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Une reconvertie
par Malika Matoub
samedi 3 janvier 2004, par
Kra Isallen va désormais publier des textes d’opinion, des reflexions… encore inédits dans une nouvelle rubrique intitulée "Tribune libre". Comme premier texte, nous publions "Une reconvertie" dont l’auteur est Malika Matoub.
Signalons au passage que Malika s’est largement inspiré de l’éditorial "Au nom de la sécurité" signé Serge Benattar dans le n°821 d’Actualité Juive Hebdo, (numéro daté du 27 novembre 2003, p.3).
UNE RECONVERTIE
pour une mort parfaite sans distinction et sans entrave
J’ai ôté ma robe kabyle, j’ai accepté de changer de nom et j’ai mis un costume sur mesure qui a mis fin à ma différence et à mon intransigeance. Je n’étais plus de la race des résistants qui affrontent la mort à bras le corps quand leurs têtes sont mises à prix.
Sûr, là je me fondais dans le paysage cynique de la République bananière des consorts… Benflis et Bouteflika, des généraux flicaraux hyper hardis dévaluant bien haut leurs œuvres d’armées baissant bien bas leurs… tout en cachant bien bas leurs kalachnikovs et des spadassins sanguinaires lesquels démontraient une allure d’homme sanglant à faire fondre le granite. Au milieu d’eux tous, je suis une Algérienne debout à la mémoire des martyrs qui n’ont rien vu.
J’étais enfin libre, je ne serais plus le sujet favori de ceux qui sont déchus de leur kabylité. Désormais, on serait du même bord. Pas besoin d’autres Massinissa. Je ne me sentais plus investie de la mission d’être une femme kabyle. Je pouvais enfin vivre ma nouvelle vie, regarder les films brésiliens, me permettre toutes les folies y compris celle de devenir députée de la nation et verser une larme parmi la nomenklatura aux recueillements du 29 juin à El Alia.
Une femme du monde et pour le monde, incolore, inodore. Une femme qui a appris, elle aussi, à manier les concepts de modernité, de laïcité, de démocratie et qui admet à chaque fois s’être trompé pour mieux recommencer. Je n’avais plus de signe distinctif et je me demandais comment je n’ai pas pensé plutôt à me libérer de ce carcan si lourd à porter. Et de plus, ce qui n’est pas le moindre des avantages, je me sentais enfin intégrée à côté du moule arabo-islamique sans me soucier des factures impayées, de mes frais de voyage à l’étranger, des salaires de mes collaborateurs et encore moins des affaires de meurtre. Les dignitaires richissimes sont là dans les moments difficiles ; ils n’oublient pas, on se serre les coudes, nous sommes enfin une famille qui avance malgré les contre temps d’Abrika de ces derniers mois.
C’est super ! Mon miroir me renvoya l’image d’une femme épanouie, accomplie sans souci et mon ego est fier de la mutation. Par ma scolarité "fondamentale" j’excella dans la langue de Ben Badis, de Belkhadem et Tahar Ouatar. L’effacement subordonné se fructifia, je suis désignée sénatrice tiers présidentiel ; belle promotion en attendant les meilleurs.
Quel ne fût donc mon étonnement, ma surprise, lorsque j’ai pris mon poste, d’entendre au détour d’un désaccord tactique sur les "dossiers show de l’été" : "sales Kabyles, vous avez osé écorcher qassaman et vous…". Déception ! Et alors j’ai constaté que mon initiative n’avait servi à rien, je compris instantanément que ma taziba d’Ath-Yanni était un signe ostentatoire. Non sans hésitation, j’ôta ces bijoux qui commençaient à peser lourd sur ma nouvelle vie. La transformation est radicale. Me voilà bien coiffée, pantalon de chez Cacharel sans l’éternel mendil d’El Djouhar. Ce fût vraiment radical, j’étais une femme nouvellement moderne, démocrate de chez les démocrates, sénatrice de surcroît, je vote tout sans procuration ni mandat. Je pouvais même me permettre de ribouler, révulser, ricaner devant les barbus du sénat que je croisais et dont le visage était presque en totalité recouvert par la barbe FLN. Quel gâchis, pensais-je ! C’est alors que l’un d’eux me lança sans se retourner "Juive Kabyle". C’était comme si le monde s’écroulait autour de moi. Comment avait-il deviné que j’étais kabyle ? C’est alors que je m’aperçu que le "Z" imazighen, offert par ma mère et que j’avais soigneusement dissimulé sous ma chemise, à la faveur d’un faux mouvement, s’était épris de liberté et trônait à la vue de tous en Rebelle.
Horreur ! Discrètement, je le saisis à pleines mains, je donnais un coup sec à ma chaîne qui se brisa. Je fis sauter un des derniers maillons qui m’enchaînaient à des milliers d’années d’histoire, de mémoire, de tradition et de souvenirs.
Statut exige, plus de robe kabyle, plus de bijoux d’Ath Yanni. Cette fois-ci je pouvais, sans crainte aucune, arpenter les couloirs officiels et être l’invitée du 20h de Hamraoui Habib Chawki. Inodore, je prenais un malin plaisir à aller et venir dans les arcanes du pouvoir, me fondant dans la luxure des soirées mondaines. Après ces moments de liberté et de jouissances démesurées, je regagnais Club des Pins à bord de la Mercedes noire, héritage familial qui porte encore les vestiges tragiques. Arrivée à bon port et au moment même ou j’ouvris ma portière pour sortir, un groupe de Snipers m’entoura et d’un air menaçant me lança "Eh, la Matoub disparaît, sinon tu auras droit à de belles funérailles..."
Alors là, c’est inimaginable ! Tous mes efforts étaient réduits à néant. Qu’est ce que j’avais encore oublié ? Quelles sont les causes de cet acharnement ? Etait-ce ce legs matériel ou tout simplement l’empreinte biologique ?
Lasse et exténuée, j’étais à deux doigts d’aller en Kabylie et de crier à la face des laquais "je suis une MATOUB j’offre mon corps aux balles des GIA", j’accepte vos sentences et invectives. Il me restera mon âme, bien sûr ! Mais on me demande de la vendre au diable, qui donc ? Ces amnésiques de la finitude qui vont tenter de s’approprier aujourd’hui, dans un grand show politico-médiatique, les nobles références historiques, fruit du sang d’un million et demi de martyrs.
Mon âme, je n’y avais pas pensé plus tôt. Cela m’aurait évité de tout balancer et, qui sait, de subir un lifting. Qui dit mieux ?
Avons-nous compris les desseins des bouffes-Kabyles ? Après la prison à faire vomir le sang à en mourir de dégoût au delà des maisons de toutes les prisons, après l’interdiction meurtrière de pénétrer dans la cour ou plutôt la basse-cour de la présidence et l’exécution des probes. Allez vous étonner demain quand un politique finissant ne fait qu’augmenter son paroxysme pro-pondéral inébranlable afin de détruire la démocratique dépeuplée Kabylie ancestrale. Ce dernier, sous des déguisements grandiloquents, se présentera aux élections présidentielles dans une planète mirage où il n’y aurait point d’empreinte de l’assassinat de l’auteur d’Aghourrou.
Ayen, ayen, ayen …
Malika Matoub,
Paris, le 4 décembre 2003
Messages
1. Une reconvertie, 1er août 2007, 18:48, par OUTHKOUKTH
CHAQUE PEUPLE A LE PRESIDENT QU’IL MERITE.
LES AMAZIGHS SONT UN PEUPLE FAIBLE OU PACIFIQUE ; LES DEUX ONT LE MEME RESULTAT C’EST D’ETRE VULNERABLE A TOUT MOMENT DE L’HISTOIRE C’EST CE QUE L’ON ETAIT ET ON EST ET ON SERA A JAMAIS.
MMIS N TKOUKT