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Salim Yezza, l’infatigable militant...
Entretien avec Hocine Redjala, cinéaste kabyle.
dimanche 16 septembre 2018, par
Cinéaste, Hocine Redjala est aussi un militant kabyle qui était activement impliqué dans le mouvement citoyen né du printemps 2001. Il a eu à rencontrer Salim Yezza aussi bien en Kabylie que dans les Aurès.
Lorsque Hocine Redjala est allé dans les Aurès pour la réalisation de son film sur les tailleurs de pierre de T’kout, il a eu également à faire appel aux services de Salim Yezza qui lui a été d’une grande aide pour son travail.
Ce sont les raisons pour lesquelles nous avions pensé à interviewer Hocine Redjala suite à l’arrestation de Salim Yezza en juillet dernier.
L’entretien devait être publié en juillet, mais les conditions n’étant pas réunies ce n’est deux mois plus tard que sa publication a été possible.
Tamazgha.fr : Le 14 juillet 2018, Salim Yezza, un militant amazigh des Aurès, est arrêté à l’aéroport de Biskra, dans les Aurès, alors qu’il s’apprêtait à prendre l’avion à destination de Paris. Il s’y était rendu pour assister aux obsèques de son père décédé le 9 juillet. C’est le juge d’instruction auprès du tribunal de Tagherdayt qui a émis un mandat d’arrêt contre lui avec comme accusation l’incitation à la haine et à l’attroupement.
Que penses-tu de cette arrestation et de cette méthode des autorités de l’Etat algérien ?
Hocine Redjala : L’arrestation de Salim est un acte de trop dans les méfaits de la dictature en place. Les militants de la cause amazighe sont une cible de choix pour affirmer la dominance de la culture arabo-musulmane en Afrique du nord. Salim est le porte flambeau de la résistance des Chaouis. Ce qui s’est passé à Biskra en juillet dernier, suite à l’arrestation de Salim après l’auto saisine du procureur de Ghardaia, démontre que la justice en Algérie fonctionne à travers des leviers. Ça nous rappelle bien d’autres arrestations abusives.
Tu as connu Salim Yezza lors du Printemps noir qui a marqué la Kabylie suivi, en 2004, des évènements de T’kout dans les Aurès. Que peux-tu nous dire de Salim Yezza et de son engagement ?
– Salim est devenu un ami car nous nous sommes rencontrés dans le tumulte du crime contre l’humanité du printemps noir en Kabylie.
Il était venu nous soutenir après les événements de T’kout, observés en soutien à ce qui se passait en Kabylie. A T’kout, les jeunes ont vécu le marasme, le déni et surtout le viol. À ce sujet, un procès a été intenté par un collectif d’avocats pour viol dans des brigades de gendarmerie de quelques jeunes manifestants arrêtés suite aux manifestations de soutien au Kabyles. La jeune journaliste, Abla Cherif, qui avait rapporté les cas de tortures qui travaillait au quotidien Le Matin a été condamnée pour diffamation par le Ministère de la défense nationale (MDN).
Les procès se sont soldés par la confirmation avérée des cas de tortures et démontrés par les jeunes avocats, ayant défendu le dossier. On retrouve par ailleurs, la quasi majorité de ces avocats dans le collectif de défense des martyrs et des victimes et du printemps noir.
Lors des évènements de T’kout, il semblerait qu’il a été recherché et il avait trouvé refuge en Kabylie !?
– Salim, en ces temps-là était recherché à Tkout et comme le dit si bien son pseudo, Ulgzelmat, il a pris le maquis pour devenir un hors la loi. Ce personnage qu’il a incarné en pseudo est un hors la loi connu dans les Aurès face à l’administration coloniale française et ses supplétifs. Donc, Salim était parmi nous en Kabylie et participait avec d’autres copains à lui, venus eux aussi de Tkout, à toutes les manifestations que nous organisions en Kabylie. Il était toujours à la permanence de la coordination des Archs de la Kabylie.
Salim inspire une grande confiance et ce qui m’a marqué en lui c’était son apprentissage du kabyle en un temps record. Il aime bien nos façons de voir, de militer et de résister.
T’as eu à réaliser un film sur les tailleurs de pierre dans les Aurès. Pourrais-tu nous en dire un peu plus à ce sujet ?
– Je suis parti à Tkout en tournage avec deux amis communs à Salim ; Sofia Djema, réalisatrice, et Yacine Teguia, un homme de gauche de l’ex PAGS. Nous étions partis sur un reportage de fond sur les tailleurs de pierre dans cette région qui a payé un très lourd tribut en hommes pour pouvoir survivre. La misère est partout, elle est dévorante et la désolation nous offusquait.
Pour réaliser le film, Salim a fait appel à des copains à lui et je pense à Khlifa le guitariste. Au rythme du rock et les coups sur la pierre, suivi des chants lointains que résonnent la montagne chaouie, le film a pris forme.
La taille de pierre, compliquée par la silicose, une maladie grave qui attaque les poumons à travers les poussières inhalées a fait beaucoup de victimes à Tkout. Il faut signaler que la taille de pierre reste le seul revenu valable pour les jeunes de cette région meurtrie.
Lors de la réalisation du film, j’ai vu quelques jeunes de Tkout prendre leurs valises en direction des hauteurs d’Alger pour travailler la pierre dans les maisons des richissimes barrons. Cet exode mortel est déchirant.
Propos recueillis par
Masin Ferkal.