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HRW dénonce l’arbitraire de l’Etat algérien

mercredi 23 février 2022, par Masin

"Les autorités algériennes devraient remettre immédiatement en liberté les défenseurs des droits humains, les activistes de la société civile, les personnalités d’opposition, les journalistes et toutes les autres personnes emprisonnées arbitrairement pour avoir exercé pacifiquement leur droit aux libertés d’expression et de réunion" a déclaré Human Rights Watch (HRW) dans une communication datée du 21 février 2022.


Mohand Mouloudj

Dans son communiqué, HRW note que certains de ces détenus "font l’objet d’accusations de terrorisme sur la base d’une définition de ce terme si vaste que cela en devient arbitraire". En effet, cinq mécanismes du Haut conseil des droits de l’Homme des Nations unies ont adressé une communication, le 27 décembre 2021, aux autorités algériennes pour leur faire part notamment de leurs préoccupations quant à la compatibilité de la législation antiterroriste du régime algérien avec le droit international. C’est le cas par exemple de la définition de terrorisme selon les nouvelles dispositions du Code pénal introduites par l’Ordonnance n° 21-08 (30 mai 2021). C’est le cas également de l’instauration de la liste nationale des personnes et entités terroristes ou encore la création de la Commission chargée de ladite liste. [1]

Pour Eric Goldstein, directeur par intérim de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch, "Empiler des chefs d’accusation douteux de ‘terrorisme’ et des inculpations vagues comme ‘atteinte à l’unité nationale’ ne peut occulter le fait qu’il s’agit en réalité de réduire au silence les voix critiques d’un mouvement pacifique".
Si le Comité national pour la libération des détenus (CNLD) estime à au moins 280 les personnes qui "sont actuellement emprisonnées pour avoir exprimé pacifiquement leurs opinions", la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme (LADDH), de son côté, selon HRW, "a estimé que le nombre de personnes en détention était de 330, le 5 février 2022".
HRW évoque dans sa communication les détenus qui ont entamé une grève de la faim pour protester contre leur détention qu’ils estiment arbitraire. Ils seraient une quarantaine à la prison d’El Harrach où ils sont en détention préventive et attendent leur procès depuis des mois. Plus d’une vingtaine parmi eux auraient été transférés à la prison de Saïd Abid à Bouira et à celle de Berrouaghia. Parmi ces grévistes, Hassan Bouras, journaliste et membre de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme, arrêté le 6 septembre 2021, accusé d’"atteinte à l’unité nationale", "outrage à corps constitués" et "promotion d’informations mensongères", d’"adhésion à une organisation terroriste", "apologie du terrorisme" et "complot contre la sûreté de l’État". Les autorités algériennes se sont appuyées sur ses publications sur le réseau social Facebook pour formuler cette série d’accusations.
Même si HRW ne l’a pas évoqué, un autre journaliste également croupit dans les prisons algériennes depuis le 12 septembre 2021. Mohand Mouloudj, originaire de Tifilkout en Kabylie, a été accusé de "diffusion de fausses informations portant atteinte à l’unité nationale" et d’"appartenance à un groupe terroriste". Il lui aurait été reproché d’avoir communiqué avec Ferhat Mehenni, président du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK), classé par l’Etat algérien comme organisation terroriste depuis le 18 mai 2021 [2]. M. Mouloudj exerce au sein du quotidien Liberté, un journal qui semble mal porter son nom puisqu’il a comme l’air d’avoir lâcher son journaliste. En effet, non seulement ce journal n’a pas soutenu ni défendu le journaliste, mais le site Ancrage rapporte que des proches du journaliste affirment que "le salaire de ce dernier n’a plus été versé depuis son incarcération" : c’est le directeur de publication de Liberté, Abrous Outoudert, en même temps actionnaire majoritaire du journal, qui aurait ainsi, au mépris de la "Loi" et de l’éthique, pris cette décision. Ce qui fait conclure aux proches du journaliste que "l’employeur condamne ainsi son journaliste avant que la justice ne se prononce sur le fond".

Human Rights Watch note que pour poursuivre des militants, des journalistes et des défenseurs des droits humains, les autorités algériennes ont eu recours à l’article 87 bis du Code pénal qu’elles ont amendé le 21 juin 2021 par ordonnance élargissant la définition de la notion de "terrorisme" contenue justement dans le dit article. Une définition initiale considérée par HRW déjà "exagérément large". Dans cette nouvelle définition algérienne, dénoncée déjà par cinq mécanismes des droits de l’Homme dans une communication adressée aux autorités algériennes le 27 décembre 2021 [3], il est considéré comme acte terroriste « toute action ayant pour objet d’œuvrer ou inciter, par quelque moyen que ce soit, à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels ou de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’inciter à le faire, par quelque moyen que ce soit ». Autant dire que tout opposant est considéré terroriste par la mafia au pouvoir à Alger. Même les Experts des Nations unies qui se sont adressés aux autorités algériennes le 27 décembre 2021 estiment que la formule "moyens non constitutionnels" pourrait avoir un impact nuisible sur les libertés d’expression, d’association et de réunion pacifique.

Dans sa communication, HRW revient également sur la suspension temporaire des activités du Parti socialiste des travailleurs (PST) et la fermeture de ses locaux à Alger ordonnées par le Conseil d’État le 20 janvier 2022. D’autres partis politiques, notamment le RCD et le MDS, seraient dans le viseur des autorités algériennes, selon l’organisation de défense des droits de l’Homme qui affirme que tous les partis et organisations visées par les autorités algériennes sont membres du Pacte de l’alternative démocratique (PAD), une alliance qui s’est formée en juin 2019.

S’il ne s’agit pas de minimiser l’action de HRW qui reste à saluer dans la mesure où elle dénonce l’arbitraire de l’État algérien dont sont victimes des militants pacifiques, quelles que soient leurs idées et convictions, cependant il convient de noter une erreur d’appréciation lorsque HRW parle d’une majorité des détenus qui seraient du HIRAK et qui font partie d’organisations proches de ce mouvement. HRW ne semble pas être très bien informée de la véritable situation qui sévit notamment en Kabylie sur laquelle l’État algérien s’acharne depuis plusieurs mois et en particulier depuis l’été 2021 lorsque les Kabyles étaient livrés à eux-mêmes face à une propagation intense du Covid avant de faire face aux incendies qui ont ravagé le pays kabyle – il est de l’avis de la majorité des Kabyles que des agents du gouvernement algérien seraient responsables du départ de nombre de ces incendies – avant que les autorités algériennes intensifient les arrestations à travers tout le pays kabyle sous prétexte de terrorisme et d’atteinte aux intérêts suprêmes de l’État algérien. Il est donc établi que dans la réalité, l’écrasante majorité des détenus sont issus de Kabylie et font partie d’organisations kabylistes, notamment le MAK que les autorités algériennes ont abusivement et arbitrairement classé comme mouvement terroriste. Aussi, aux côtés des cas cités par HRW, plusieurs autres cas auraient pu être cités. C’est le cas de la militante des droits de l’Homme Kamira Naït Sid, des militants responsables de mouvements politiques comme Bouaziz Aït Chebib, Hamou Boumédiène, Belaïd Amar Khoudja, Boussad Becha ou encore Hocine Azem. Et que dire de Lounes Hamzi qui croupit en prison depuis octobre 2020. A l’époque déjà, alors que le Code pénal n’a pas été encore amendé, il lui a été reproché l’“atteinte à l’unité nationale” et l’“organisation et structuration d’un mouvement de rébellion”. Cette approximation dans l’appréciation des membres de HRW est peut-être aussi due simplement à des raisons objectives ?! Ont-ils été informés de la situation en Kabylie ? Ont-ils reçu des éléments d’information au sujet de tous ces Kabyles arbitrairement arrêtés par le régime algérien ? Il est à craindre que la réponse est NON.
La communication des experts des Nations unies adressée aux autorités algériennes le 27 décembre 2021 n’avait, elle aussi, pas évoqué les détenus de Kabylie. C’est pourquoi la militance kabyle, notamment ceux parmi elle qui s’activent pour défendre les détenus kabyles, doit revoir sa stratégie de communication notamment avec les instances internationales des droits de l’Homme ainsi que les organisations de défense des droits de manière générale.

Masin Ferkal.

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