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Kabylie : Désespérément sur la case "départ"

Carnet de voyage de Gérard Lamari - Cinquième partie

lundi 9 avril 2007, par Masin


Situation politique bloquée

Si l’islamisme radical a été militairement vaincu, il n’en n’est pas de même de l’islamisme au quotidien. Les intégristes ont fini par envahir l’assemblée "populaire" nationale algérienne, et dicter leur loi aux institutions.
Cette mainmise s’effectue sous l’œil bienveillant des dignitaires au sommet de l’Etat. Un compromis tacite s’est visiblement conclu entre les religieux actifs d’une part et les généraux d’autre part : les premiers peuvent tisser leur toile de fond et "charia’iser" à tout va, et les seconds mener en toute quiétude leurs bonnes affaires.
Les deux fossoyeurs des libertés se sont enfin entendus...
La différence entre la mafia italienne et l’algérienne, m’expliqua un taxieur, est que l’italienne cherche à prendre du pouvoir alors que l’algérienne cherche à le garder.

Les "démocrates standardisés" sont quant à eux à la recherche du "Soi" salvateur. Mais les quelques délices matériels dont ont gouté quelques représentants s’avèrent décidément indigestes.
Le FFS et le RCD, partis locaux malgré eux, n’arrivent plus à troquer les vérités kabyles. Les strapontins cédés à l’un et à l’autre n’ont pas engendré la domestication escomptée.

Le mouvement citoyen, en véhiculant ses valeurs démocratiques et en intégrant même une variante anarchisante -comme l’exigence du retrait de la gendarmerie- est venu perturber un certain équilibre factice. Sa puissance sur le terrain, le soutien actif que lui accorda la diaspora d’une part, et sa longévité d’autre part, menaçaient sérieusement les orientations obscurantistes du pouvoir.

Il fallait donc mettre une nouvelle fois les deux partis croupions au turbin !

Mais les attitudes et les positionnements qu’ils prirent vis-à-vis du mouvement ont eu assez rapidement leur contrecoup dévastateur : ils ont sombré et perdu toute assise au sein de la population. Pour leurs militants désintéressés, les perspectives sont assez sombres. Quelques-uns commencent toutefois à se recycler.

Il faut dire aussi que du côté des Archs, avec le temps, une vogue pusillanime a fini par s’emparer de quelques figures, suivie d’une frange importante du mouvement. Sont-ce les dialoguistes qui ont amené le mouvement au creux de la vague, ou bien sont-ce les interrogations de ce dernier qui ont accouché des dialoguistes ? Pour ma part, j’opterai volontiers pour cette dernière assertion.
Le mouvement kabyle se retrouve de nouveau au creux de la vague. Une fois de plus, les belles démonstrations de rues, les manifestations imposantes revendiquant notamment Tamazight à l’école, ont fini par se briser sur l’écueil de l’intransigeance d’Alger.
Comme à chaque fois, une aigreur anime les militants déçus. C’est pourtant dans ces moments qu’il faut savoir prendre du recul, analyser et comprendre.

Le pouvoir islamo-baathiste a déjà manifesté par le passé - et ce à chaque mobilisation kabyle - un rejet viscéral du berbère, de la laïcité, du français comme langue d’étude, bref des valeurs citoyennes et démocratiques.
C’est que le mouvement kabyle possède toutes ces "tares" ! Et elles sont bien ancrées.

L’équation fondamentale est en vérité celle-ci : fondamentalement, et dans la pratique au jour le jour, la Kabylie est l’antinomie in site des valeurs obscurantistes secrétées d’en haut. Détenant de fait le pouvoir et ayant la mainmise sur la réalité culturelle du pays, les arabo-islamistes ont récemment fini par imposer un standing orientaliste. Aussi réfractaires soient-ils à l’esprit rationnel, leur affaire fonctionne. Au-delà de la désespérance au quotidien, les découvertes des prières ne sont plus si rares. Ce mécanisme rampant est de plus en plus perceptible : la machine à dépersonnaliser est lancée.

L’erreur du mouvement, répétée souvent depuis 1980, a été de revendiquer aux baathistes et autres islamistes non seulement l’acceptation de leur négation, mais aussi la mise en pratique de celle-ci. Croyant naïvement qu’un rapport de force dans les rues de Tizi-Ouzou ou d’Alger pouvait amener la panacée, le mouvement s’est enfermé dans le ghetto de l’espoir finalement impossible. Quelles retombées attendre d’un ennemi mortel ? Que des désillusions assurément. Qu’il y en eût jusqu’à maintenant !
Depuis son alliance avec les intégristes et ses relations accrues avec l’ancienne métropole, le pouvoir est de nouveau politiquement fort. Avec la montée du cours du pétrole, il dispose d’une marge financière qui lui permet d’arroser par-ci, par-là.
Autant dire que moins que jamais il ne cédera sur le fond.
Conjoncturellement, il tergiverse sur la question berbère tout en faisant planer l’ombre d’une nouvelle répression...

La presse mise au pas

Des dizaines de titres francophones se côtoient au quotidien sur les étalages des kiosques. De la "Dépêche de la Kabylie" en passant par "Le quotidien" ou autre, tous font leur "Une" sur les chats écrasés, les meurtres, les cambriolages, bref le sensationnel. Quelques-uns osent quelques dénonciations d’élus locaux sans importance, et s’assurent sans prendre de risques un lectorat assidu et nombreux.
La presse "libre" se résume donc à quelques feuillets à la "Gala".
Après une longue léthargie (au moins deux décennies), et après avoir raté le bouillonnement des libertés du printemps amazigh, les journalistes et les intellectuels de manière générale, ont commencé à refaire surface au début des années 1990. Ils furent, à ce moment là, considérés par leurs confrères européens comme des résistants face à la menace islamiste. C’est dire !
Quelques journaux ont, timidement d’abord, puis franchement ensuite, osé prendre certaines libertés d’analyse égratignant la sphère dirigeante.
Il faut dire que ce sont les divisions d’alors de la caste au pouvoir qui le permirent. Et non le mouvement propre des journalistes !
Les clans du sommet donnèrent l’ordre aux journaux qu’ils contrôlaient de donner libre cours à leur expression, mais seulement à l’encontre du voisin et adversaire dans la lutte pour le pouvoir.
Voila pourquoi nous eûmes au début des années 90 l’impression d’une grande liberté de la presse en Algérie !
Une fois que la fraction actuelle s’est solidement assise (au prix de règlements de comptes sanglants), elle a décidé de mettre de l’ordre et tordre le cou aux canards dérangeants.
Les années de plomb servirent de prétexte pour légiférer sur les médias : une loi sur la presse balisa les limites restreintes à ne pas franchir.
Les diverses velléités de liberté ont systématiquement engendré des procès. La justice étant aux ordres, de lourdes amendes et des interdictions de parution, ont frappés les journaux récalcitrants. Certains ont été acculés à la faillite. D’autres ont vu leurs plumes emprisonnées. L’expérience du quotidien "Le Matin" interdit et de son directeur incarcéré pendant deux ans sert de leçon.
L’autocensure a depuis, et assez rapidement, repris le dessus. Un style nouveau est né : alléchant, hollywoodien et creux !
Finalement, c’est à se demander si la langue de bois du "El Moudjahid" d’antan n’est pas plus propice à l’activité cérébrale que le ramassis actuel des "infos" lancées à longueurs de colonnes.

L’envers du décor

La toile de fond de l’islamisme se met graduellement en place. Si l’arabisation de la génération post-"indépendance" s’est effectuée par à-coups, l’islamisme, lui, s’installe tout en douceur. Sa lame de fond gangrène petit à petit la société et commence à atteindre certains esprits rationnels. C’est dire !
L’image froide de l’état des libertés montre que seule la Kabylie semble un tantinet épargnée. Mais sur l’aspect visible seulement. En réalité, le rouleau compresseur de l’islam commence à l’absorber à son tour. Sans soutien logistique et politique, elle est livrée à elle-même. Seul le MAK, avec ses moyens locaux, c’est-à-dire limités, tente de faire face à cette dialectique néfaste.

Mosquée "luxuriante"
et habitations en contrebas visiblement pas entretenues


En dehors de cette région, on compte par certains endroits autant de mosquées que d’écoles. Mais, à la rigueur, cela peut se concevoir tant qu’on ne cherche pas à annihiler l’intelligence. Or, l’objectif est bel et bien celui-là : détruire toute pensée positiviste !
Quelques vieux briscards, lucides et épargnés par la maladie "islamicide", sont encore les remparts à cette marée qu’ils endiguent momentanément. Mais jusqu’à quand ?
Les jeunes ont, quant à eux, assimilé ce décor inquisiteur et croient qu’il a toujours été là, figé dans le temps. Il leur sera difficile de regarder la chose du culte, droit dans les yeux d’abord, puis d’une manière détachée ensuite. C’est qu’on les a tant abreuvés du nectar de Koreich.
Désemparée et appréhendant son devenir, la jeunesse se cherche une échappatoire. On peut la distinguer en trois segments : une frange non négligeable et résignée se réfugie dans un monde parallèle, l’autre vit de l’espoir de l’exil salutaire et la troisième, qui veut se prendre en main, se heurte aux tabous récents.

Université de Tizi-Ouzou


Les universitaires et autres intellectuels avertis se retrouvent eux aussi quelque part hors-la-loi.
Si, par exemple, faire ouvertement fi du ramadhan dans les rues d’Alger était, il n’y a pas si longtemps, un certain courage des esprits éclairés, aujourd’hui cette imposture relèverait d’un état suicidaire. Les minces libertés individuelles relatives à la question du culte ont, elles aussi, perdu leur espace.
Aujourd’hui, la trame de fond est tellement faussée qu’il est vain de tenter des conquêtes nouvelles (libertés réelles, syndicales ou autres), et ce bien qu’elles aient été fondamentalement malmenées. Combien même on accorderait ici ou là un acquis social que celui-ci serait immédiatement factice. C’est parce qu’il y a fausse donne et qu’il est primordial de refonder le creuset positiviste !
Voilà notamment pourquoi on entretient la fuite des cerveaux, plus d’ailleurs due au malaise culturel qu’au besoin bassement alimentaire. L’absence de l’intelligentsia militante sera cruelle pour les jaillissements futurs et facilitera immanquablement l’attraction de la société vers l’abîme des ténèbres.
Le pouvoir, pervers, mise délibérément sur le délabrement d’une opposition conséquente. Riche de la rente pétrolière, il cherche maintenant à perdurer sur le long terme en boulonnant l’écrou idéologique.

Gérard LAMARI.


Carnet de voyage de Gérard Lamari : première partie
Carnet de voyage de Gérard Lamari : deuxième partie
Carnet de voyage de Gérard Lamari : troisième partie
Carnet de voyage de Gérard Lamari : quatrième partie
Carnet de voyage de Gérard Lamari : sixième partie


La Kabylie : sur les décombres des Printemps





Messages

  • Azul,

    La propreté est une culture. Un état d’esprit.

    Même si notre système éducatif de fait rien pour aller dans cette direction.

    Même si la société n’encourage pas nos prédisposition à la propreté, je pense qu’une grande part de responsabilité reviens à l’éducation des parents dès le jeune âge.

    Devrions nous pour autant les condamner.

    La situation d’un parent en Algerie n’est pas enviable.

    Comment exiger systématiquement qu’il élèvent leur enfant dans une culture d’ordre et de propreté ?

    Très Cordialement.

    Slimane.