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Mouvement amazigh : "le nécessaire sursaut"...

Déclaration de Tamazgha

jeudi 24 avril 2025, par Rédaction-Tamazgha

A l’occasion du 45e anniversaire du Printemps amazigh de Kabylie, l’ONG Tamazgha s’exprime à travers une déclaration, datée du 23 avril 2025, et dresse un état des lieux de la situation à travers le pays amazigh, une situation qu’elle juge "des plus difficiles" de l’Histoire des Amazighs qui sont "confrontés à des régimes violents et autoritaires qui profitent d’un contexte mondial propice aux dictatures" pour commettre "leurs crimes dans l’indifférence d’une communauté internationale qui regarde ailleurs". Tamazgha appelle les mouvements amazighs à revoir leurs stratégies et leurs méthodes de travail et de lutte "pour sortir de la dangereuse impasse dans laquelle ils se trouvent" et juge qu’un sursaut amazigh s’impose si nous ne voulons pas disparaître.
Nous publions ci-après l’intégralité de la déclaration de Tamazgha.

La Rédaction.

Tripoli, septembre 2011

Printemps amazigh de 1980, quarante-cinq après :
la mémoire, la prison et la résistance

DÉCLARATION

Quarante-cinq ans après le Printemps berbère de Kabylie de 1980, les Amazighs traversent une période des plus difficiles de leur Histoire. Confrontés à des régimes violents et autoritaires qui profitent d’un contexte mondial propice aux dictatures, ils commettent leurs crimes dans l’indifférence d’une communauté internationale qui regarde ailleurs. Aucune région de Tamazgha, ou presque, n’est épargnée : elles subissent par ricochet des politiques étatiques hostiles lorsqu’elles ne sont pas éradicatrices. En effet, l’amazighité demeure une épine pour les États du Nord comme du Sud confondus. Et aujourd’hui, nous assistons, hélas abasourdis, à une répression qui traverse les frontières. En 2025 Tamazgha saigne, elle résiste en sourdine.


LA DICTATURE ALGERIENNE RENOUE AVEC L’ARBITRAIRE TOTAL
La Kabylie, fer de lance du combat amazigh, a réussi à briser le mur de la peur et du silence en 1980, et a pu ouvrir la voie de la contestation ouverte en affrontant la dictature algérienne. Elle se retrouve à nouveau soumise à la terreur de ce même régime qu’elle a pourtant bravé des décennies durant. Nous constatons que ce dernier, animé par l’idéologie arabo-islamique, un entre-soi anxieux et mortifère, ne renonce pas à son projet d’éradication de l’amazighité, et ce, même s’il a cédé à certaines exigences du Mouvement culturel amazigh.

En réalité, il ne s’agit que d’une stratégie d’assimilation dans son modèle politico-idéologique pour démembrer et ensuite phagocyter le mouvement. Il a réussi, pour le moment, à rendre la Kabylie inoffensive et à semer la terreur aussi bien en Kabylie qu’au sein de sa diaspora. Depuis l’assassinat de Lounes Matoub suivi des massacres de 2001, cette "dictature pilotée par une oligarchie militaire" a adopté une méthode offensive et violente en faisant taire toutes les voix dissonantes mettant en prison toutes celles et tous ceux qui nuisent à ses intérêts et qui refusent de "rentrer dans les rangs" tout en criminalisant l’action politique notamment par l’instauration d’un nouvel article dans son code pénal qui qualifie de terroriste les mouvements d’opposition qui le dérangent. Ces derniers sont poursuivis et condamnés en conséquence. Les militants politiques kabyles se retrouvent en première ligne de cette répression et de cette criminalisation : trente-sept personnes ont été condamnées à mort au terme d’un simulacre de procès qui a duré moins d’une semaine. Aujourd’hui, la voyoucratie algérienne se croit tout permis tant que nous ne réagissons pas. La répression a certes changé de visage, mais pas de logique.
Le cynisme du régime algérien est l’instrumentalisation des symboles qu’il n’a de cesse de combattre. Avec la complicité des élites locales en Kabylie, il célèbre aujourd’hui ce qu’il a farouchement combattu hier et réprime aujourd’hui : le régime a son Yennayer, son Mohya, son "20 avril", sa JSK... La guerre de dépossession par la répression et l’oppression a déjà commencé.

La brutale répression qui a frappé les Mozabites entre 2014 et 2019 dont plusieurs militants croupissent toujours en prison en est une preuve affligeante. Beaucoup d’entre eux ont été réduits à un exil forcé.

LA MONARCHIE DE LA PERVERSION A LA REPRESSION
À l’Ouest, la monarchie alaouite qui s’est approprié ce territoire appelé Maroc avec l’aide de forces coloniales française et espagnole notamment, n’a rien à envier à la voyoucratie algérienne : elles partagent la même idéologie mortifère à l’endroit de l’amazighité. La stratégie « d’intégration » à la monarchie parait à court terme plus efficace, plus subtile pour faire rentrer dans les rangs une bonne partie de l’élite amazighe. Par ailleurs, à travers ses institutions répressives, cette monarchie poursuit une politique de marginalisation politique, culturelle et économique à l’encontre de la région du Rif, contribuant ainsi à un exode progressif de sa population.

Les prisonniers politiques rifains, notamment Nasser Zefzafi — figure emblématique du mouvement de contestation ayant émergé dans le Rif entre 2016 et 2017 — ainsi que Nabil Ahmjiq, Ouassim Boustati et Samir Ighid, ont été arbitrairement condamnés à vingt ans de réclusion pour « complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’État » alors qu’ils n’ont fait que participer à la mobilisation des populations du Rif qui ont investi les rues pour exiger des droits sociaux et économiques et dénoncer les diverses injustices qu’ils subissent. L’accusation d’atteinte à la sécurité de l’État reste le dénominateur commun des mécanismes de répression de l’amazighité des régimes algérien et marocain.

Dans le Haut Atlas, les conséquences du séisme du 8 septembre 2023 continuent, encore aujourd’hui, de peser lourdement sur les populations locales. De nombreuses familles sinistrées vivent toujours sous des abris de fortune, malgré les engagements de l’État en matière de relogement et malgré les aides considérables fournies par les organisations humanitaires nationales et internationales. Cette situation s’accompagne d’un climat de répression judiciaire à l’encontre des voix critiques. Le 4 mars 2025, la cour d’appel de Marrakech a condamné à un an de prison ferme Saïd Ait Mehdi, coordinateur de la Coalition des victimes du séisme d’Adrar n Dren (Haut-Atlas). Trois autres personnes impliquées dans la même affaire ont écopé de peines de quatre mois de prison ferme.
Par ailleurs, les revendications du Mouvement amazigh, portant sur la généralisation de l’enseignement de la langue amazighe et son intégration effective dans les administrations publiques, demeurent largement insatisfaites. Et ce, en dépit de l’officialisation de cette langue dans la Constitution marocaine révisée en 2011.

LES TOUAREGS, AMAZIGHS DE TENERE, FACE A UN ENIEME ETHNOCIDE.
La partie Sud de Tamazgha (ou monde touareg), subit depuis 1963 des épisodes de répressions, de rébellion, de dialogue avec des signatures d’accords. Les États, créés de toutes pièces par la France coloniale, ont de tout temps pratiqué une politique de marginalisation, de discrimination et de répression avec des épisodes d’épuration ethnique comme c’est le cas actuellement et ce depuis la prise du pouvoir en 2020 par des militaires putschistes à Bamako. Mais c’est surtout à partir de l’été 2023 que la situation s’aggrave et que les Touaregs traversent à nouveau un épisode dramatique. Exécutions sommaires individuelles et collectives, enlèvements, arrestations, usage d’armes de guerre face à des civils sans défense, pillages, viols, dommages matériels sur des biens publics (infrastructures) et particuliers, dommages sur l’environnement, etc. font partie du quotidien des populations civiles notamment de l’Azawad, mais, dans une moindre mesure, l’Aïr aussi n’est pas non plus épargné.

En effet, une grande partie de la population de l’Azawad a dû fuir ses terres pour échapper aux exactions d’un régime putschiste sanguinaire. Les Forces armées maliennes (FAMA) soutenues par les mercenaires russes du groupe paramilitaire ’Wagner commettent les pires exactions sur les populations civiles notamment villageoises et nomades : assassinats, viols, arrestations, emprisonnements, pillages, vol de bétail. Des campements, des infrastructures publiques, des marchés sont visés par des frappes de drones de fabrication turque faisant énormément de dégâts humains et matériels. Et ce sont les populations civiles les plus vulnérables (vieillards, femmes, enfants) qui sont visées. Ces exactions accompagnées de l’instauration de la terreur dans le pays visent à vider de leurs habitants toutes les zones dont le sous-sol est riche en minerai (or, uranium, cuivre, terres rares, etc.). Les Touaregs font face à une véritable épuration ethnique qui ne dit pas son nom.

Les mouvements de l’Azawad avec lesquels l’État malien a signé les accords d’Alger en 2015 sont désignés aujourd’hui comme mouvements « terroristes ». Les indépendantistes touaregs sont ainsi criminalisés au même titre que les mouvements djihadistes.

La communauté internationale, quant à elle, reste silencieuse et indifférente devant ces exactions et ne semble pas vouloir agir pour faire cesser la folie meurtrière à laquelle s’adonne la junte malienne.

Tamazgha dénonce cette lâcheté de la communauté internationale qui semble procéder à une hiérarchisation des malheurs que vivent les populations : comme s’il y avait des malheurs qui méritent leur émoi et leur soutien, et d’autres, comme ceux des Touaregs, qui ne les méritent pas.

LES AMAZIGHS DE LIBYE, SEULS CONTRE TOUS.
En Libye, la situation depuis 2011 n’a jamais connu de réelle stabilité. Kadhafi et son régime sont certes tombés, mais il y a une multitude d’opportunistes et d’autres chefs de milices et "gangsters" qui rêvent de devenir des "kadhafis", ces derniers sont tous instrumentalisés par des puissances étrangères attirées par l’exploitation du sous-sol libyen. Sur le plan idéologique, les différents clans qui se disputent le pouvoir n’ont rien à envier à Kadhafi et à son régime. Pour preuve, l’essentiel des lois qui régissent aujourd’hui la Libye sont celles de la grande "Jamahiriya arabe libyenne" de Kadhafi. À noter au passage que la Libye ne dispose toujours pas d’une constitution et sombre dans le chaos avec deux gouvernements qui doivent leurs existences à des milices et aux puissances étrangères qui les protègent.

Dans ce contexte d’instabilité, les Amazighs, qui disposent de leurs propres forces militaires qui assurent leur protection et celle de leurs territoires, n’ont cessé d’exiger l’adoption d’une Constitution juste qui consacre en particulier la diversité de la société libyenne et qui reconnaisse les pleins droits de l’ensemble des composantes de la Libye (Amazighs, Toubous et Arabes). Les Amazighs ont fait savoir leur opposition à un pouvoir militaire ou religieux. En même temps, et depuis 2011, s’appuyant sur leurs municipalités ainsi que le Haut Conseil des Amazighs de la Libye (HCAL), les Amazighs ont pris nombre de décisions unilatérales en faveur de la langue et de la culture amazighes. En effet, les Amazighs de Libye ne sont pas prêts à renoncer à la Liberté arrachée au prix du sang de leur jeunesse et ont su répondre à toutes les menaces qui les ont visés aussi bien celles venues des Forces armées arabes libyennes (FAAL) de Haftar que celles venues de certains groupes liés au gouvernement de l’ouest. Nous tenons à saluer leur abnégation et leur vigilance face aux menaces venant de l’intérieur comme celles venant de l’extérieur qui visent leurs droits et la sécurité de leurs territoires.
Comme nous l’avons toujours affirmé, nous serons toujours à leurs côtés dans leur combat pour que l’amazighité reprenne la place qui est la sienne sur sa Terre et que notre Histoire plusieurs fois millénaire soit libérée de ces idéologies qui tentent de l’enterrer.

DEFENDRE ET PROTEGER LES CANARIES.
Les Canaries, en tant que colonie espagnole, subissent de plus en plus une politique favorisant l’exploitation des ressources naturelles notamment au profit de l’industrie du tourisme qui profitent à des opérateurs étrangers, à des multinationales, dont le seul objectif est le profit sans se soucier des populations locales, de leur pays, de l’environnement et encore moins du patrimoine culturel et archéologique. L’urbanisation démesurée présente une menace incontestable sur nombre de sites archéologiques canariens. En plus de la paupérisation des Canariens les plus modestes, c’est ainsi le patrimoine identitaire, culturel et historique des Canaries qui est menacé par cette stratégie. Ces phénomènes qui sont rendus possibles par la complicité des autorités politiques espagnoles et leurs relais aux Canaries dissimulent des visées néocolonialistes : la Terre et la population sont exposées à une menace existentielle.
Des mouvements de contestations se constituent un peu partout à travers les îles, mettant en place des mobilisations pour s’opposer à ces politiques. C’est le cas notamment du grand mouvement "Salvar Canarias" (Sauver les Canaries) qui a organisé plusieurs manifestations pour dénoncer ces politiques visant à la "destruction" des îles. Aussi, des actions coup-de-poing s’organisent régulièrement pour tenter d’empêcher des projets précis.
Tout en dénonçant l’attitude des autorités politiques espagnoles à visées colonialistes, Tamazgha apporte tout son soutien à ces mouvements ainsi qu’aux Canariennes et Canariens qui se mobilisent pour la protection, la sauvegarde et la défense de leur Terre, ses biens et son patrimoine.

SERIEUSES MENACES SUR LES LANGUE ET CULTURE AMAZIGHES.
Les Etats mauritanien et tunisien, tous deux acquis à l’idéologie arabo-islamique misent sur le temps pour voir l’amazighité disparaître complètement sur les territoires qu’ils contrôlent. En effet, la faiblesse démographique des populations amazighophones (huit villages en Tunisie et quelques milliers de locuteurs en Mauritanie) et l’agressivité des politiques d’arabisation des deux Etats laissent très peu de chances à la résistance de la langue amazighe. Si en Mauritanie, où la langue est sérieusement menacée, on n’enregistre aucune manifestation ni expression en faveur de l’Amazighité, en Tunisie, une prise de conscience et une mobilisation d’une militance qui dépasse les cercles des populations amazighophones assure une visibilité très timide à l’amazighité malgré l’indifférence et le mépris total des autorités. Tamazgha leur exprime sa totale solidarité et les encourage à persévérer dans leurs actions de promotion de la culture amazighe.

LE NECESSAIRE SURSAUT.
Eu égard à cette situation que traverse le pays amazigh, L’ONG Tamazgha tient à dénoncer les politiques anti-amazighes de ces États et appelle les Amazighs à redoubler d’efforts pour revoir leurs méthodes et moyens de lutte et à considérer la force et les méthodes de nos adversaires.
En effet, les Mouvements amazighs, en fonction des contextes auxquels ils sont confrontés, doivent revoir leurs stratégies, leurs méthodes de travail et de lutte pour sortir de la dangereuse impasse dans laquelle ils se trouvent. Les régimes auxquels nous avons affaire ont mis en place des stratégies mortifères combinant assimilation, débauche, corruption, contrainte à l’exil, répression qui, dans certains cas, atteint l’épuration ethnique. Ils ont même réussi à démanteler les structures pan-amazighes mises en place et à mettre à mal les liens de solidarité et les passerelles bâties après des décennies de travail collectif. De notre côté, nous ne pouvons assister indifférents à notre propre disparition et à l’éradication de l’amazighité. Un sursaut amazigh s’impose et il ne dépend que de nous. Aujourd’hui, deux voies s’offrent à nous : vouloir vivre ou accepter de disparaître.

Tamazgha,

Paris, le 23 avril 2025.

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