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L’Université de Tizi-Ouzou à une autre époque !

Le 11 mars 1980 a eu la première manifestation de rue à Tizi-Ouzou, en Kabylie.

lundi 11 mars 2019, par Masin

C’était l’époque où elle ne s’appelait pas Mouloud Mammeri ; c’était l’époque où Mouloud Mammeri fut interdit de conférence. Laquelle interdiction a été l’élément déclencheur d’un mouvement de protestation qui, un peu plus d’un mois après, donne naissance au Printemps berbère.
Il n’est pas inutile aujourd’hui de rappeler que le 10 mars 1980, le Préfet de police de Tizi-Ouzou interdit à Mouloud Mammeri de tenir sa conférence prévue à l’Université sur la poésie kabyle ancienne. Dès le lendemain, le 11 mars 1980, les étudiants ont tenu une Assemblée générale et ont décidé d’une marche de contestation. Plusieurs centaines de personnes ont sillonné les rues de Tizi-Ouzou en scandant des slogans hostiles au régime. C’était la première fois qu’une manifestation publique a lieu sous le régime dictatorial algérien de Boumédiène.
Oui, c’était l’époque où le Préfet de police était persona non grata à l’Université... L’image est loin, très loin, de cette université qui porte pourtant, paradoxalement, le nom de Mouloud Mammeri, interdit de conférence par ce même Préfet de police, et qui honoré ce dernier...

Comme nous le faisons tous les ans, nous mettons à la disposition de nos lecteurs des documents relatifs au Printemps berbère (Tafsut Imaziɣen) avec le dossier que Tamazgha.fr lui a consacré depuis des années déjà pour que l’on n’oublie pas.

Ici, nous reprenons, plus particulièrement, ce qui s’est passé à Tizi-Ouzou un certain 11 mars 1980, voilà trente-neuf ans jour pour jour. C’est tiré du Journal des événements de Kabylie, de Rachid Chaker qui avait activement participé au mouvement du printemps 1980, notamment au sein du collectif "anti-répression" de l’université où il était maître assistant en économie. Rachid Chaker est décédé le 5 août 1980, dans un accident qui a coûté la vie à sa femme, son fils et sa mère.

La Rédaction.


Manifestation à Alger : avril 1980


Extrait du Journal des événements de Kabylie, de Rachid Chaker

- Mardi 11 mars 1980. - Première manifestation de rue à Tizi-Ouzou.
Cette manifestation est rapidement décidée par l’A.G. de de 9 heures.

De l0hl5 à l2hl5, soit durant deux heures, ce sont 500 à 600 personnes puis à la fin 700 environ qui ont défilé en faisant deux fois le tour de la ville par les principales artères. Le cortège a marqué des temps d’arrêt devant le CNP du FLN, devant la Wilaya et enfin devant les lycées de la ville.

Les banderoles proclamaient :
« Culture berbère : culture populaire »
« Wali, CNP, Conférence de M. Mammeri interdite ? »

« Halte à la répression culturelle ! »

Les slogans en français étaient :
« A bas la répression » - « Wali, CNP, assassins ».

En kabyle, c’étaient :
« Tamazight t-tameslayt ennegh : le berbère est notre langue »
« anerrez wala aneknu ! : nous briserons mais ne plierons pas ! »
« ‘naâya di lbat’el ! : nous en avons marre de l’injustice ! »

Le service de répression était très important : police, gendarmerie et pompiers, mais il n’a pas osé intervenir.
L’activité dans la ville était paralysée et l’ensemble de la population était aux fenêtres. Il y avait certes une grande approbation tacite, mais pas de manifestations très nettes d’appui ; seules quelques vieilles ont osé pousser des "vouyous" de leurs balcons.

L’après-midi, une réunion des enseignants algériens du Centre universitaire de Tizi-Ouzou met au point le texte d’une pétition sous forme de lettre ouverte au ministre de l’Enseignement supérieur, texte dénonçant (dans ses deux versions finalement proches l’une de l’autre), l’interdiction dont avait été victime un collègue universitaire, insistant également sur le nécessaire respect des franchises universitaires (présence de flics en civil dénoncée...), et revendiquant la liberté d’expression notamment au plan culturel et précisément en ce qui concerne la langue berbère. La lettre recueillera plus de 40 signatures (soit les 4/5 des enseignants algériens).

Chronologie des événements ayant marqué le Printemps berbère de Kabylie en 1980