Accueil > Actualité > La Une > Kabylie : Trouver la voie entre l’accroche au passé-récent et son devenir
Kabylie
Kabylie : Trouver la voie entre l’accroche au passé-récent et son devenir
Carnet de voyage de Gérard Lamari - Sixième et dernière partie
jeudi 14 juin 2007, par
Nous publions ci-dessous la sixième et dernière partie du carnet de voyage de Gérard Lamari en Kabylie.
Gérard Lamari est né en 1958 à Rouen. Après des études secondaires à Bougie, il rejoint en 1977 l’Université de Tizi-Ouzou pour poursuivre des études en sciences exactes. Il fait partie de la première promotion accueillie à l’Université de Tizi-Ouzou et qui a eu la lourde tâche de la libérer du contrôle des autorités algériennes. Il accomplit son devoir puisqu’il fut un des éléments de ce groupe d’étudiants qui ont réussi d’abord à "chasser" l’UNJA [1] de l’Université de Tizi-Ouzou et se doter de Comités autonomes avant de rentrer en conflit ouvert avec le pouvoir d’Alger.
On le sait peu, mais la première manifestation libre de Tizi-Ouzou (11 mars 1980) reposa seulement sur quelques épaules (celles de Gérard et deux de ses camarades d’alors).
Ce conflit a fini par faire descendre dans les rues de Kabylie des centaines de milliers de personnes pour défier le pouvoir algérien et crier leur ras-le-bol d’un système qui les nie. Il a fait partie des 24 détenus arrêtés par l’Etat algérien lors de ces évènements connus par "Le Printemps berbère".
L’année suivante, en mai 1981, Gérard Lamari contribue efficacement à l’organisation du Printemps 1981 dans la Vallée de la Soummam. De nouveau, il fut arrêté. Ces événements ont été déterminants dans la formation du Mouvement culturel berbère (MCB) comme dans la construction de la conscience kabyle.
En 1983, Gérard Lamari termine ses études à Tizi-Ouzou. Il part en France où il poursuit ses études doctorales. Après la soutenance de sa thèse en 1988, il revient en Kabylie en 1989 pour enseigner les mathématiques à l’Université de Tizi-Ouzou.
Il participa notamment à l’organisation du grand rassemblement du MCB devant l’assemblée nationale algérienne le 25 janvier 1990.
Son séjour en Kabylie ne dura pas longtemps puisqu’en 1990, il décide de quitter la Kabylie pour retourner en France.
En 2001, il préside le Collectif de Solidarité et d’Echanges avec la Kabylie à Toulouse. Ce collectif organisa notamment plusieurs manifestations de soutien au mouvement issu du Printemps Noir.
Ce n’est qu’en été 2006 que Gérard décide, après un "exil" de 16 ans, de retourner en Kabylie non pour s’y installer mais pour reprendre contact avec ce pays auquel il demeure, malgré tout, attaché.
Il nous livre ici ses impressions suite à son court séjour en Kabylie.
Le témoignage de Gérard nous semble important pour cette tentative de compréhension de la Kabylie d’aujourd’hui. Il s’agit là de la vision d’un militant des années 80 et, de plus, d’un des artisans de ce mouvement qui a été déterminant dans l’Histoire du mouvement berbère et de la Kabylie... D’où son importance.
Aussi, cette contribution vient en complément de celle de Nora Larfi, nous offrant ainsi la possibilité de comprendre davantage la situation en Kabylie.
Masin FERKAL.
Sixième partie
L’état des lieux de la Kabylie, aujourd’hui, n’est pas reluisant. Ce n’est pas la première fois qu’il est ainsi. Il eût des moments où tout était verrouillé et semblait immuable tant la prise des tenailles idéologique et répressive était ferme.
L’Histoire récente abonde de cette répétition (1979, 1985, ..., 2001). Son sort semblait à chaque fois scellé. Il y eut pourtant des réactions massives, comme en 1980 avec le printemps Amazigh, ou de manière inattendue en 2001 le Printemps Noir. Il y en eut aussi bien d’autres dans l’intervalle (MCB notamment).
Que de banderoles peintes, que de textes rédigés, que de manifestations et que de coups reçus ! A la dernière révolte citoyenne, nous eûmes 120 morts.
Une fois de plus, le résultat fut piètre.
A chaque soubresaut, une fois l’extase de la liberté consommée, un pas supplémentaire vers les ténèbres lui fut creusé. Cela est essentiellement dû à la crédulité -sans cesse répétée d’ailleurs depuis 1980- en la revendication au pouvoir. A tel point qu’on en arrive pratiquement à la question existentielle !
Telle est l’Histoire récente de la Kabylie !
Pour qu’elle s’affirme enfin, elle doit sortir du cycle "revendicatif". Il serait temps qu’elle devienne "majeure".
De l’amnistie des salafistes, l’amnésie imposée...
Il est inutile de rappeler que le carré dirigeant l’institution militaire est non seulement intimement lié au pouvoir, mais est le pouvoir même. De facto, l’Algérie est sous dictature. Avec une façade démocratique. Une multitude de partis allégeant sont là pour conforter l’assertion. Le RCD, le RND, et les autres ne peuvent sérieusement démentir. Ainsi pour l’usage externe, le pouvoir peut, avec l’hypocrisie de ses partenaires, se targuer d’être dans la norme de l’acceptation mondiale. A l’intérieur il en est toutefois autrement.
Rappelons que la guerre "civile", en réalité entre islamistes et le pouvoir plus ses alliés, a fait environ 200 000 morts. Et parmi eux, il y eut des amis très chers !
Ce n’était pas vraiment leur guerre, mais les courants dits démocrates se sont crus contraints de choisir leur camps : Etat policier avec un zeste de laissez-faire ou république islamiste. Chaque frange "démocrate" a alors choisi sa stratégie : l’une s’est mise à la remorque d’un belligérant, et l’autre à celle de son antagoniste. Timorées, nos deux franges ont emprunté des voies sans issues et de toutes manières contre nature.
Et cela, nous n’avons pas fini de le payer.
Non seulement nos amis n’ont pas su s’affranchir, mais ils se sont créé en quelque sorte des tutelles mortelles. En refusant de s’assumer en ne s’offrant pas leur vraie voie, ils sonnèrent leur propre glas politique !
Plus tard, les Archs, en structurant la rébellion frontale des jeunes kabyles, ont semblé d’abord avoir pris l’option qui a fait tant défaut aux "démocrates" : prendre enfin leur destinée en main. Mais ils se sont rapidement repliés dans la confortable stratégie de la seule revendication [au pouvoir] avec la plateforme d’Elkseur.
Le pourrissement du mouvement durant de longs mois, puis les pressions et les coups de boutoir répétés du pouvoir, ont fini par ouvrir les inéluctables déchirures irréparables.
C’est dans ces conditions que s’organisa "la paix des braves" entre le clan des généraux et les islamistes. Il peut paraître étrange que la "concorde civile" ne concerne dans les faits que les militaires et les groupes armés.
S’appuyant sur le référendum de septembre 2005, "l’Assemblée" a promulgué, en février 2006, un texte d’amnistie des "repentis". Ce texte assure des mesures d’indemnisation des familles dont les membres étaient au maquis. La redevance s’élève à un million de dinars par islamiste, soit l’équivalent de huit années de salaire minimum. Réintégrés dans la vie publique, des salaires rétroactifs leurs sont aussi versés.
Sur le terrain, et notamment en Kabylie, cette "main tendue" n’a pas apporté la quiétude promise. L’omniprésence des barrages routiers et la floraison des bandits de grands chemins permettent de maintenir la Chape de plomb.
Finalement, en plus de la négation de leurs valeurs, on impose aussi aux Kabyles l’insécurité permanente.
L’avenir dure longtemps !...
Ne maitrisant pas tous les aléas, je pensais que la rencontre avec quelques militants influents ne serait pas aisée. Finalement, il en fut tout autrement car on retrouve assez vite la chaleur avenante qui les caractérise, puis le fil des parcours politiques, souvent entortillé.
Malgré le fatras apparent, l’aspect général semble parfois moins obscur. Cela dépend des rencontres.
Pour la Kabylie, depuis le mouvement nationaliste d’avant "l’indépendance", la situation a rarement été aussi claire. Mais la voie à suivre est étroite. Pour l’appréhender il faudra intégrer les données objectives suivantes :
a) Le pouvoir d’Alger est un ennemi sournois et mortel (à enfoncer dans tous les cranes !). Il est objectivement allié à l’islamisme local. Il redevient fort économiquement (prix du baril) et politiquement (nouveaux rapports avec l’UE et les E.-U.). Mais il est encore faible sur la structuration sociale et revient de loin !
D’où les aménagements sociaux concédés aux intégristes. Le premier ministre, faut-il le rappeler, est islamiste.
Bref, il a fait son bilan et semble prêt à affronter l’adversité et notamment la Kabylie. Cependant, avec les évolutions récentes (internationalisation accrue de l’islamisme notamment), l’ensemble ne peut que se craqueler. A terme, son équilibre interne perdra sa stabilité de circonstance.
b) La mouvance citoyenne (dans son ensemble) parait exsangue faute de lucidité à des moments donnés, mais ses réserves intrinsèques ne sont pas si entamées. Le Printemps Noir a montré que la voie ne peut être que frontale, mais tactiquement non armée.
Depuis la fin du Printemps Noir, il est évident que la Kabylie est durement malmenée dans son entité. Lors de mon passage, je n’ai eu quasiment vent d’aucune rencontre, d’aucun gala, d’aucune conférence.
Signalons néanmoins l’Université d’Eté de la CADC [Coordination des Archs, daïras et communes] qui se serait déroulée en toute quiétude et la rencontre du MAK, qui, elle, a été interdite. Mais cette dernière put finalement se tenir à la fin de l’année.
Il y eut aussi, dans ce désert torride, l’initiative inattendue du CMA avec son pot "amazigh" à l’hôtel Belloua de Tizi. C’est dire où sont retombées les choses !
En cet été, la place publique fut donc essentiellement réservée à la platitude et au règne des inévitables cortèges des mariages.
La situation d’aujourd’hui rappelle celle de 1979 : mouvement des baathistes suivi des décrets de l’arabisation généralisée de l’administration.
Il y eut comme réponse le souffle de la déferlante du Printemps Berbère de 1980. Sa forme d’organisation et, quoi qu’on dise, ses idéaux libertaires ont été sans cesse repris depuis lors. Les MCB et Printemps Noir notamment, ont largement puisé dans la source du Printemps 80.
Aujourd’hui, les perspectives méritent une analyse plus pointue. Un coup de gueule dans les rues ne serait que défoulant, sans plus. Les militants le savent bien et ne s’aventurent plus dans les mobilisations massives. Il est, en effet, difficile de rivaliser avec les démonstrations impressionnantes des Archs, qui, finalement n’ont pas donné les résultats escomptés.
Toute tentative en ce sens est désormais inutile. Voilà notamment la nouvelle frustration kabyle !
Depuis l’acte fondateur de 1980, on laisse pour ainsi dire l’initiative à la nouvelle génération... Drôle de cadeau qui leur est légué là...
Mais, disait Althusser, l’avenir dure longtemps.
Gérard Lamari
[1] UNJA : Union Nationale de la Jeunesse Algérienne. Organisation de masse liée au parti unique FLN (Front de Libération de nationale) qui la contrôle
Messages
1. Kabylie : Trouver la voie entre l’accroche au passé-récent et son devenir, 8 juillet 2007, 02:33
Comment faire de l’Algérien un Homme ?!
Depuis plus d’une décennie, nous assistons à un affrontement sanglant entre les deux grandes entreprises criminelles sur lesquelles s’est construit le régime d’Alger après l’indépendance. A l’entreprise de terrorisme culturel et économique pratiqué par le régime arabo-islamiste d’Alger depuis 1962 est venu se greffer celle de terrorisme nazislamiste pour prendre l’avenir de tout un pays en otage. L’entreprise des terroristes nazislamistes ressemble à une grande agence d’intérim qui recrute les malades de tous bords afin de semer la mort et la terreur, pareille à celle subie par nos ancêtres au 7ème siècle.
Une rupture radicale s’impose avec ce régime dépassé pour sortir définitivement de ce cercle infernal. Cette rupture ne saurait être une réussite sans une véritable refondation nationale qui se fera sur la base du strict respect des droits humains, loin de tout fascisme arabo-islamiste. Au pays des Amazighs, ni l’islam, ni l’Arabe, ni aucun passé, ni RIEN ne doit être sacré au point de constituer un obstacle qui empêche de garantir tous les droits humains à tous les Amazighs. Il faut parvenir à libérer le pays en cassant toutes les chaines des impérialismes et colonialismes- islamique, arabe, et français- qui maintiennent le peuple Amazigh à genou depuis très longtemps.
Pour y parvenir, on doit veiller à construire nous-mêmes notre histoire. Par exemple, à l’instar de la Grande Bretagne qui a puisé son nom de ses premiers habitants, les Bretons, L’Algérie, comme c’est le plus grand pays d’Afrique du Nord, devrait s’appeler Grande Tamazgha en hommage à ses habitants Imazighen. Tout le pays reste à reconstruire culturellement loin de tout fanatisme, de toute ignorance et de toute exclusion.
Mais aurons-nous le courage politique d’avancer pour ne plus ramasser la poussière du mouvement des peuples qui avancent à force d’être des suivistes accrochés à la queue de l’histoire ? Mais où trouverons-nous cette volonté politique pour faires de l’Algérien un Homme ?
Tifirelest