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Kabylie : La retrouvaille du Moi
Carnet de voyage de Gérard Lamari - Troisième partie
jeudi 15 février 2007, par
Après une nuitée chez des amis de Bougie (écourtée par un sympathique coq très matinal mais visiblement viril) je me fis déposer dans mon premier minibus. Destination : Tizi-Ouzou.
J’ai quelques rancards avec des personnalités de la mouvance berbéro-démocratique. Quelques décennies plus tôt, c’était le berbéro-matérialisme (marxiste pour être clair) qui avait le vent en poupe. On voit qu’ici aussi les obédiences ont bien bougé.
Pour mieux m’imprégner des gens du pays, j’ai mis en exergue tous mes sens. J’étais à l’affut du moindre échange, de la moindre remarque. La chaleur écrasante n’était certes pas propice aux longues discussions, mais à ce moment-là c’est le pouls des anonymes que je recherchais.
Le contact direct en fait.
Dès la mise en route, le chauffeur nous a abreuvés de son autoradio nasillant. Durant les trois heures de voyage qu’il a fallu pour parcourir les 150 km, Matoub et le chaâbi ont tenu le haut du pavé.
La route commença à serpenter à partir de Leqser (Elkseur) tout en s’élevant. Elle me permit d’avoir à travers la vitre une vue imprenable sur les villages accrochés aux flans des montagnes.
Sublime que cette beauté !
Les échanges légers que j’ai eus avec mes compagnons de route m’ont fait sentir une rupture définitive avec l’Etat central. Le Printemps Noir est toujours présent.
Les portraits et les stèles des 120 jeunes assassinés par la gendarmerie se dressent sur les places principales des villes et villages de la région. Le désir de l’autonomie kabyle, longtemps en gestation dans l’imaginaire, a franchi le pas. Il est incontestable et semble être la voie recherchée. Mais l’appétence autonomiste n’est pas encore vraiment prise en charge. Sur le terrain, il y a bien sûr le MAK qui bénéficie d’une sympathie réelle. Mais l’adhésion de masse se fait attendre. Pour percer, il devra aussi faire face à l’amertume des gens.
Le retournement des militants de la nébuleuse des Arouchs (mouvement citoyen du Printemps Noir), a laissé un goût saumâtre. J’y reviendrai un peu plus loin.
Une méfiance des courants politiques, fussent-ils séduisants, s’est installée depuis quelques temps. On perçoit nettement un sentiment d’inachevé et de trahison des élites.
Les sacrifices consentis ont été démesurés et les bénéfices piètres. En termes d’acquis, il y a les "réparations" financières : prise en charge par l’Etat des blessés ainsi que des enfants des morts de 2001. C’est tout !
La fameuse plateforme d’Elkseur et ses points "non négociables" est maintenant enterrée avec les 120 sacrifiés. Des figures inattendues rejoignent ainsi cette espèce de martingale qui n’a de "concorde" que le nom.
Le grand mouvement citoyen est donc officiellement rangé dans le même carton que l’islamisme armé !
Sauf que les intégristes, eux, ont pu imposer l’islamisation de l’école, de la "Justice", des médias,... Voilà toute la différence.
Nous faisons une halte à Yakouren. J’invite mon voisin au café du coin. Les souvenirs du séminaire (de Yakouren) d’août 1980 remontent en moi et me remplissent d’oxygène. Le plus frappant est que c’est dans ce café que nous faisions nos pauses suite à nos débats acharnés. Dire que ce troquet n’a pas changé d’un pouce. Là, vraiment je ne pouvais m’y attendre.
Un peu plus loin, à la sortie du village, on trouve l’unique hôtel du coin : le Tamgout. Très bien conçu et situé à l’orée de la forêt, il fut longtemps la villégiature même. Rentable pourtant, il est depuis quelques années délaissé par l’Etat : suppression des investissements nécessaires au maintien de son standing.
J’appris que sa privatisation était imminente...
Nous remontons dans le minibus qui va amorcer, à travers la forêt de chênes et de lièges, sa légère descente serpentée vers Azazga. Les sempiternels singes sont toujours au bord de la route, quémandant à l’Homme quelques morceaux de pain.
Décidemment, eux aussi, vivent dans l’assistanat...
Pour ne pas déroger à la règle, l’engin roule à une allure folle, faisant crisser ses rotules telles celles d’une fomule1. J’avais l’estomac noué mais je restais concentré sur les alentours.
A perte de vue, la forêt est mirifique.
En ramenant mon regard sur les bordures de la route, je considère ce spectacle affligeant : sachets abandonnés, qui accrochés aux buissons, qui aux figues de barbarie ou encore aux fils barbelés. Toutes sortes d’encombrants jonchent pêle-mêle les talus : bidons d’huile, vieux pneus, cartons, emballages, bouteilles de bière, de gaz... Il y en ainsi tout le long sur au moins 50 km.
Le moins que l’on puisse dire est qu’écologiquement, c’est simplement désastreux. Mais le bitume est correctement entretenu et les troncs des arbres sont peints à la chaux.
On voit que les priorités sont assez bizarres...
La première vision que l’on a d’Azazga est sa poussée anarchique. A l’instar des autres petites villes, elle a débordé de toutes parts. Mais c’est toujours la même vieille allée centrale qui continue à la desservir.
Apparemment, il n’y a pas eu de plan architectural d’ensemble. Ou alors il n’a pas été respecté. De nouveaux toits pointus à l’alsacienne, très jolis par ailleurs, côtoient les dalles à étages et les immeubles délavés des années 70.
Les rues fourmillent de jeunes. Malgré leurs multiples désirs, ils sont avenants et leur bonne humeur est une leçon en soi. Chaleureux et accueillants, ils savent mettre à l’aise l’étranger.
Gérard LAMARI
Messages
1. Kabylie : La retrouvaille du Moi, 19 février 2007, 16:27, par Uazzug
De grâce appelons nos villes par leurs noms ! Si ce n’est pas nous qui le faisons qui le fera à notre place ? Les autorités peut-être ? Je suis sûr que l’auteur sera indigné si je travestis son prénom pour l’appeler Mohamed Lamari. Je ressens exactement la même chose lorsqu’on tronque le nom de ma chère ville Iazzugen..