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Sur les hauteurs de Mareghna...

40 jours après l’assassinat d’Ameziane Mehenni.

mardi 24 août 2004, par Masin

Pour rendre hommage à Ameziane Mehenni, assassiné à Paris dans la nuit du 18 au 19 juin 2004, le Comité inter-villages d’Illoula-Oumalou, le village Mareghna, le MAK et Ferhat Mehenni ont organisé les cérémonies du "40ème jour" et ont convié l’ensemble de la population à y participer.
Saïd Chemakh, membre de la Rédaction de Kra Isallen, ami de Ferhat et Ameziane Mehenni s’est rendu à Mareghna pour rendre hommage à Ameziane. Il nous a fait parvenir un texte que nous publions ci-après.

C’est le mercredi 18 août qu’a eu lieu la commémoration du 40ème jour de l’assassinat d’Ameziane Mehenni, et ce sur les hauteurs de Mareghna. Ameziane Mehenni est désormais enterré près de ses ancêtres sur la terre qui l’a vu naître.

Le 40ème jour consiste dans les pratiques religieuses kabyles à élever un tombeau en dessus la tombe de la personne enterrée. Tiririt n tent’elt, tel est le nom de cette pratique, ne peut intervenir avant le 40ème jour. Les explications recueillies ça et là ne semblent pas toutes satisfaisantes. Pour les uns, imprégnés par la mythologie et l’eschatologie kabyles, c’est au bout du 40ème jour passé que le mort ne peut plus se ressusciter. Pour d’autres, ce n’est ni plus ni moins qu’un héritage de la chretienneté antique de l’Afrique du nord : Jésus Christ n’est-il pas ressuscité au bout du 40ème jour ? Enfin, signalons que certaines tribus maraboutiques kabyles, donc assez imprégnés de la religion musulmane ignorent et ne pratiquent pas la commémoration du 40ème jour. Les vieilles kabyles auxquelles nous avons demandé pourquoi attendre le 40ème pour tiririt n tent’elt n’ont qu’une expression à la bouche : ilulaq (<ur ilaq) = "il ne faut pas, c’est un interdit".

A Mareghna, ce n’est pas seulement la famille Mehenni qui se prépare pour la commémoration mais tout le village.
C’est chez lui que Ferhat nous a reçu. Il est visiblement content du nombre de personnes dont de nombreux amis venus lui témoigner soutien et solidarité. Certains émigrés venus passer les vacances d’été n’ont pas hésité à faire le déplacement jusqu’à Ilula Umalu, surtout ceux qui ont connu Ferhat et/ou Ameziane en France.

Sous une pluie fine, un peu avant 19h, la procession qui s’est constituée devant la maison du président du MAK se dirige vers le tombeau d’Ameziane. A l’arrivée, jeunes comme vieux se succèdent pour déposer qui des gerbes de fleurs qui des roses. Après une minute de silence à la mémoire d’Ameziane, Ferhat prend la parole pour remercier toutes les personnes venues. Il cède le micro à Abdennour Ali-Yahia (Président de la LADDH) puis à Mokrane Aït-Larbi. Ces derniers ne manqueront de rappeler à l’assistance les conditions dans lesquelles ils ont connu Ameziane : c’était au moment où il venait rendre visite à son père qui croupissait avec eux dans les geôles algériennes de Berrouaghia, Médéa, Blida et Tazoult-Lambèse.

Sous les drapeaux berbères flottant dans le ciel, Hassan Hirèche (enseignant de berbère à l’Université Paris VIII, St-Denis) a lu une déclaration écrite la veille par la famille et les amis d’Ameziane. Dans le premier paragraphe, il est souligné que ‘...évoquer ensemble Ameziane Mehenni c’est certes remuer le couteau dans la plaie mais c’est aussi l’une des rares façons que nous ayons de le soustraire à la mort en lui offrant un coin de vie dans nos cœurs. Il a rejoint une constellation d’étoiles qui en scintillant veillent sur l’avenir du peuple kabyle qu’il souhaitait ardemment radieux’.

Bien qu’il commence à faire nuit, des amis, des femmes, des jeunes... ne cessent d’arriver des villages environnants, d’Azazga, de Tizi-Ouzou... pour y apporter leurs gerbes sur la tombe. Parmi les personnes présentes, nous avons pu reconnaître des amis de Ferhat : Arezki Aït-Larbi, Malika Baraka... ou des amis d’Ameziane, des artistes dont BTK... des membres du mouvement citoyen, des militants du MAK dont Aït-Bachir et des membres du Comité des Femmes de Tizi : Ferroudja M. et Kamira.

Pressé de questions sur l’avancement de l’enquête diligentée par la police française, Ferhat a seulement affirmé que l’on est toujours au stade d’investigations. Toutefois, comme l’enquête n’a pas atteint le stade de l’instruction, il n’a pas manqué de souligner ceci : ‘...un juge d’instruction a été désigné mais il est aussitôt parti en congé. Comment expliquer l’empressement de la police française à déclarer que l’assassinat n’a aucune relation politique alors que l’enquête n’est qu’au stade des investigations. La brigade criminelle, quant à elle, s’intéresse beaucoup plus à chercher des poux dans la tête de la victime au lieu de chercher ailleurs les raisons et les commanditaires. Je condamne enfin le black-out des médias français qui ont ignoré tout d’un crime commis sur leur sol...’.

Bien qu’il craigne que le dossier soit classé comme c’est le cas dans plusieurs affaires de ‘droit commun’, Ferhat n’hésite pas à émettre des doutes quant à certaines volontés d’étouffer certaines vérités. L’enquête ne bute-t-elle pas sur des considérations politiques.

Certaines personnes présentes à Mareghna craignent quant à elles que l’enquête sur l’assassinat d’Ameziane ne connaisse une fin similaire à celle d’Ali-André Mecili.

En quittant les hauteurs d’Ilula et de Mareghna, nous avons jeté un dernier regard aux monts du Djurdjura où la neige a fondu. Ils sont là, inamovibles depuis des siècles. Seul le sirocco tente de les tremper. Un léger vent souffle du sud. Le drapeau berbère flotte toujours au-dessus de la tombe d’Ameziane Mehenni.



Correspondance particulière de Saïd CHEMAKH,
Tizi-Ouzou, le 20 août 2004.





 Voir la déclaration des amis d’Ameziane Mehenni
 Voir le site dédié à Ameziane Mehenni