Accueil > Actualité > Les Amazighs de Libye déterminés... Ils ne lâchent rien !

Les Amazighs de Libye déterminés... Ils ne lâchent rien !

Entretien avec Dr. Abdelwahab Hajam, Président de la municipalité de Lalut (Nalut).

dimanche 31 janvier 2021, par Masin

Dans le cadre du dialogue politique inter-libyen, impulsé par la Communauté internationale et qui a lieu sous les auspices des Nations-Unies, un marathon de réunions se tiennent depuis des mois dans différents endroits, en dehors de la Libye. Du 18 au 21 janvier, c’est la station balnéaire de Hourghada, sur la mer Rouge en Egypte, qui a accueilli la deuxième réunion du Comité constitutionnel composé des délégations du parlement et du Conseil suprême de l’Etat libyen. La première réunion a eu lieu au Sultanat d’Oman. Il a donc été décidé, lors de cette réunion en Egypte, l’organisation d’un référendum constitutionnel avant les élections législatives du 24 décembre 2021. Le ministère des Affaires étrangères égyptien qui s’est félicité de cet accord sur la tenue d’un référendum sur le projet de Constitution a indiqué dans un communiqué que de "nouveaux pourparlers se tiendront en Egypte, du 9 au 11 février, en vue de fixer la feuille de route pour le référendum et les élections". Les pourparlers de Hourghada devaient notamment trancher au sujet de la base légale sur laquelle seront organisées les futures élections parlementaires et présidentielle.


Bien entendu, tout cela est fait au mépris des exigences des Amazighs qui, depuis 2011, remettent en cause le projet de constitution et la méthode même de sa rédaction. Ils ont fait savoir, à maintes reprises, leur rejet de ce projet et ont fait savoir qu’ils ne le reconnaîtraient pas comme ils n’étaient pas prêts de reconnaître une quelconque institution libyenne qui ignorerait leurs droits naturels qu’ils ne sont pas prêts de négocier.
Déjà début septembre 2020, lorsque le président du GNA, Fayez Sarraj, estime qu’il était nécessaire d’accélérer les procédures pour l’adoption du projet de Constitution, les Amazighs l’avaient mis en garde et lui avaient fait savoir qu’il était hors de question que le projet de constitution soit adopté dans son état actuel. Et le HCAL avait fait savoir dans sa déclaration du 3 septembre 2020 que "si le GNA tenterait de passer en force, les Amazighs se réserveront le droit de prendre d’autres initiatives, d’autres décisions, à même de garantir leurs droits fondamentaux en tant qu’Amazighs" [1]. Et l’appel des députés libyens, mi-novembre 2020, à l’approbation d’une Constitution préalablement à la tenue d’élections prévues le 24 décembre 2021 n’avait pas arrangé les choses.

Mais cette décision de Hourghada fait perdre aux Amazighs toute patience. Dès le lendemain de l’annonce de Hourdougha, le HCAL rend public une déclaration qualifiant cette annonce "d’acte hostie à l’égard des Amazighs et d’une dérive qui pourrait être grave de conséquence" [2]. Dans la même déclaration, le HCAL appelle à une réunion urgente à ce sujet. Et c’est la municipalité de Fessaṭu (Jadu) qui prend l’initiative d’organiser une réunion le 28 janvier.

C’est ainsi que l’ensemble des présidents des municipalités amazighes ainsi que la direction du HCAL et nombre de responsables militaires mais aussi de militants de la société civile se sont retrouvés dans cette ville d’Adrar n Infusen sous la protection des forces armées et de la police de Fessaṭu pour réagir à l’annonce de Hourdougha.

Afin de mieux comprendre le contexte de cette réunion et les décisions qui y sont émanées, nous avons donné la parole à Abdelwahab Hajam, président de la municipalité de Lalut (Nalut), présent à cette réunion, que nous remercions vivement d’avoir accepté de répondre à nos questions.

M. F.

Abdelwahab Hajam
Dr. Abdelwahab Hajam, Président de la municipalité de Lalut (Nalut), lors de la réunion de Fessatou (Jadu), le 28 janvier 2021.

Interview.

Tamazgha.fr : Ce jeudi 28 janvier 2021 s’est tenue à Fessatou (Jadu) une réunion qui a rassemblé l’ensemble des présidents des municipalités des villes amazighes d’Adrar n Infusen et d’At-Willul. Quel était l’objectif de la réunion ?

Dr. Abdelwahab Hajam : Les maires de villes amazighes et le président de Haut Conseil des Amazigh de la Libye (HCAL) ont participé à la réunion de 28 Janvier à Jadu. Nous avons discuté du projet de Constitution de la Libye. Et nous avons notamment discuté de la place de nos langue et culture ainsi que tout ce qui est lié aux revendications amazighes au sein de cette Constitution.
Nous nous nous sommes alors exprimés contre la commission chargée de la rédaction de cette constitution, une rédaction qui a commencé depuis plus de dix ans et qui n’est toujours pas achevée. C’est une honte. La rédaction de cette constitution aurait pu se faire en un ou deux par des spécialistes du droit constitutionnel. Malheureusement, en Libye il a été procédé à l’élection de cette commission intégrée par des personnes qui n’ont aucune expérience et aucune idée sur la rédaction de constitutions. Donc, nous en tant qu’Amazighs, nous nous sommes confrontés à des difficultés et problèmes avec eux. Cette commission était conçue pour être composée de soixante personnes et ses décisions sont prises à la majorité des voix. Et comme nous, Amazighs, nous ne pouvons bénéficier que de deux ou quatre voix, l’on se retrouve minoritaires et nos exigences liée à l’amazighité n’auraient aucune chance d’être adopté avec un vote à la majorité.
Les constitutions sont souvent rédigées pour répondre aux espoirs, aspirations et ambitions des peuples et que leur respect soit garanti et ne soit exposé à aucune violation.

Malheureusement, en Libye la rédaction de cette constitution est soumise à des pressions étrangères. Le comité a tenu ses réunions à Oman et récemment dans la ville égyptienne de Hourghada. Par conséquent, le comité a perdu sa crédibilité aux yeux des Libyens en général et des Amazighs en particulier.
Donc, l’objectif de la réunion de Jadu est d’exiger la rédaction d’une nouvelle constitution en Libye, par des Libyens sans pressions et interventions étrangères. Nous voulons donc une constitution rédigée en Libye par des mains libyennes, sans intervention aucune d’étrangers, mais avec un consensus entre Libyens : voici notre demande.


Quelles ont été les décisions prises lors de cette réunion ?

A la réunion de Jadu nous avons convenu de boycotter le référendum sur cette constitution : il n’y aura pas de référendum sur cette constitution dans les régions amazighes. Nous rejetons totalement cette constitution.
Nous avons également décidé la création d’une quatrième région administrative sur nos territoires.

Pourquoi, à votre avis, les autorités provisoires libyennes persistent à ne pas écouter les demandes des Amazighs ?

Les nouveaux dirigeants qui sont venus en Libye ont tous des nationalités étrangères. Ils sont manipulés par les services de ces états étrangers. Le premier chef du gouvernement, Abdurrahim El-Keib, est de nationalité américaine, Ali Zeidan a la nationalité allemande, et d’autres encore dans les différents gouvernements. Ceux-là sont venus avec des mentalités rigides, pan-arabistes et rétrogrades. Ceci a abouti à compliquer la situation, à aggraver la crise et à semer la confusion entre Libyens.
Malheureusement la classe politique a fait des promesses qu’elle n’a pas honorées. Des promesses creuses et mensongères qui jouent avec les sentiments des Libyens en général et des Amazighs en particulier.


Peut-on dire aujourd’hui que la confiance est rompue avec les autres composantes non-amazighes en Libye ?

Oui, nous avons totalement perdu confiance dans les politiciens corrompus et dans leurs gouvernements corrompus. Malheureusement le gouvernement actuel, reconnu par la communauté internationale, nous a ramené à la case départ. Il nous a empêché même de donner des noms amazighs aux nouveau-nés.
Le gouvernement de Sarraj a relancé l’académie de la langue arabe qui a adressé note aux services d’états civils leur demandant de ne pas enregistrer les noms amazighs déclarés interdits. Cela n’est rien qu’un retour aux lois de Gaddafi et de son régime dictatorial. Les militants Amazighs, les maires et les organisations de la société civiles continuent la lutte contre ces lois injustes.


Et si les autorités provisoires et autres composantes refusent d’accepter et d’approuver vos décisions, notamment la mise en place de la quatrième Région administrative ?

Bien entendu, nos demandes sont légitimes et naturelles. Nous ne demandons à aucune personne de nous accorder ces droits. Donc ce gouvernement et ceux qui suivront doivent respecter les droits naturels des Amazighs. Notre langue et notre culture sont des révélations de Dieu qui dit dans le Coran : “Nous vous avons faits des peuples et des tribus…. avec des couleurs et des langues différentes…”. S’ils ne reconnaissent pas nos droits culturels et linguistiques, cela signifie qu’ils nient une un des versets de Dieu et ils se retrouvent ainsi en contradiction avec ce qu’ils prétendent être. D’un côté ils se disent Musulmans et d’un autre côté ils ne reconnaissent pas une partie du Coran !
A présent, nous en avons assez de dix ans de tergiversations et de paroles creuses. Cela nous a servi de leçon. Et à la réunion de Jadu, les maires ont tracé le chemin. La décision est prise de créer une quatrième région administrative sur nos territoires, puisque les autorités ne veulent pas entendre parler des droits des Amazighs. Nous prendrons cette mesure et ils la constateront sur le terrain. Nous n’allons pas attendre et nous n’allons pas perdre davantage de temps. Il s’agit d’une cause qui concerne nos enfants et des générations futures, et nous n’allons pas la laisser entre les mains de ceux qui n’ont aucun grain de patriotisme et qui n’ont aucun respect de la partie ; ils sont plutôt venus remplir leurs estomacs et leurs poches avant de retourner à leurs pays étrangers qui les ont accueillis.


Comptez-vous solliciter la Communauté internationale, notamment les Nations unies, et avez-vous espoir que vous serez écoutés ?

Oui, nous allons à travers le Haut conseil des Amazighs de Libye (HCAL), qui est en contact permanent avec les instances onusiennes, présenter une note aux Nations unies et au Comité des Droits de l’Homme. Nous allons exprimer notre opposition aux violations des droits des Amazighs en Libye. La langue amazighe était attaquée par le précédent ministre de l’éducation qui a tenté de porter atteinte à l’enseignement de la langue amazighe. L’année dernière notamment, nous étions confrontés à plusieurs problèmes comme la question de l’interdiction des prénoms amazighs. Toutes ces violations seront documentées et seront présentées à l’ONU.


Qu’en est-il des Touaregs ? N’est-il pas logique et naturel qu’ils intègrent cette Région amazighe ? Allez vous faire des démarches pour les associer ?

Oui, il y a une coordination permanente avec les Amazighs de Tiniri, les Touaregs, et nous sommes sur la même ligne. Nous avons les mêmes griefs culturels et linguistiques. Mais du point de vue économique, les Touaregs sont marginalisés et souffrent de graves discriminations. Le sud a besoin de développement.


Avez-vous un mot, un message à transmettre à l’ensemble des Amazighs à travers Tamazgha et les Amazighs de la diaspora ?

Je leur dis "Aseggas Ameggaz" à l’occasion de l’année amazighe 2971, espérant qu’elle sera une année de la lutte pour les droits des Amazighes à travers toute l’Afrique du nord. Ils doivent lutter, comme leurs frères Libyens, pour leur langue, leur culture et leurs droits. Ceux-ci sont normalement des droits inaliénables. Je souhaite bonne santé, sécurité et stabilité aux Amazighs à travers l’ensemble de Tamazgha.


Que peuvent faire les Amazighs, à travers Tamazgha, pour vous aider et soutenir votre action ? Et qu’attendez-vous de notre part ?

Comme j’ai déjà dit, Imazighen doivent défendre leurs droits, leur culture et leur langue. Ils font partie de ce monde comme d’autres nations. Ils ont leur histoire, leur civilisation et leur culture. Donc, ils doivent en être fiers. Il doivent rester attachés à leur culture et à leur Histoire. Les Amazighs de Tamazgha doivent protéger et préserver leur culture et faire face à la forte invasion culturelle ainsi qu’aux violentes attaques qui les visent. Ils doivent donc affronter avec force les menaces de changements culturels, linguistiques et autres.


Propos recueillis par :
Masin Ferkal

Paris / Lalut, le 29 janvier 2021.



  Libye : les Amazighs mettent en garde le GNA
  Libye : le HCAL met en garde les autorités provisoires
  Une région administrative amazighe en Libye
  Libye : rien ne fera plier les Amazighs !

En 2018 déjà, les Amazighs, par a voix du HCAL, se sont exprimé sur un éventuel référendum pour cet projet de constitution.