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Ferhat rend hommage à Haroun

Un ami de combat témoigne... ?

mardi 20 mai 2003, par webmaster

Qui n’a pas entendu parler des berbéristes des années 70 ? Qui n’a pas eu vent de la revue Itij ? Qui n’a pas entendu parler de l’O.F.B. ? Qui n’a pas entendu parler de l’affaire des "poseurs de bombes" ? Tout cela se conjugue avec le nom de Haroun. Un ami de combat lui rend hommage…

Nous publions ci-dessous l’hommage de Ferhat Mehenni à Haroun.


Témoignage sur Haroun Mohammed ou Muhend U’Harun

par Ferhat MEHENNI

C’est un bien triste anniversaire que nous commémorons en ce 22 mai 2003, puisqu’il s’agit de celui de la perte d’un grand homme de notre Histoire. Muhend U’Harun, né en 1949 à Tifrit près d’Akbou, nous a quittés après une vie entièrement dédiée au combat pour notre dignité d’amazighs, notre langue, notre identité et notre liberté ; une vie remplie d’épreuves, de courage et de douleur.

Fils de chahid, brillant élève au lycée technique de Dellys, je ne l’ai connu qu’en 1972 à l’Université d’Alger. Il suivait des études supérieures à l’Ecole polytechnique d’El Harrach. Notre rencontre a été organisée par des amis communs qui voyaient en nous des militants qui devaient se tendre la main. J’avais tout de suite deviné, en lui, un frère de combat, un homme d’action et de décision. Il avait la stature et les qualités d’un dirigeant politique. Il me fit rencontrer, à la cité universitaire d’El-Harrach où il avait sa chambre, des Touaregs du Mali et du Niger avec lesquels il militait et m’apprit, petit à petit, ses relations secrètes avec "l’Académie Berbère ou Agraw Imazighen" dont celles avec Hanouz et Bessaoud Mohand Arav. Le premier était le président et le second l’âme et l’animateur essentiel de cette institution hautement subversive, pour le pouvoir de l’époque, et pour cause ! Elle avait joué un rôle de premier plan dans l’éveil des consciences de notre génération au combat identitaire amazigh. Nous nous voyions souvent et discutions de la manière dont nous devions nous organiser. Il aimait me montrer combien les mathématiques avaient intégré, depuis le temps des Grecs, des termes amazighs dans leur terminologie.

Deux jours avant son arrestation par la terrible Sécurité Militaire de Boumediènne, il était venu à la Cité Universitaire du Vieux Kouba, où je résidais, pour dîner. Visiblement, il était traqué. Il me fit signe, discrètement, de ne pas l’approcher. Il ne voulait pas que je sois arrêté, même si, je n’étais au courant de rien dans l’affaire des "poseurs de bombes" dans laquelle il allait être impliqué et condamné à perpétuité par la Cour de Sûreté de l’Etat en mars 1976 à Médéa. Muhend U’Harun s’était défendu comme un lion devant cette inique juridiction et avait défié le système politique en place au moment où il était au sommet de sa puissance. Haroun avait plaidé le droit à notre langue, à notre culture, à notre liberté, bref, à tous nos droits élémentaires. Le verdict prononcé à son encontre lui coûta la liberté pour le quart de sa vie, la mort de sa mère dans un accident de la circulation sur la route de la prison de Tazoult-Lambèse où il était détenu, ainsi que des sévices physiques permanents aux séquelles et aux traumatismes internes irrémédiables. C’est cette expérience qui nous fit prendre conscience, à partir de 1976, que la voie de la violence n’était pas celle qu’il fallait prendre pour la conquête de nos droits. C’est grâce à son sacrifice que la Kabylie des Archs et de l’autonomie a pu voir le jour sans avoir, pour cela, à passer par les très dures épreuves endurées par d’autres peuples, comme les Kurdes, qui n’avaient pas eu la chance d’avoir un Muhend U’Harun.

Je n’ai pu le revoir qu’en février ou mars 1986 dans l’enceinte de la prison où nous étions incarcérés, après notre condamnation en décembre, par la même sinistre cour de sûreté de l’état, dans l’affaire de la Ligue algérienne des Droits de l’Homme. Ces retrouvailles ont été le résultat de négociations menées, avec la Direction de Tazoult-Lambèse, par Arezki Aït Larbi. A notre arrivée dans ce pénitencier, Muhend U’Harun était encore en isolement. Arezki avait demandé, au Directeur de la prison, si la décision de cette mise à l’écart de la détention était une manière de continuer à lui faire payer son acte, qui datait de plus de dix ans, ou si elle était motivée par d’autres considérations. Le responsable en question avait évoqué des problèmes de santé à l’origine de cette quarantaine qui date de plusieurs années déjà. Notre ami lui fit remarquer que la place des malades était à l’infirmerie et non aux quartiers d’isolement. C’est ainsi qu’il fut remis le jour même en salle de soins et que nous eûmes le bonheur de lui rendre une courte visite qui n’avait pas duré plus de cinq minutes.

A sa mort, j’étais réfugié en France et je n’avais pas pu lui rendre les honneurs que le devoir m’imposait. Puisse ces modestes lignes y contribuer et témoigner de son sacrifice et de son martyr pour l’éternité. Il y a quelques semaines, je me suis rendu dans le local d’une association de son village où une chorale, composée d’une majorité de petites filles, m’avait honoré d’un chant militant. J’ai, pudiquement, écrasé une larme en voyant parmi elles la fille de mon ami à qui elle ressemble trait pour trait.

Si nous étions en religion chrétienne, Haroun Mohammed aurait été béatifié, élevé au rang d’un Saint. Sachons honorer sa mémoire et graver, dans notre Histoire, son nom, en lettres de lumière et de poussières d’étoiles, en lettres d’éternité.

Repose en paix frère de combat.

Le 19 mai 2003.