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Séisme du Haut Atlas : la propagande comme cache-misère

dimanche 8 octobre 2023, par Rédaction-Tamazgha

Dans la nuit du vendredi 8 au samedi 9 septembre, un puissant tremblement de terre a frappé près de 7000 villages dans le Haut-Atlas, faisant plus de 3 000 morts et des milliers de blessés, selon un bilan provisoire rendu public le 14 septembre par le ministère de l’Intérieur et publié par l’agence de presse marocaine MAP. La gestion de cette tragédie et le mutisme pesant du gouvernement et surtout du roi du Maroc, ont été largement critiqués par les médias internationaux, et pas seulement les médias français comme veut le faire croire l’entourage du palais relayé par certains médias marocains.
Les médias français ont été particulièrement visés par une campagne de propagande nauséabonde orchestrée par le palais et ses relais médiatiques. Nous rappelons que des organes de presse britanniques, australiens, allemands, américains, israéliens, algériens, espagnols et d’autres encore ont été très critiques envers la monarchie et sa gestion de cette crise, sans provoquer la moindre réaction.

Le "nombrilisme presque pathologique" des médias français
Les critiques des médias internationaux concernant le silence du roi du Maroc qui, pour rappel, se trouvait en France au moment du séisme a dérangé en hauts lieux. Certains médias ont essayé d’expliquer le silence royal, reprochant aux Occidentaux leur méconnaissance des "codes" de la monarchie marocaine. C’est le magazine Jeune Afrique (octobre, n°3129) réputé très proche du palais, au point de se confondre avec lui parfois, qui ouvre le bal avec un dossier consacré à la gestion du séisme. Il reconnaît que "cette tragédie a fait apparaître un certain nombre de dysfonctionnements notamment en matière de gouvernance", affirmant qu’il faudrait opérer un "changement dans les mentalités et dans la culture politique" des responsables politiques marocains.

Le roi est bien sûr exempt de toute critique.
Dans une interview donnée à ce magazine, Mohamed Tozy, politologue marocain, étrille la France et ses médias (oubliant les autres médias internationaux), en utilisant les mêmes éléments de langage autorisés par le palais. Il ne porte aucun regard critique sur la gestion de la crise, mais défend maladroitement "son roi" auquel il cherche même des circonstances atténuantes. Tozy explique que "le roi privilégie la proximité avec les citoyens ordinaires sur la parole et les discours". Le silence royal ? "Il y a plusieurs éléments d’explication. Le premier étant une culture politique très différente de celles des pays occidentaux. Le roi n’est pas un personnage élu, il n’est pas en campagne, ça, c’est déjà une variable importante. Il est dans son rôle de chef de l’État tel que défini par la constitution. Et de ce point de vue, il n’a pas failli […]. Après il y a des actions symboliques fortes, qui renvoient d’abord à des traditions […] qui sous-tendent tout le protocole extrêmement sophistiqué et ses déplacements et apparitions, ainsi que la gestion du temps royal, régi par des traditions […] dont il n’est pas totalement maître et où bon nombre de choses s’imposent à lui".
Tozy nous explique que le roi a un "style très personnel" fait de "discrétion, d’une sorte de timidité, de pudeur".
Quand au retard qu’on a reproché au monarque marocain, il affirme que c’est lié à la "topographie du lieu du séisme, qui est extrêmement éclatée, étroite, et qui faisait que la présence du roi aurait pu constituer un obstacle pour ceux qui étaient encore en train de tenter de dégager des survivants".
Concernant les critiques des médias français, il explique que c’est lié à "une difficulté à reconnaître le droit à l’émancipation, d’une sorte de syndrome de protectorat" et d’un "certain nombrilisme presque pathologique de la France".
Quid de Reuters (agence de presse désormais canadienne, rachetée aux britanniques par Médias Thomson Corp), des médias américains (NYT, Washington Post), australiens (ABC News), espagnols (El País, El Confidencial, El Mundo etc), allemands, britanniques, israéliens, algériens etc. Ces pays souffrent-ils également d’un ’nombrilisme presque pathologique » ou « d’une sorte de syndrome de protectorat’ ?
Que répondre au New York Time (13/09) qui a diffusé une vidéo dans laquelle un secouriste espagnol explique que son équipe n’a reçu l’ordre d’intervenir que 48 heures après leur arrivée sur les lieux du séisme, faute d’un ordre du palais ? Surtout que les premières 48 heures sont les plus cruciales dans ce type de catastrophes naturelles. Cela permet de sauver le maximum de vies.
Pourquoi le Maroc a snobé la main tendue par plusieurs pays, alors qu’il a besoin d’expertise et d’aide ? Nous rappelons à titre de comparaison que le Japon, une puissance économique et culturelle, avait accepté l’aide de 24 pays en 2011 pour faire face aux conséquences d’un séisme dévastateur.
Jeune Afrique n’a mentionné aucune autre critique venant des médias plus virulents que la presse française. Des médias marocains et des personnalités politiques françaises ont repris les mêmes éléments de langage pour justifier désespérément l’absence et le mutisme du roi.
Quand à "la discrétion", "la pudeur" et "le style personnel du roi" des pauvres, nous laissons à chacun le soin d’en juger.

Une campagne hystérique contre la France
Face aux critiques des médias français, la machine de propagande officielle du palais s’est emballée. C’est le site 360.ma, appartenant au secrétaire particulier du roi, Mounir Majidi, qui a ouvert les hostilités anti-françaises en publiant une série d’articles nauséabonds contre le président français Emmanuel Macron. Un article (21/09) titré « “Un peu homme, un peu femme”, mais il n’assume rien : qui est vraiment Emmanuel Macron ? » est saturé d’allusions à une homosexualité présumée du président français.
Un autre texte hystérique (24/09), toujours du même média, est intitulé ’Tebboune-Macron, un couple sado-maso ?’. Toujours le même média commet un troisième article publié le même jour (24/09) titrée ’Le petit Emmanuel et la grandeur de la France’. Il reprend l’éditorial du quotidien arabophone Al Ahdath Al-Maghribiya (24/09).
Une véritable campagne médiatique est orchestrée contre la France. Les médias marocains accusent l’Élysée d’utiliser la presse pour attaquer le Maroc, ses institutions et son roi et ferment les yeux sur la presse internationale. La France est ainsi la cible privilégiée. Celle que le palais leur a désignée.
La quasi-totalité des médias marocains ont pris part à cette croisade antifrançaise. Le Syndicat national de la presse marocaine (SNPM) et le Conseil national de la presse (CNP) ont brillé par leur silence. Seul un média a avoir brisé cette unanimité dictée d’en haut, le site Goud. Dans son édition du 30 septembre, ce site internet qui publie des articles en dialectal marocain, a reproché aux médias leur "soumission" les appelant à ne plus parler ni de déontologie journalistique ni de journalisme responsable après les articles "historiques" et "honteux" de 360.ma. « Comment peut-on se considérer comme des journalistes après cet article ? » se questionne l’auteur, affirmant que désormais "tous les délits de presse sont permis". Les chiens sont lâchés.

Cache-misère
Cette salve vise, à notre avis, à cacher et à détourner les regards sur la misère des habitants touchés par le séisme, en désignant un "ennemi" à la plèbe. Une stratégie vieille comme le monde. Le séisme a, en fait, révélé l’existence de deux Maroc, celui des côtes atlantique et méditerranéenne qui bénéficient de tous les investissements de l’État (autoroutes, TGV, Tramway, ports, aéroports, infrastructures de base etc.) et d’un autre enclavé, déshérité et surtout amazigh. Les médias internationaux ont découvert qu’à quelques dizaines de kilomètres de Marrakech, de ses riads hors prix, de ses hôtels et de ses prostituées de luxe, se trouvent des populations qui vivent dans une misère noire. D’après un rapport de 2017 du Haut Commissariat au Plan, cette zone abrite le plus grand nombre de pauvres au Maroc. Le séisme a fait éclater cette vérité au visage des médias internationaux qui ont souligné ce fait.
C’est au chevet de ces habitants, toujours logés sous des tentes à Asni, l’une des communes les plus affectées par le séisme, que le premier ministre marocain, Aziz Akhannouch, s’est rendu, a rapporté l’agence de presse officielle marocaine MAP (23/09). Le ministre n’a daigné se déplacer sur les lieux que deux semaines après la catastrophe. D’après la MAP, « il a appelé les habitants à rester unis derrière le roi Mohammed VI pour reconstruire les régions du Haut Atlas, rappelant que le Souverain a prévu un plan de 120 milliards de dirhams pour la mise à niveau des zones sinistrées ».
Une vidéo montre le chef du gouvernement qui s’exprimait en dialectal marocain. "Le Roi a de grandes ambitions pour ses citoyens. Nous devons tous travailler car le Souverain veut donner rayonnement et développement à toute la région", a-t-il déclaré.

Une page tournée
Les médias marocains semblent avoir déjà tourné le dos aux sinistrés, après avoir mené une offensive crasseuse contre la France, son président et ses médias. Comme si le problème est déjà réglé. Le message est unanime : Pas besoin de l’aide étrangère (surtout française), la reconstruction sera effectuée par des entreprises marocaines. Les autorités imposent leur "vérité" répétée par tous les médias, sans émettre aucune critique, aucune réserve. Et de toute façon, ce ne sont que de pauvres Berbères, pourquoi s’en soucier ? On parle de milliers de touristes qui reviennent à Marrakech et à Agadir comme si de rien n’était. L’Officie national marocain du tourisme (ONMT) a même lancé une opération incitant les touristes nationaux et internationaux à se rendre à Marrakech. La montagne est déjà oubliée. Écrasée tant par la propagande insidieuse des médias que par les promesses incertaines des autorités.

PJD, chassez le naturel …
Abdelilah Benkirane, secrétaire général du Parti de la justice et du développement (PJD) a expliqué dans un communiqué que le séisme qui a frappé le Haut Atlas est la conséquence des "péchés politiques", parmi lesquels il compte le résultat des précédentes élections législatives, a rapporté le quotidien Ahdath Al Maghribia (26/09).

"La question qui se pose ne concerne pas uniquement les comportements individuels de non-obéissance, mais plutôt des péchés, des interdits et des offenses commis sur le plan général et politique", précise le communiqué.

D’après Jeune Afrique (27/09), l’ancien chef du gouvernement tente de reconquérir la base traditionnelle de l’électorat islamiste en liant le tremblement de terre à la corruption des mœurs et à des péchés politiques collectifs.

Pour rappel, Attajdid, un journal du PJD avait expliqué dans un éditorial que le tsunami qui a frappé l’Asie du Sud-Est le 26 décembre 2004 "est un châtiment divin et un sérieux avertissement au Maroc, devenu une destination du tourisme sexuel".

Risque accru de bétonisation de la montagne
D’après l’institut d’études géologiques des États-Unis (USGS), le coût des dégâts représente 8% du PIB du Maroc, soit 10 milliards d’euros, a rapporté Le Figaro (15/09).
D’après des chiffres officiels, quelque 5000 habitations ont été totalement ou partiellement détruites. Dans les journaux et sur les réseaux sociaux, un "débat" s’est engagé entre architectes, anthropologues, sismologues, historiens et simples citoyens à propos des méthodes de construction. Pour certains, les constructions en pisé sont responsables de la mort de milliers de personnes et préconisent l’utilisation du béton. D’autres, comme l’anthropologue et architecte Salima Naji expliquent que cette technique séculaire utilisant la pierre et la terre est un héritage à préserver. "Nous faire croire que la terre est moins performante que le béton, c’est de n’importe quoi", explique-t-elle dans une interview donnée au magazine Tel Quel (14/09). Salima Naji est spécialiste des constructions traditionnelles. Elle a pris part à la restauration de plusieurs igherman du sud. Elle plaide pour une approche globale dans la reconstruction des villages dévastés.
Alors que les débats s’enflamment, plus d’un million d’habitants attendent d’être relogés surtout que l’hiver approche et que les températures en haute montagne descendent sous les -10 degrés.
Pour l’historien et anthropologue Mustapha Qadery, il faudrait dégager des milliers d’hectares de foncier et convaincre les habitants de quitter leurs villages où ils vivent depuis des générations, affirmant que cela prendrait un temps fou. Il ne s’agit pas uniquement de reloger, explique-t-il dans une déclaration donnée au site Lemonde.fr (19/09). Il faudrait mettre en place "un programme réfléchi, intégré et ambitieux pour la reconstruction et la mise à niveau générale des régions touchées".
Le relogement des sinistrés prendra plusieurs années. Cinq selon les estimations les plus optimistes. L’habitat éclaté et le nombre énorme des villages touchés par les destructions compliquent la tâche. Pour rappel, le relogement des victimes du séisme de Biya (El-Houceima) a pris deux ans. La situation dans l’Atlas est plus compliquée. Certains villages sont nichés à 1500 mètres. La superficie concernée est aussi plus grande. Le chantier est titanesque.

Compte tenu des tracasseries administratives, de la bureaucratie, de la corruption qui gangrène l’administration marocaine à tous les niveaux, l’opération de la reconstruction et de relogement des sinistrés pourra prendre plusieurs années.
Affaire à suivre.

Aksil Azergui