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Un pionnier du Mouvement amazigh tire sa révérence

mercredi 8 février 2023, par Masin

Ali Iken, l’un des pionniers de la revendication identitaire amazighe et ex-détenu politique de l’affaire Tilleli (mai 1994) est décédé jeudi 2 février à Meknès. Feu Iken était également romancier et poète.
Né à Aït Tidjit, un village minier de la province de Figuig le 15 novembre 1954, l’année de « la vache noire » comme aimait-il dire, Ali Iken était enseignant au lycée Sijilmassa à Imtghren (Errachidia), chef-lieu de la région de Tafilalet.

Tilelli

Ali Iken était l’un des membres fondateurs de l’Association Culturelle Gheris (rebaptisée, deux ans après, Association Socio-culturelle Tilelli). Il était membre du bureau. Il figurait parmi les sept membres et sympathisants de cette association qui ont été arrêtés lors de leur participation au défilé du 1er mai 1994 à Imtghren au cours duquel ils avaient arboré des banderoles transcrites en caractères tifinagh et avaient scandé des slogans en faveur de la langue et de la culture amazighes et contre leur exclusion. Ils ont également diffusé le mémorandum adressé par les associations amazighes au premier ministre marocain en mars 1994. Le mémorandum en question porte, rappelons-le, sur les droits linguistiques et culturels amazighs tels qu’ils sont énoncés dans la Charte d’Agadir. Iken fut à l’origine du « défilé amazigh » de la marche de mai 1994.

Les sept militants, traduits le 7 mai 1994 devant le tribunal d’Imtghren, sont poursuivis pour « agitation et atteinte à l’ordre public, profération de slogans en contradiction avec la constitution et incitation à commettre des actes contre la sécurité intérieure de l’Etat ».
Quatre militants seront acquittés le 27 mai. Ali Iken et Mbark Taous seront condamnés à deux ans de prison ferme. Ali Harcherras écopera d’une peine d’un an de prison ferme assortie d’une amende de 10 000 dirhams (environ 1000 euros).
Ces détenus seront libérés suite à une mobilisation internationale en leur faveur.
Lors des arrestations, la police marocaine a saisi le manuscrit de la traduction en tamazight de « Mille et une nuit » qu’Iken terminait, ainsi que plusieurs dizaines d’autres textes, de livres et de magazines. Il ne récupérera jamais ces documents.

Ali Iken était un militant acharné pour les droits politiques et linguistiques du peuple amazigh. Il était de toutes les luttes syndicales et culturelles en faveur de la langue et de la culture amazighes.

Imbuvable « Soupe de poile »
Iken, en homme d’action, ne s’était pas limité à militer dans des associations et des syndicats, mais il a eu également à produire en tamazight. Il est l’auteur de l’un des premiers romans en tamazight à Tamazgha Occidentale : « Asekkif n inẓaden », un titre provocateur. Le roman « soupe de poiles » est le journal d’un activiste de gauche qui a pris les armes au début des années 1970 dans une tentative échouée de créer des « foyers révolutionnaires » à travers l’Atlas. Les héros de cette histoire ont fini par s’exiler en Algérie pour échapper à la prison. Ce roman recevra le Prix Mouloud Mammeri en 1995, décerné par la Fédération nationale des associations amazighes à Tizi Ouzou en Kabylie.
« Asekkif n inẓaden » est une expression utilisée pour exprimer l’inextricabilité d’une affaire. Une soupe de poiles ne peut être ni bue ni offerte.
Ali Iken a également contribué à plusieurs revues et journaux amazighs dont Tasafut, Tidmi, Tifinagh et autres. C’est à son initiative qu’une page hebdomadaire nommée « Spécial Tamazight » est créée dans le quotidien francophone Al-Bayane, au début des années quatre-vingt-dix. Le premier texte qui y était publié est de sa plume. Cette page va durer plus de deux ans.

Ma poésie, la voici...
Ali Iken, en héritier d’illustres poètes amazighs de Tafilalet comme Amar Oumahfoud, Ouasta, Sakkou et autres, publie en 2006 « Alphabet des Flocons », un recueil de poèmes en langue française.
En 2011, Iken publie un autre recueil de poésie intitulé « Ma Frange, la voici / Haɣ ak tawnza ». Il s’agit de 130 izlan traduits en français. Ce sont des chants glanés surtout entre 1985 et 1987, auprès des femmes et des hommes d’Almou, un petit hameau de la vallée d’Aït Aïssa dans la province de Figuig.

Ali Iken publiait des articles et des traductions en français de textes en tamazight dans la revue Francopolis.

Retrait

Déçu par la tournure que le Mouvement amazigh a prise, depuis la création de l’Ircam [1] et les multiples compromissions de l’élite royale amazighe, Ali Ikken s’est retiré des milieux de la militance berbère. Il a coupé tout contact avec les acteurs de ce mouvement.

Dans son recueil « Alphabet des Flocons », il écrit :
« Porter sa porte sur le dos
Errer par monts et champs
Quand arriveront les vents
Pour nettoyer nos belles demeures
Qu’ils trouveront ouvertes
Nous serons d’elles loin déjà. »

Aksil Azergui

 ALI IKKEN : « L’évaluation en tant que pratique théorique est presque inexistante chez les acteurs du MCA marocain. »
 "Izlan de la résistance"
 De l’oralité à l’écriture - Introduction à la poésie Amazigh. Introduction par Cécile Guivarch, suivi d’un entretien avec Ali Iken


[1Institut royal de la culture amazighe, institution rattachée au Palais qui l’a créée le 17 octobre 2001, chargée d’accompagner « les mesures de nature à sauvegarder et à promouvoir la culture amazighe dans toutes ses expressions à l’échelon national, régional et local ».