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L’Azawad face aux atrocités de l’État malien et de Wagner

Entretien avec Bilal Ag Achérif, réalisé par Pascal Airault (L’Opinion).

mardi 7 novembre 2023, par Masin

Nous reproduisons ci-après un entretien de Bilal Ag Achérif, chef de l’armée de l’Azawad. Un entretien accordé à Pascal Airault, paru dans l’édition du 22 octobre 2023 du quotidien L’Opinion.
Nous tenons à remercier vivement le quotidien ainsi que l’auteur de nous avoir accordé l’autorisation de reproduction.

La Rédaction.

Bilal Ag Achérif : "Notre combat contre l’armée malienne et le groupe Wagner est existentiel"

« Tous les Azawadiens espèrent la défaite de Wagner et des FAMA, qui commettent des atrocités et posent des mines antipersonnelles sur notre territoire », confie le chef de l’armée de l’Azawad.

Secrétaire général du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA), Bilal Ag Achérif est aussi le coordinateur général de l’effort de guerre pour les groupes armés issus de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA) et du Cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP). En exclusivité pour L’Opinion, il fait le point sur les combats en cours contre l’armée malienne.

Pascal Airault : Quelle est la situation militaire au nord du Mali ?
Bilal Ag Acherif : L’armée malienne et les mercenaires du groupe Wagner ont commencé à attaquer nos positions il y a deux mois et demi à Tombouctou. Le gouvernement a tourné le dos à l’accord de paix en attaquant nos bases. Nous avons alerté la communauté internationale, notamment les pays médiateurs entre le Mali et les mouvements de l’Azawad signataires de l’accord de paix d’Alger. Cependant, celle-ci n’a pas condamné les atrocités commises par les forces armées maliennes (FAMa) et Wagner contre les populations civiles, particulièrement dans les régions de Gao et de Tombouctou, en plus de ce qu’elles ont fait et font dans le centre du Mali. La Coordination des Mouvements de l’Azawad (CMA) et la Plateforme du 14 juin, qui ont mis en place un cadre stratégique permanent pour la paix, la sécurité et le développement (CSP-PSD, alliance de mouvements armés qui a signé l’accord de paix avec l’État malien en 2015), ont décidé de se défendre et de protéger les populations et leurs territoires. Nous avons riposté et vaincu les FAMa qui occupaient les camps de Bourem, Léré, Dioura, Bamba et d’autres régions.

L’armée de l’Azawad combat au côté du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, rassemblement de plusieurs forces djihadistes dont Al Qaïda) comme semble en attester le déclenchement d’attaques suicides, récemment à Léré…
C’est faux. Il n’y a pas eu d’attaques suicides à Léré. L’opération a été menée par l’armée azawadienne. Le GSIM a bien sûr une présence sur le terrain et beaucoup de ses combattants viennent de l’Azawad, comme les nôtres. Depuis 2015, nous travaillons à la paix avec Bamako, contrairement au GSIM qui combat les FAMa depuis 2012. Aujourd’hui, tous les Azawadiens espèrent la défaite de Wagner et des FAMa, qui commettent des atrocités et posent des mines antipersonnelles sur notre territoire.

Quel est le bilan des combats selon vous ?
Les FAMa et Wagner ont perdu 300 soldats à Ber, Léré, Bourem, Bamba, Dioura… De notre côté, nous déplorons la perte de 45 martyrs. Il y a aussi de nombreux blessés de part et d’autre.

Combien détenez-vous de prisonniers ?
Nous avons fait beaucoup de prisonniers. Nous en avons libéré une dizaine que nous avons remis au Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ou directement à leurs familles. Nous en détenons toujours 18 que nous traitons bien, conformément à notre culture et au droit international.

Où en sont vos combats contre la colonne de l’armée malienne qui remonte vers l’extrême nord ?
Cette colonne est composée de 200 blindés, camions et véhicules tout-terrain. Elle est appuyée par un soutien aérien (drones TB2, Soukhoï, Albatros, hélicoptères). Elle est actuellement bloquée à Anefis dont nous nous sommes retirés pour éviter que les populations subissent des dommages collatéraux. Les FAMa et Wagner veulent prendre les camps de Tessalit, où nous avons beaucoup de difficultés à cause de la présence de la Minusma. Celle-ci permet aux avions de Wagner d’y atterrir. Nous évitons de nous battre dans les zones où se trouvent les Casques bleus. Les FAMa et Wagner ont aussi l’intention d’occuper Aguelhok et Kidal.

Vous semblez reprocher à la Mission des Nations unies au Mali (Minusma) sa partialité…
La Minusma était censée être une force neutre, veillant à la bonne application de l’accord de paix d’Alger. Or elle semble favoriser l’armée malienne, avec laquelle elle coordonne le retrait de ses troupes. Elle accélère ou retarde la remise aux autorités des camps qu’elle occupe dans le nord du Mali selon l’avancée des forces maliennes. Elle a donc pris parti pour l’un des belligérants. Notre peuple, qui avait auparavant une perception positive du rôle des Nations Unies, se sent trahi. Il craint de devoir vivre sous le joug des milices de Wagner et des FAMa. Nous avons écrit au secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, pour demander à son institution de respecter un minimum d’impartialité lors du retrait des forces de maintien de la paix. L’accord de paix stipule que les forces opérant dans le nord du Mali doivent être issues de l’armée reconstituée. Les FAMa ne peuvent à elles seules assurer la sécurité dans l’Azawad.

Pourriez-vous rendre plus difficile le départ des Casques bleus ?
Nous n’avons pas l’intention de le faire. Nous avons d’ailleurs permis aux soldats maliens, présents à Kidal dans le cadre de la force conjointe, de rejoindre l’aéroport de la ville tenue par les Casques bleus afin d’être évacués vers Bamako.

Comment avez-vous vécu la dissidence de certains groupes armés comme le Mouvement pour le salut de l’Azawad (MSA) qui restent du côté des autorités de Bamako ?
Ils sont libres de leur choix. Nous ne les avons pas exclus pour autant de nos instances de gouvernance. Nous sommes actuellement focalisés sur les opérations militaires.

Qu’en est-il de la présence de vos représentants auprès des autorités ?
Nous avons demandé à trois ministres de quitter le gouvernement. Ils sont restés à Bamako de leur propre chef. Ils travaillent aujourd’hui pour eux-mêmes. Nous avons aussi demandé à nos quinze officiers de quitter les organes de coordination militaire avec l’armée malienne qu’ils avaient intégrée en 2015.

Recevez-vous des renforts des Touaregs de la sous-région ?
Il y a beaucoup de solidarité de nos frères touaregs et arabes des différents pays de la région. Nous n’avons pas de problème d’effectifs et nous savons où trouver des combattants. Chaque jour, nous recevons déjà des renforts de nos communautés de l’Azawad. Il s’agit d’une question existentielle pour nos populations. Notre principale difficulté réside dans l’approvisionnement en munitions, le soutien financier et la logistique pour soigner nos blessés.

« Pour sortir de l’impasse, nous devons repenser toute l’architecture de la paix et trouver un nouveau mécanisme. La Minusma se retire et ne pourra plus être garant de la bonne application de l’accord d’Alger »

Croyez-vous encore dans la médiation malienne qui a abouti aux accords d’Alger en 2015 ?
Il faut se rendre à l’évidence. Cette médiation n’a pas atteint les résultats escomptés. Les médiateurs n’ont pas pu empêcher la guerre et ne sont pas parvenus à faire entendre raison aux autorités à Bamako. Le groupe de médiation internationale n’est plus actif. Il n’a rien dit concernant les violations de l’accord de paix par les autorités maliennes. Nous ne voyons pas non plus d’autres acteurs intervenir. Pour sortir de l’impasse, nous devons repenser toute l’architecture de la paix et trouver un nouveau mécanisme. La Minusma se retire du Mali et ne pourra plus jouer son rôle de garant de la bonne application de l’accord d’Alger.

L’Organisation de coopération islamique (OCI) ou un pays nordique pourraient-ils reprendre le leadership de la médiation ?
L’OCI est déjà membre de la médiation internationale au Mali. Elle a joué son rôle pendant les négociations, mais n’a pas été appelée à en faire plus pour la mise en oeuvre de l’accord de paix. Nous avons surtout besoin d’un système impartial qui ne favorise pas le gouvernement malien.

Comment l’extrême nord est-il ravitaillé alors que plusieurs pays ont fermé leurs frontières ?
L’Algérie a officiellement fermé sa frontière en 2013. Elle l’ouvre de temps en temps, pour des raisons humanitaires, afin de laisser passer les produits de première nécessité. Nous contrôlons les zones frontalières où il n’y a pas eu d’incidents avec l’armée algérienne depuis 2012. Cela aurait dû conduire Alger à mieux évaluer notre rôle dans la coordination avec nos forces pour la réouverture de cette frontière. Il y a aussi des arrangements avec la Mauritanie en ce qui concerne les questions humanitaires et les échanges commerciaux. C’était également le cas avec le Niger, avant le coup d’Etat qui y a eu lieu. L’agression des FAMa et de Wagner a accru dernièrement les souffrances de notre peuple. Nous appelons la communauté internationale, l’ONU et les organisations humanitaires à prendre leur responsabilité au sujet du conflit. La présence des mercenaires de Wagner est un désastre pour notre région.

Propos recueillis par Pascal Airault (@P_Airault)

Droit de reproduction réservé, avec l’aimable autorisation de l’auteur et de l’éditeur. Paru le 22 octobre 2023 sur l’opinion.fr


Chef de guerre
Né en 1977 à Kidal, Bilal Ag Acherif a étudié en Libye où il a obtenu une maîtrise en économie. Parlant l’arabe et l’anglais, il est revenu au Mali en 2010. Un an plus tard, il est devenu secrétaire général du Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA). Depuis, il a été de toutes les négociations avec l’État malien avant de reprendre les armes il y a deux mois et demi. Il coordonne actuellement l’armée de l’Azawad.