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Ameziane Mehenni : veillée du 40e jour.

Déclaration de la famille et des amis d’Ameziane Mehenni.

jeudi 19 août 2004, par Masin

Nous publions ci-après la déclaration des memebres de la famille d’Ameziane Mehenni ainsi que ses amis lue à l’occasion des cérémonies du "40ème jour".

Il est un cruel accent du destin, le couperet qui arrête une vie, que nul ne souhaite entendre près de ceux qu’il aime. La douleur et le sentiment d’injustice qu’il génère sont du domaine de l’ineffable, de l’indicible. Seuls savent (les proches de) ceux qui se turent aurait dû écrire Aragon. Evoquer ensemble Ameziane MEHENNI c’est certes remuer le couteau dans notre plaie mais c’est aussi l’une des rares façons que nous ayons de le soustraire à la mort en lui offrant un coin de vie dans nos cœurs. Il a rejoint une constellation d’étoiles qui en scintillant veillent sur l’avenir du peuple kabyle qu’il souhaitait ardemment radieux.

Ameziane avait vu le jour au village Maraghna le 18 janvier 1974 alors que son père était en deuxième année de sciences politiques à Alger. Cette absence du père militant lui était déjà pénible à vivre et l’a accompagné toute sa vie. Alors qu’il n’avait que dix huit mois, il était accidentellement brûlé au visage par de l’eau bouillante. C’était le jour où son père avait donné un concert à Larvaa Nat Yiraten pour 50 centimes la place. Sa première année scolaire à l’école primaire Mehenni Mohand Ouramdane coincida avec le " printemps berbère " et il était dans les bras de son père qui, le 13 juin à l’université de Hasnaoua, avec Kateb Yacine, avait animé des activités pour demander la libération des 24 détenus kabyles.

C’est en janvier 1982 qu’il avait quitté Maraghna avec sa famille pour résider à Tizi-Bouchene où il s’était révélé comme un brillant meneur d’entre ses camarades. A onze ans il était déjà adulte en accédant en tant que fils aîné à la responsabilité familiale lorsque son père était condamné par la sinistre Cour de Sûreté de l’Etat à trois ans de prison. Il était de tous les convois organisés par les responsables du MCB de l’époque pour la visite des prisonniers incarcérés à Berrouaghia, puis Médéa et Blida, ensuite à Tazoult-Lembèse.

Après le CEM800, il était admis au Lycée Chihani Bachir à Azazga en 1991 où il obtint trois ans plus tard son baccalauréat lettres. C’était là aussi qu’il s’était brillamment distingué par son action syndicale et militante. Ce sont ses camarades qui racontent : "Ameziane était le chef de classe. Un professeur particulièrement sévère avait l’habitude d’ordonner inopinément à un ou deux élèves de quitter le cours sans raison valable. Révolté par cette pratique, notre héros discuta avec ses camarades pour arrêter cette injustice. Le lendemain, le même professeur arriva et comme à son habitude intima l’ordre à un des élèves de sortir. Ameziane se leva et demanda la raison d’une telle sanction. L’enseignant piqué dans son orgueil lui ordonna à son tour de quitter la classe. Tous les élèves se mirent debout et quittèrent le cours derrière Ameziane. Direction le Bureau du Proviseur où les élèves obtinrent gain de cause et le professeur injuste n’avait plus remis les pieds dans leur classe".

Un autre continue : "Au lendemain de l’assassinat de notre grand écrivain Tahar DJAOUT, Ameziane nous avait réunis pour nous dire : " Ecoutez Tahar Djaout a été tué. Il a laissé derrière lui trois filles en bas âge. Il est impératif que nous fassions un geste pour aider ces dernières. Faisons une quête auprès des commerçants même si la somme à ramasser ne sera pas importante, c’est le geste qui comptera". Au départ nous n’y avions pas cru. Nous croyions pouvoir ramasser à peine mille dinars mais finalement la générosité des commerçants d’Azazga était telle que beaucoup d’entre eux nous donnèrent mille dinars chacun. Une fois la quête terminée nous nous étions rendus en comité chez Mme Djaout pour lui remettre la somme ainsi récoltée."

C’est en terminale qu’il créa la Coordination des Lycéens Amazighs, la CLA. Ameziane avait tissé un réseau de relations entre lycéens kabyles inédit et si puissant qu’il avait joué un rôle très actif dans le boycott scolaire de 1994-95 en Kabylie.

Son père ayant reçu des menaces de mort et de représailles sur ses enfants avait alors, pour la deuxième fois décidé de déraciner ses enfants mais cette fois pour les mettre à l’abri du danger. C’était le 13 février 1995. " J’avais dit à mes enfants à l’époque : ne me jugez pas hâtivement. Quand vous aurez à le faire, une fois que vous serez grands, ayez cette phrase à l’esprit : je vous ai déracinés pour vous sauver de la mort et de l’arabisation. Je ne me doutais pas que la mort me suivrait jusqu’en France !"

Ameziane s’était inscrit à l’INALCO à Paris en licence de berbère et de japonais. Après l’isolement de son père par le RCD, Ameziane était le cerveau de son père, son plus grand soutien et c’était lui qui avait refait un réseau de solidarité avec les jeunes de son âge autour du chanteur et du militant. Il était aussi son manager sur le plan artistique et son chef de cabinet sur le plan politique. C’était grâce à lui que Ferhat a chanté devant plus de trois mille personnes au " Palais des Sports " à Porte de Versailles à Paris en 1998 et que le Président du MCB Coordination Nationale put revenir de son exil en France vers la Kabylie à partir de janvier 1999.

Calme et courtois, discret et rassurant, il était selon la formule d’un article paru aux Etats-Unis, un gentleman.
Il était très content de la qualité du dernier CD de son père "I Tmurt n Leqvayel" et surtout fier de la parution de son livre "La Question Kabyle". Est-ce ce dernier qui lui a coûté la vie ? L’enquête ne le dit pas encore. Son père qui en est convaincu résume l’assassinat de son fils par ces mots : En m’assassinant moi, ses criminels m’auraient tué une seule fois. En assassinant Ameziane, ils me tuent tous les jours, à chaque instant !"

Cher Ameziane !
La vérité sur ton assassinat finira par se savoir et tes agresseurs ainsi que leurs commanditaires rendront des comptes à la justice.

La Kabylie sera autonome. Repose en paix !

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Mareghna, le 18 août 2004