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L’autre guerre des Amazighs de Libye
mercredi 10 avril 2019, par
Huit ans après la chute du régime de Kadhafi suite à une guerre dans laquelle le rôle des Amazighs était déterminant, ces derniers sont entrés dans une autre guerre contre différentes milices rassemblées dans une entité appelée « Armée Libyenne Arabe » dirigée par le raciste Khalifa Hafter [1] et qui est soutenue par des milices salafistes de Libye. Interviewé par France 24 au lendemain de la rencontre de La Celle Saint-Cloud en France, Khalifa Hafter qui se présente comme commandant en chef de l’Armée nationale libyenne (ANL), a déclaré que l’armée qu’il dirige est une armée arabe et qu’il entend la nommer "Les Forces armées arabes libyennes".
Depuis le jeudi 4 avril, le criminel de guerre Hafter [2] , soutenu principalement par l’Egypte, l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes, a lancé une offensive militaire pour prendre le contrôle de Tripoli et de l’ouest de la Libye. Les Amazighs qui sont dans le viseur de Hafter et ses milices salafistes se sont mobilisés aux côtés des forces du Gouvernement d’entente national (GNA) [3] reconnu par la Communauté internationale. L’Armée amazighe, composée d’unités originaires d’At-Willul (Zouara) et d’Adrar n Infusen, est dotée de sa propre chambre d’opération. Tout comme pour la guerre contre Kadhafi, les Amazighs tiennent à garder le contrôle de leurs forces et de leur territoire et ne pas compromettre leur existence en tant qu’Amazighs, d’autant plus que même les forces du GNA comptent dans leurs rangs des milices islamistes et arabistes hostiles aux Amazighs, à l’instar d’Oussama Jouili qui dirige les milices de Zentan.
Vers une guerre ethnique ?
Si Khalifa Hafter, fort de ses soutiens et de ses liens avec la France et les USA, semble être motivé principalement par la prise du pouvoir y compris par la force en Libye allant jusqu’à défier les règles définies dans un cadre onusien qu’il a pourtant acceptées, n’en demeure que la tentation de soumettre les Amazighs qui rejettent le projet arabiste est en filigrane de son projet. En effet, la résistance des Amazighs qui ne veulent pas céder à leurs droits fondamentaux n’est du goût d’aucune tendance politique en Libye.Il faut dire que la position des Amazighs dérangent même les puissances dites occidentales qui ne cachent pas leur mépris des Amazighs dont ils feignent d’ignorer les exigences.
Et si Hafter ne fait pas part de ses projets pour les Amazighs, les milices salafistes qui le soutiennent assument publiquement leur hostilité aux Amazighs et leur volonté d’envahir le territoire amazigh. Ainsi, un certain Ahmed Boudouira, un imam-mufti favorable à Khalifa Hafter et qui est l’un des portes paroles du courant salafiste madkhaliste en Libye, disciple de Madkhali, un salafiste saoudien, a annoncé début avril la nécessité de libérer Adrar n Infusen. Ce salafiste notoire a déclaré lors d’une réunion avec Abd al-Razzaq al Naduri, un dirigeant militaire pro-Hafter, le 1er avril que "la libération de la région ouest doit commencer par les montages de Nafusa". Dans son message relayé par les réseaux sociaux [4], il se dit hostile à la doctrine Ibadhite [5], suivie par les les musulmans des régions amazighophones en Libye (Adrar n Infusen et At-Willul) et compare l’ibadhisme à l’organisation Daech. Dans le même message, diffusé sur les réseaux sociaux, le salafiste Bouduira annonce l’intégration de trois nouvelles milices salafistes [6] au sein de ce qui est connu comme "Armée arabe" dirigée par Hafter.
A quoi joue la France ?
Dans un communiqué daté du 6 avril, l’Elysée a fait savoir que "le président de la République, Emmanuel Macron, s’est entretenu par téléphone samedi 6 avril avec le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres" au sujet de la situation en Libye. L’Elysée n’a pas trouver mieux à dire que de souligner "l’importance d’une solution politique à la crise actuelle, dans le respect du droit humanitaire et des résolutions du Conseil de sécurité". Pourtant le président de la république française sait bien que son ami Hafter dont l’organisation armée n’est pas reconnue par la communauté internationale fait usage de la force contre une institution mise en place sous l’égide des Nations unies qui prévoient une rencontre importante les 14,15 et 16 avril à Ghadmes. Cette position très ambigüe du président Macron conforte l’idée selon laquelle la France soutiendrait l’offensive de Khalifa Hafter. D’ailleurs, selon des combattants des forces amazighes en Libye, des conseillers militaires français seraient aux côtés des troupes de Hafter qu’ils appuieraient. On se rappelle que suite à la mort de trois militaires français dans un accident d’hélicoptère en Libye en juillet 2016, Paris avait dû reconnaître l’assistance de forces spéciales françaises aux troupes de Khalifa Haftar [7]. Et ces forces spéciales seraient toujours en Libye et seraient aux côtés des troupes qui attaquent Tripoli. A ce propos, le chef du Gouvernement d’union national libyen a dû "convoquer", le samedi 6 avril, l’ambassadrice de France à Tripoli, Beatrice le Fraper du Hellen, pour lui demander des explications sur le rôle de la France dans l’offensive de Hafter.
Selon Marianne Arens, dans un article publié le 26 février sur le site wsws.org [8], "de nombreux observateurs sont convaincus que la France se préoccupe avant tout des intérêts pétroliers et que la concurrence entre l’Italie et la France sur cette question est la principale raison de la guerre civile en cours en Libye". Dans le même article, l’auteur affirme que la France soutient militairement Hafter et veut comme preuve un document de la Fondation allemande pour la science et la politique (SWP), organisme gouvernemental, qui affirme que la France a "apporté un soutien politique et probablement d’autres formes de soutien aux opérations de Haftar dans le sud et a empêché ses partenaires occidentaux de faire des déclarations communes sur cette question". [9]
L’"impuissance" des Nations unies ?!
Les Nations unies et le Conseil de Sécurité peinent à se faire entendre par Khalifa Hafter qui agit au mépris des instances onusiennes qui appellent à la cessation des hostilités militaires. Le lundi 8 avril, les troupes de Hafter ont mené un raid aérien contre l’aéroport de Mitiga, le seul fonctionnel à Tripoli, qui a provoqué la suspension immédiate des vols et l’évacuation de l’aéroport. L’émissaire de l’ONU en Libye, Ghassan Salamé, avait estimé que l’attaque constituait "une violation grave du droit international humanitaire qui interdit les attaques contre des infrastructures civiles". Ghassan Salamé, a par ailleurs annoncé mardi 9 avril "que la Conférence nationale libyenne serait reportée en raison de l’offensive qui se déroule actuellement à Tripoli". [10]
De son côté, la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Michelle Bachelet, a tiré la sonnette d’alarme et a avertit que "Le fait de cibler intentionnellement des civils ou des objectifs civils ainsi que des attaques aveugles peuvent constituer un crime de guerre".
Violents combats à l’est de Zouara.
Mardi 9 avril, de violents accrochages ont eu lieu entre les deux parties en conflits à 60 km à l’est de Zouara, près de Zaouiya. Plusieurs morts sont déplorés des deux côtés. Les forces amazighes de Zouara disent avoir fini par repousser les milices de Hafter dont au moins la moitié des combattants sont des mercenaires venus d’Egypte, du Tchad, du Mali et du Niger. Selon plusieurs sources libyennes, Hafter aurait reçu des sommes très importantes d’argent de la part des Saoudiens et des Emiratis, ce qui lui a permis de recruter des mercenaires, comme au temps de Kaadhafi.
Les brigades qui sécurisent le territoire amazighophones disent assurer le contrôle des territoire et ont repoussé toutes les tentatives d’incursion des milices de Hafter. Elles veillent notamment sur les frontières avec la Tunisie notamment les deux postes frontaliers, Ouazzen, contrôlé par les brigades de Nalut, et Ixf n Ajdir (ras Jdir) contrôlé par les brigades de Zouara.
Si aujourd’hui, l’armée amazighe, composée essentiellement des commandements de Zouara et d’Adrar n Infusen (Nalut, Jadou, Kabaw, Ifran, Kekla), elle collabore avec les les milices et forces qui soutiennent le GNA, elle doit rester sur ses gardes dans la mesure où parmi les soutiens du GNA il se trouve notamment des milices islamistes (Frères musulmans) et des milices acquises à l’idéologie arabiste hostiles aux Amazighs. Il n’est pas un secret que le clan du GNA bénéficierait du soutien du Qatar et de la Turquie. Comme durant la guerre contre Kadhafi, les Amazighs doivent s’allier avec les autres forces de l’ouest pour repousser l’offensive de Hafter, en même temps assurer la sécurité de leur territoire et ne pas baisser la garde face aux menaces des voisins qui n’ont toujours pas digéré l’irruption des Amazighs qui se sont imposés sur la scène libyenne.
Masin Ferkal.
Lire également :
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– Déclaration du HCAL
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– Bombardement près de Zouara
– Déclaration de l’Union européenne à propos de la Libye
– Emmanuel Macron soutient-il Haftar ?
– Déclaration du réprésentatnt spécial du SG de l’ONU au sujet de la conférence nationale sur la Libye
– Déclaration du porte-parole du Secrétaire général des nations unies sur la Libye
– Déclaration du HCAL (7 avril 2019)
– Le SG des Nations Unies appelle à l’arrêt des hostilités
– L’ONU appelle à une trêve humanitaire
[1] Khalifa Haftar apparient à la tribu des Ferjany, près Syrte. Il rencontre Kadhafi à l’académie militaire royale de Benghazi. Il a fait partie du Mouvement des officiers libres qui a été derrière le coup d’État du 1er septembre 1969 contre la monarchie sanoussie. C’est lui qui dirige l’opération de neutralisation de la base aérienne américaine Wheelus, près de Tripoli.
En 1983, il part à Moscou où il suit une formation aux écoles de l’état-major soviétique. Fait prisonnier par l’armée tchadienne en avril 1987 lors de l’opération Epervier menée par le Tchad, soutenu par la France et les USA, contre les troupes de Kadhafi stationnées illégalement dans la bande d’Aouzou, à la frontière tchado-libyenne. Il est libéré avec plusieurs autres prisonniers après avoir rencontré Hissane Habré, président du Tchad, et lui déclare qu’il est opposé à Khadafi. Avec le soutien des USA, il forme la "Force Haftar" dont il est le chef et dont la base est au Tchad.
Constituée de quelque 2 000 Libyens cette "force" équipée par les USA devait organiser le renversement de Kadhafi. Mais l’arrivée d’Idriss Déby au pouvoir au Tchad a contraint les Américains à exfiltrer les membres de la "Force Haftar" en urgence en 1990. En effet, Kadhafi a exercé des pressions sur le nouveau président tchadien afin qu’il lui livre le général Hafter et ses hommes. De plus, avec la nouvelle situation géopolitique, les puissances occidentales ont tourné la page de leur projet de renversement de Kadhafi.
Il s’exile avec ses hommes aux USA où il s’installe le 20 décembre 1990 et il a continué à travailler sur l’organisation d’un coup d’Etat en Libye, un coup d’Etat qu’il n’a jamais pu réaliser.
En 2011, in rentre en Libye et participe à la guerre livrée à Kadhafi.
Nommé chef d’Etat-major à la chute du régime kadhafiste, il finit par se retirer et retourne aux USA (2011-2013).
En 2014 il retourne en Libye et il crée sa propre force militaire qu’il finit par appeler "Armée arabe libyenne".
[2] Deux plaintes pour torture ont été déposées en France contre Khalifa Hafter : article Le Figaro ; article Le Monde
[3] Appelé également "Gouvernement d’union nationale", il est mis en place depuis le 12 mars 2016 sous l’égide des Nations unies. Dirigé par Fayez Sarraj, ce gouvernement s’est donné comme objectif de résoudre la guerre civile qui a frappé la Libye et arriver à l’organisation d’élections afin d’aboutir à une stabilisation de la situation en Libye.
[5] L’ibadhisme est un courant (école) très minoritaire au sein de l’islam. Il est pratiqué pratiquement en Afrique du nord et à Oman. En Afrique du nord il est pratiqué par les musulmans des régions amazighes d’Adrar n Infusen, d’At-Willul, de Djerba et du Mzab. Les ibadhites doublement combattus en Afrique du nord : ils sont combattus pour leur amazighité et pour leur appartenance à ce rite minoritaire rejeté par les sunnites.
[6] Il s’agit de : Les milices 210, la milice Tarek bin Ziyad et la milice Subul al-Islam.
[8] World Socialist Web Site, un site web publié par le Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI)
[10] Libye : la Conférence nationale reportée en raison des affrontements (ONU) : https://news.un.org/fr/story/2019/04/1040731