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Rif : La répression change de visage.
mercredi 31 octobre 2018, par
Deux ans après le déclenchement du mouvement de contestation dans le Rif, la situation dans cette région se dégrade. La monarchie fait tout pour soumettre davantage les habitants et pousser les plus récalcitrants à l’exil. Dans la diaspora, un mouvement indépendantiste émerge.
Le Rif écrasé
Le 26 juin dernier, le leader du mouvement de contestation dans le Rif, Nasser Zefzafi, ainsi que trois autres meneurs, Nabil Ahmjiq, Ouassim Boustati et Samir Ighid, ont écopé de 20 ans de prison ferme pour "complot visant à porter atteinte à la sécurité de l’Etat". Jugés avec eux, 49 autres militants ont écopé de peines comprises entre un et quinze ans de prison. La sévérité du verdict avait suscité des réactions d’indignation sur les réseaux sociaux suivies par quelques manifestations de protestation.
Ces condamnations prononcées à l’issue d’un procès politique inéquitable par des juges aux ordres n’a fait qu’amplifier la défiance des habitants du Rif contre la monarchie marocaine perçue de plus en plus comme une force d’occupation militaire. Plusieurs organisations internationales dont Amnesty avaient dénoncé ces procès et appelé à libérer les détenus.
Depuis le déclenchement du mouvement de protestation dans le Rif suite au meurtre, vendredi 29 octobre 2016, d’un vendeur de poisson, Mohsin Fikri, écrasé par le presse hydraulique d’un camion-ordure alors qu’il tentait de s’opposer à la saisie et à la destruction de sa marchandise par des agents de la ville, la situation dans le Rif ne cesse de se dégrader. Pour rappel, les manifestants du Rif revendiquent certes des projets de développement de cette région marginalisée et enclavée, mais surtout la démilitarisation de Biya (El-Houceima) proclamée "zone militaire" en 1958 par Dahir royal. Cette proclamation faisait suite à des manifestations de colère organisées à Biya en novembre 1958, provoquant une intervention militaire dans la région. Des milliers de personnes ont été tuées et des dizaines de milliers d’autres forcées de quitter la région.
Deux ans après le déclenchement de ces manifestations de grande ampleur qui ont fini par s’essouffler à cause d’une répression implacable et des centaines d’arrestations dignes des années de plomb, le Rif se retrouve à nouveau quasiment sous occupation militaire.
Répression discrète
Après avoir réussi à détourner le regard des médias qui s’intéressaient au Rif vers Casablanca où se déroulait le procès des militants rifains, les forces de la répression ont continué à mener des actions de répression dans la région, mais discrètement loin des caméras des télévisions et des journalistes.
Plusieurs journalistes étrangers ont été ainsi refoulés du pays. Le 19 juillet dernier, le photojournaliste espagnol José Colón et son confrère néerlandais Koen Greven ont été expulsés. Sur son compte Twitter, José Colón explique avoir été forcé de quitter la ville à 1 heure du matin. "La police secrète marocaine est venue à notre hôtel pour dire que nous ne pouvions pas travailler, sous menace de nous expulser et nous confisquer nos équipements et matériels", a expliqué le journaliste. 14 arrestations de journalistes et journalistes-citoyens par les autorités marocaines ont été signalées. Plusieurs cas d’expulsions de journalistes étrangers avaient également été recensés par Reporters sans frontières.
Le 28 septembre 2017, le journaliste du quotidien britannique The Guardian, Saeed Kamali Dehghan, a été expulsé par les autorités marocaines alors qu’il se trouvait en reportage à Biya.
Le 25 juillet 2017, deux journalistes espagnols, José Luis Navazo et Fernando Sanz, sont expulsés et renvoyés manu militari via le poste frontalier de Ceuta. Ils couvraient, depuis plusieurs semaines, les évènements dans le Rif. José Luis Navazo vivait depuis plus de 17 ans au Maroc.
La monarchie encourage les départs.
La ville de Biya, foyer de la contestation, n’a pas vu ses infrastructures développées et son statut de zone militaire levée après ces manifestations. La ville n’a vu émerger sur ses terres ni université, ni hôpital, ni aucune infrastructure de nature à améliorer les conditions de vie des habitants. Elle concentre de plus en plus de forces de police et de militaires. La répression s’est accentuée dans tout le Rif et les revendications sociales portées par les manifestants se sont estompées. Toute manifestation est interdire dans la région. Les habitants qui ont souffert de la répression policière fuient. Des centaines de jeunes rifains s’aventurent sur des embarcations de fortune en direction de l’Espagne où ils déposent des demandes d’asile. Ces tentatives d’immigration tournent parfois au drame.
Selon l’agence européenne de surveillance des frontières extérieures de l’Union (Frontex), quelque 22 900 migrants avaient atteint les côtes espagnoles, en provenance du Maroc et d’Algérie contre 10 231 en 2016. D’après le président de Frontex, Fabrice Leggeri, cette forte hausse est en partie due aux troubles qu’a connus le Rif.
La monarchie marocaine a toléré et encouragé ces départs. Elle a toujours usé de l’immigration pour vider le Rif et toutes les régions frondeuses du pays de leurs forces vives.
Vers un mouvement indépendantiste ?
Parallèlement à ce sentiment d’impuissance ressenti dans le Rif après les procès et les vagues d’arrestations, un sentiment nationaliste rifain s’est installé et s’est développé, surtout en Europe où des militants revendiquent ouvertement l’indépendance du Rif, occupé par la monarchie marocaine. Des textes allant dans ce sens sont publiés et des discussions animent les réseaux sociaux. La référence reste la république d’Abdelkrim qui s’étendait sur tout le Rif historique.
Cette revendication n’est pas nouvelle. Elle était portée auparavant par quelques militants qui mettaient en avant le particularisme rifain et la répression sauvage qu’avait subie cette région. Ils expliquent que la seule solution consiste à se débarrasser de la monarchie et à recouvrer l’indépendance du Rif. Les récents événements survenus dans cette région ont accentué ce sentiment au même titre que le fossé béant qui se trouvait déjà entre le Rif et la monarchie.
A. Azergui.