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Reportage
Le masque ou la liberté de vivre le monde autrement...
Udayn n teâcurt
mardi 1er mars 2005, par
Le carnaval "Bu Wkeffus", connu également sous le nom "Uday n Teâcurt" (le Juif de Taâcurt), a été célébré les nuits des vendredi 18 et samedi 19 février 2005 à Tizi n Imnayen (Goulmima) dans le Sud-Est de Tamazgha occidentale. Tamazgha a tenu à réaliser un reportage et partager les moments forts de cette manifestation exceptionnelle avec les lecteurs de Tamazgha.fr...
Plus de 5000 personnes ont bravé le froid glacial qui sévit dans les vallées de Tafilalt pour occuper, comme chaque année, la grande place du village et les ruelles avoisinantes. Elles revendiquent et exercent un seul droit : celui de s’exprimer librement.
Moshé et Biha...
Vendredi, 18 février. Il est 23h00 à Tizi n Imnayen. L’homme n’a pas d’âge, mais possède un pseudonyme que tous les jeunes se donnent cette nuit : Moshé. Il porte un masque de singe et des haillons cachant son corps maigre. Ses lèvres béantes sont couvertes d’un sparadrap entaché de sang. Il marche difficilement pour traverser la foule géante et compacte qui s’est formée spontanément. Il parle, hurle et gesticule.
Le verbe limpide. La voix chaude. "Moshé" d’une nuit, ne mâche pas ses mots : "Je porte le masque parce qu’il est mon dernier espace de liberté dans ce pays. Je le porte parce que ça déplait aux islamistes égorgeurs, aux imams haineux et aux flics corrompus jusqu’à la moelle... parce que le masque me fascine, m’amuse et me permet de dire mon refus, ma révolte et mon mécontentement. En gros de dire NON !"
Moshé poursuit : "Je me déguise pour dénoncer ouvertement les fossoyeurs des libertés, les Berbères de service qui ont vendu leurs âmes pour quelques pièces d’argent et les centaines de cadres de notre région qui ne reviennent ici qu’une fois sans vie ...".
Moshé, l’énième des acteurs refuzniks, fait partie des centaines de jeunes, d’enfants et d’hommes déguisés, qui ont défilé en toute liberté sous les regards de plusieurs autres milliers de personnes à la grande place d’Igoulmimen pour fêter "Bu Wkeffus".
Cette nuit, des centaines de personnes, masquées ont investi les ruelles escarpées du village plusieurs fois centenaire, dont le quartier juif (Mellah), pour rendre hommage aux Juifs berbères et surtout pour s’exprimer.
"Nra an-nini ayen aγ-izzayen γef wul" (nous voulons dire ce qui nous pèse sur le cœur), nous confie sans ambages l’un des participants déguisé en femme juive "Biha" aux habits multicolores. Il enfonce le clou : "je veux dénoncer la condition de la femme dans les pays musulmans, mineure à vie et perçue comme une machine destinée à procréer et à garder le foyer... Je veux également dénoncer le regard porté sur les Juifs. Ecrivez ça dans vos journaux et sur vos sites pour que tout le monde puisse le savoir. Nous voulons que ça change et que nos frères Juifs reviennent parmi nous !"
Pour d’autres, plus timides, la fête est une occasion pour déclarer leur flamme à leurs bien aimées. D’aucuns en profitent pour s’exprimer sur l’actualité nationale et internationale. Pour le faire librement, chacun met son masque, parfois excentriques. Ainsi, quelques-uns se sont déguisés en femmes enceintes et battues par leurs maris, en vieux écrasés par les années, en écologistes, en fous, en ânes et carrément en extraterrestre... Les enfants qui s’initient aux techniques du masque se déguisent en chats, en spider-man ou en infirmiers.
D’autres, plus revendicatifs et plus nombreux, ont choisi de s’exprimer autrement. Armés de beaux drapeaux berbères, de banderoles et de posters, ils revendiquaient le droit du peuple amazigh à la souveraineté. Un grand cercle s’est formé par une quarantaine de jeunes masqués, drapeaux aux vents pour scander des slogans hostiles à la politique d’arabisation et d’islamisation. Egalement pour revendiquer les droits politiques du peuple berbère en distribuant notamment des tracts incitant à la lutte pour le recouvrement de tous les droits du peuple berbère.
Attaques
Comme chaque année, le carnaval fait objet d’attaques. Tous les moyens ont été mis en œuvre, cette année, pour empêcher sa tenue. Des imams haineux ont ainsi prêché dans les mosquées de Goulmima contre la célébration de ce festival présenté comme étant contraire à la religion musulmane. Des partis islamistes ont également fait du caractère juif de cette fête leur cheval de bataille. Boiteux semble-t-il !
"Toutes ces attaques produisent des effets contraires", fait remarquer un participant. "La preuve : de plus en plus des personnes bravent les gueux impuissants des renseignements ainsi que les barbus et viennent assister et se déguiser" avant de poursuivre : "Mon rêve c’est de développer ce carnaval et d’en faire un moteur pour développer la région, laissée pour compte, sur le plan économique".
Evolution
Lhou B a 60 ans. Plein de vie, il garde encore une allure juvénile. Ce grand amoureux des masques et de la culture juive, fabrique "imγarqecbuten" (les masques) dans sa coquette maison construite au cœur de la palmeraie de Tizi n Imnayen.
Il prenait part à la fête depuis sa tendre enfance. Pour lui "Le carnaval a connu une évolution énorme. Durant les années 50 et 60 du siècle passé, peu de gens participaient à la fête. Ils portaient des masques fabriqués de bois ou de peaux de moutons ou enduisent leurs visages avec de la suie, d’où son nom Bu Wkeffus".
"Au fil des années, le carnaval a pris des dimensions grandioses, notamment avec l’avènement du plastique. Ainsi des masques modernes ont fait leur apparition dans les années 1970. Des acteurs "puristes" continuent de nos jours à confectionner des masques à partir du bois de palmier, du cuir ou du tissu", explique Lhou. Les masques utilisés seront jetés par la suite. D’autres seront créés pour les années à venir.
Pour lui, la fête est une occasion pour "dire ce qu’on ne peut pas dire, faire ce qu’on n’ose pas faire au quotidien. Elle permet également de se décharger de l’agressivité et de s’exprimer, vu l’exclusion des Berbères des canaux traditionnels de communication. Face à la pression qui sévit, les jeunes deviennent de plus en plus agressifs. "Bu Wkeffus" est une sorte de thérapie collective où chacun dit ce qu’il veut dans le respect des valeurs et de la morale, note-t-il.
Des jeunes du village, exilés dans les grandes villes du Nord loin de leurs belles et pauvres vallées, font le déplacement pour assister au carnaval. Nouri est l’un d’eux. Jeune militant connu de la cause amazighe et infirmier de profession, il n’a jamais raté aucune édition. "Je participe pour perpétuer ce formidable carnaval et pour m’exprimer sur l’actualité". Mais, il ne cache pas son inquiétude quant au risques de voir disparaître un jour le carnaval : "Les attaques se multiplient contre la tenue de cette manifestation qui dérange. On ne sait jamais ce qui en adviendra".
"Rares sont les femmes et les jeunes filles du village qui prennent part à la fête. Elles assistent, c’est tout", nous confie, pour sa part, cette jeune lycéenne venue prendre des photos des jeunes déguisés. "C’est devenu plus dangereux qu’avant. En plus, nombreux sont ceux qui se déguisent en femmes. Notre absence est alors comblée...", poursuit-elle ironiquement.
L. Azergui
Tizi n Imnayen
– Echos du carnaval
– "Bu wkeffus", une tradition judéo-berbère perpétuée à Tizi-n-Imnayen
– Udayn n Âachour ou Amγar Qecbu
Messages
1. > Le masque ou la liberté de vivre le monde autrement... , 3 septembre 2005, 19:50, par tabet
azul amokrane pour tous imazighene nadounith de la part de amirouche an toudja et rachid achanoui de tipasa
bon courage à tous .