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Maman Abou devant le juge

Le délibéré est fixé au 23 décembre 2003

samedi 13 décembre 2003, par Masin

in "Le Républicain" du 12 décembre 2003

Mardi 9 décembre. A Say (lieu de détention de Maman Abou), il est 5 heures. Cette bourgade de quelques milliers d’habitants ne s’est pas encore totalement reveillée, lorsqu’elle reçoit la visite impromptue d’une soixantaine de gendarmes. Ceux-ci n’étaient pas partis pour contenir une émeute, mais plutôt pour escorter le directeur de publication de l’hebdomadaire « Le Républi-cain », dont le procès pour diffamation intenté par le Premier ministre Hama Amadou et l’ex ministre des Finances Ali Badjo Gamatié est prévu pour ce 9 dé-cembre au tribunal régional de Niamey.

Ils étaient, en effet, nombreux à prendre d’assaut le palais de justice (défenseurs des droits humains et de la démocratie, journalistes, autres acteurs sociaux et politiques, simples citoyens…), car non seulement personne ne veut être en reste mais tous veulent témoigner leur solidarité à Maman Abou et leur indignation face à la prédation des droits et libertés des citoyens, et des ressources publiques. Le tribunal régional de Niamey était ce jour-là quadrillé par les éléments de la police nationale, qui ont également pris position dans tous les coins et recoins du palais de justice.

L’entrée dans les locaux du palais était rigoureusement filtrée ; tous étaient fouillés. A l’intérieur, quelques agents de renseignements facilement identifiés ont été lâchés pour infiltrer les petits groupes qui s’étaient spon-tanément formés, en attendant le début de l’audience.

A 9 heures, le public prend place dans la salle d’audience qui, ce jour-là, était propre. Autre remarque : trois micros ont été placés. Est-ce là le fruit de la lutte du syndicat des magistrats ou de celui des agents de la justice ? L’un dans l’autre, cela a permis de rendre l’audience, pour une fois, publique. Quelques dossiers vidés, et voilà le président qui annonce le dossier tant attendu.

A 9 h 45, le procès commence. Maman Abou appelé à la barre, a décliné son identité, à la demande du président, avant d’annoncer que son casier judiciaire est vierge. Les parties au procè ont constitué chacune des conseils : le cabinet Baadhio pour les plaignants, maîtres Souleye Oumarou, Moussa Coulibaly (tous du barreau de Niamey) et William Bourdon (du barreau de Paris), tous présents.

C’est ainsi qu’on apprend par la voix du président, que Maman Abou est poursuivi pour un délit de diffamation publique à l’égard des membres de gouvernement, que sont Hama Amadou, Premier ministre et Ali Gamatié, ministre des Finances au moment de la publication de l’article incriminé. Le 7 novembre, se rappelle t-on, Maman Abou avait été condamné par défaut à 6 mois de prison ferme, 300.000 F CFA d’amende et 10 millions FCFA de dommages - intérêts, alors qu’il était depuis 2 jours entre les mains des autorités judiciaires. Le prévenu puis ses avocats avaient fait opposition de ce jugement.

Les plaidoiries de la défense ont commencé sur les chapeaux de roue : les avocats ont, avec force arguments, invoqué la nullité de toute la procédure engagée pour non-respect des dispositions de la loi sur le régime de la liberté de presse et du code de procédure pénale.

On se rappelle aussi que la 1ère date du procès avait été fixée au 14 octobre. La notification a été faite le 6 octobre. Déjà à ce niveau, on se rend compte que les 10 jours francs qu’on doit observer entre la date de notification et celle de la tenue du procès n’a pas été respectée. A la demande de la partie civile, le procès a été reporté au 21 octobre. Ce jour là, deux moutures de jugement ont été enregistrées : le 1er jugement consi-déré comme contradictoire (où la défense y était, alors qu’elle était absente) et le second par défaut. En fait, ce jour-là, il n’y avait pas eu de procès. Il a eu lieu le 7 novembre, par défaut. C’est pourquoi, les avocats ont fait opposition. Car comment peut-on expliquer à quelqu’un qui est entre les mains des autorités judiciaires qu’il a été jugé par défaut ? Cela est-il possible d’après quel droit procédurier nigérien ? Après cette première phase de la plaidoirie des avocats de la défense, Maman Abou a été appelé à la barre. Il a tenu à expliquer les mécanismes de la dépense publique avec la passion de quelqu’un qui est soucieux du respect par tous des lois et règlements, et de l’argent public.

Dans cette affaire des PSOP, on a payé tout sans rien engager. Or, les dépenses doivent suivre ces 3 étapes incontournables : l’engagement, la liquidation et l’ordonnancement. L’engagement plus que les autres phases est obligatoire. Avant d’engager, on doit disposer d’un bon d’engagement. Cela n’est pas l’affaire du ministre des Finances ou du Premier ministre. Sans engagement, place est faite au vol, aux rapines, à la mauvaise gestion.

Mais au lieu qu’il y ait engagement, il n’y a eu que de simples lettres, au point où même des devis estimatifs ont été payés. Puisqu’il n’y a pas eu d’engagement, les contrôleurs financiers ont été ignorés, les verrous de contrôle sautés : pas d’appel d’offres, pas de publicité dans la presse, le code des marchés publics non respecté.

Même si ce sont des marchés de gré à gré, il y a des conditions, au nombre de 10 ? à respecter. Aucune ne l’a été dans les cas des PSOP, où les marchés sont payés à 100 % (donc non enregistrés, ce qui constitue une autre violation de la loi), alors que la loi prévoit des avances de 15 à 30 % selon les cas. En plus, il a été décélé du faux sur les imputations des crédits, en faisant référence à une imputation qui n’existe pas. Conclusion : on sort de l’argent du trésor sur la base d’un faux.

Même en cas de gré à gré, on ne s’assure pas que l’offre est la plus avantageuse pour l’Etat acheteur, encore moins de la certification du service fait. L’avocat de la partie civile insiste pour dire qu’il y a diffamation en versant au dossier une copie du décret n° 2002-196/ PRN/MF/E du 26 juillet 2002, portant règlement géné-ral de la comptabilité publique, en application d’une loi votée un mois plus tard, avant de poser deux questions à Maman Abou : avez-vous une carte de presse ? Quelle école de journalisme avez-vous fréquenté ? a-t-il dit en substance. Ces questions ont provoqué l’hilarité de la salle. Maman Abou répond imperturbablement que depuis 12 ans qu’il est directeur de publication, le CSC ne lui a pas notifié qu’il n’a pas cette qualité, avant de renvoyer l’avocat (qui les ignore certainement) aux conditions pour être journaliste, contenues dans la loi.

Le procureur dans son réquisitoire invoque la même loi que l’avocat de Hama et Gamatié, et requiert la même peine (6 mois de prison ferme) que celle contenue dans le communiqué du ministre de la justice, Maty Elhadji Moussa, du 10 novembre dernier, dans lequel il a appris aux nigériens la condamnation de Maman Abou par défaut. Les avocats de la défense reviennent à la charge pour révéler que la fameuse loi sur laquelle le procureur et l’avocat du duo Hama - Gamatié se sont rabattus est caduque.

D’une part, on apprend qu’elle était postérieure à son propre décret d’application (un mois d’intervalle) et de l’autre, qu’elle a été déclarée nulle par un arrêt de la cour constitutionnelle. Alors quelle valeur pourrait avoir un décret d’application dès lors que la loi elle-même est caduque ?

En outre, il y a diffamation lorsque les faits ne sont pas vrais. Ici même les plaignants ne disent pas que les faits sont faux, et l’authenticité des fac similés pu-bliés par « Le Républicain » n’est pas contestée par la partie civile et le ministère public.

En plus, les paiements sans ordonnancement préa-lable (PSOP) effectués en janvier et juin 2003 les ont été alors qu’il n’y a ni loi de finances, ni lois organiques valides. Ils ont été opérés sans aucune base légale. C’est cela que Maman Abou et « Le Républicain » ont dénoncé dans l’article incriminé.

Le délibéré est fixé au mardi 23 décembre. Le public quitte la salle d’audience satisfait des plaidoiries des avocats de Maman Abou, ces « grosses pointures du prétoire » comme dirait quelqu’un, avec surtout l’espoir que le juge prononcera purement et simplement la relaxe de Maman Abou. Il aura ainsi rétabli la justice et l’équilibre rompu. N’est-ce pas aussi cela le rôle du juge ?

Oumarou Keïta