ans, presque jour pour jour, après le premier « printemps berbère », commémoré le 20 avril de chaque année en Kabylie. Le détonateur a été, cette fois, la mort d’un jeune lycéen, Massinissa Guermah, dans un poste de gendarmerie situé à une vingtaine de kilomètres de Tizi-Ouzou. Le bilan des violentes émeutes déclenchées par ce drame est très lourd. Selon Amnesty International [3], « au cours des mois d’avril à juin 2001, plus de 80 contestataires non armés ont été tués par les forces de sécurité, et des centaines d’autres blessés ». Amnesty a également recueilli des informations selon lesquelles « des dizaines de civils, notamment des jeunes de 15 ans seulement, ont été victimes de torture (…) après avoir été appréhendés par les forces de sécurité dans le cadre de manifestations ».

Une commission d’enquête, mise en place par le président Abdelaziz Bouteflika le 30 avril 2001, a reconnu par la suite que « la gendarmerie et d’autres services de sécurité avaient employé abusivement la force meurtrière ».

Quelques concessions

Depuis lors, les troubles se sont poursuivis de manière récurrente. Le gouvernement algérien semble pour sa part manier la carotte et le bâton, en tablant sur un pourrissement de la situation. Il a certes répondu partiellement aux revendications des comités de villages (les Arouch), créés à la suite des émeutes de 2001, dans le but de canaliser la colère des manifestants. Le berbère a ainsi obtenu le statut de langue nationale en avril 2002 [4] et de nombreuses unités de gendarmerie ont quitté la Kabylie. Mais les autorités algériennes ont aussi, en octobre dernier, arrêté et emprisonné plusieurs délégués des comités de villages. Des comités qui réclament, outre des condamnations de justice pour la mort des manifestants tombés au printemps 2001, « l’instauration d’un État garantissant tous les droits socio-économiques et toutes les libertés démocratiques » [5]. Une nouvelle fois, les revendications identitaires kabyles se doublent d’exigences de progrès social, et de la remise en cause d’un système offrant peu de perspectives à une jeunesse de plus en plus marginalisée.

Sylvie Dewambrechies

Journaliste