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Muhand, l’artiste au grand cœur !
dimanche 23 décembre 2018, par
Il dérangeait par son activisme et par son engagement pour le combat identitaire berbère. Il l’assumait pleinement dans son art et dans sa vie quotidienne. Muhand Saïdi, artiste-peinte, calligraphe, plasticien, sculpteur, modéliste et caricaturiste avait succombé à un cancer le 23 décembre 2013. Il était âgé de 49 ans.
Un grand cœur
S’il y’avait un trait qui caractérisait Muhand c’était sa sensibilité et son humanisme. Tous ceux qui l’avaient côtoyé à Imteghren se rappelaient d’un homme qui avait le cœur sur la main. Sa maison, qui était aussi son atelier, était ouverte à tous, aux étudiants sans bourses, aux militants sans-le-sou et à tous les amoureux de la culture berbère de tous les pays de Tamazgha. Les intimes l’appelaient « Jésus. » Sur le terrain, il était de tous les combats. Dans les facultés et les associations, il animait des ateliers et dispensait des formations. Je garde toujours dans ma tête cette image de Muhand, un grand sac rempli de crayons, de feutres, de stylos de calligraphie et de feuilles de dessins de différentes couleurs, toujours pendu à son épaule. Toujours prêt à aller quelque part et à dégainer une feuille et un crayon pour dessiner dans les bus, les cafés. Il avait la sensibilité d’un enfant.
Muhand était également un homme de terrain. Il voyageait beaucoup et aidait des associations ayant pour mission de soutenir les écoliers issus de familles démunies et de permettre aux jeunes filles de poursuivre leurs études. Il a distribué des milliers de cartables, de stylos, de crayons, de matériel d’arts plastiques, d’habits et même de machines à coudre au profit de différentes associations à Alnif, à Imteghren et dans la vallée de Mgoun. Tout ce matériel provenait d’associations en France et en Suisse.
L’artiste était sur tous les fronts malgré son métier de professeur d’arts plastiques dans un collège d’Imteghren. Infatigable. Il consacrait ses vacances scolaires à ces actions qu’il menait sur le terrain.
Muhand ne faisait pas tout ca pour plaire à quiconque, mais il considérait ces actions comme un devoir. Une fois dans la minuscule cuisine de sa maison à Imteghren, une amie basque qui collectait en France de matériel qu’il distribuait aux associations, lui lança : « Tu sais Muhand, tu as un cœur comme ca ! ». La dame tendait ses mains, représentant un grand cœur. Muhand, par timidité, versa quelques larmes.
Cette générosité et cette disponibilité avaient miné sa vie privée. Muhand appartenait à tout le monde. Il ne savait pas dire non. Là où il passait, il essayait de cultiver de la joie et surtout l’esprit de Tiwizi (entraide). Malheureusement, nombreux sont ceux qu’il avait soutenu activement et auxquels il avait consacré beaucoup de temps et d’argent qui ne s’étaient pas souvenu de lui, alors qu’il combattait son cancer. Ils l’avaient oublié et ignoré. Muhand m’avait affirmé lors de sa maladie qu’il en gardait un goût amer.
Un Artiste qui dérange
Muhand n’était pas uniquement cet homme de terrain qui arpentait le Tafilalt pour aider des associations et animer des ateliers, mais aussi un artiste très engagé politiquement. Ses œuvres, surtout les caricatures, sont mordantes. Muhand était allergique à tout ce qui est officiel. Une fois, il avait refusé que sa biographie soit publiée dans un guide publié par l’Ircam, consacré aux artistes berbères.
Il écrit : « J’ai dessiné des caricatures contre la falsification de l’Histoire, pour le rejet de l’arabo-islamisme. Je refuse l’Ircam, qui essaie de créer de faux artistes qu’il jette de côté comme des mouchoirs, une fois utilisés, des artistes programmés à tel point qu’il leur est impossible de créer, mais seulement de propager les idées de soumission. Ces « artistes » sont en train de créer une fausse culture qui sert en premier lieu le régime arabo-islamiste en place. L’artiste doit être un agitateur d’idées, pas un esclave qui vend son âme à un régime.
Mon art est engagé. Je le consacre à la défense de la cause de mon peuple. Il s’inscrit dans le cadre de la lutte culturelle et politique que mon peuple mène pour son émancipation. »
Muhand Saïdi était droit dans ses bottes, déterminé et refusait toute forme de corruption. Il était un artiste libre et digne. Il subira les conséquences de ses positions courageuses lors de sa maladie. Une fondation (étatique) de lutte contre le cancer a refusé de le prendre en charge, prétextant à chaque fois qu’un document manquait. Il était enseignant et sa mutuelle lui permettait pourtant de bénéficier des soins de cette fondation.
Muhand nous a quittés il y’a déjà cinq ans. Chacun de nous a le devoir de continuer cette lutte et de rendre hommage à cet homme qui a consacré toute sa vie à la défense de la culture berbère.
A. Azergui