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Kabylie : du dérisoire et des dérisions

Carnet de voyage de Gérard Lamari - Deuxième partie

jeudi 1er février 2007, par Masin


Petites et grosses affaires

C’est connu : les combines de toutes sortes sont légions dans le Tiers Monde (et ailleurs d’ailleurs). Mais en Algérie, même un visiteur non alerte peut d’emblée en observer des quantités. Taxinomiquement, on peut en distinguer deux variétés :

- les petites, d’abord :
Quelques modestes exemples pour tuyauter ceux qui seraient un tantinet tentés par les affaires...

Un bénéficiaire de lotissement privatif a transformé son pavillon d’habitation en manufacture de production de limonade locale. La nuisance sonore nocturne et cauchemardesque, ainsi que les rejets gazeux permanents pour le voisinage permettent l’émergence d’une économie de proximité. Soit !
Autres réaménagements observés : maison familiale commuée en magasin de bricolage, en débit de boisson, ou encore en cyber café. Tous ont pu obtenir d’en haut les autorisations nécessaires.
En créant des relations conflictuelles entre voisins on peut obtenir une certaine auto-neutralisation "sociale". Jusqu’à quand ?

- les grosses, ensuite :
Celles-là sont réservées aux dignitaires du régime. Le marché étant faussé, ils se sont accaparé de quelques monopoles en vogue : opérateurs téléphoniques pour les uns, unités de fabrication d’huiles pour les autres, ou encore usines de produits chimiques. Pour ces deux derniers cas, la première déverse ses déchets dans le port de Bougie, et la seconde sur la plage d’Azeffoun à quelques mètres des baigneurs. On voit que rien n’arrête les entrepreneurs.
Et vive le libéralisme triomphant !

Le "Casto" d’Akbou
Le tumulte des jours

Tiens, tiens : les écriteaux sont en français et en berbère. En Kabylie, seules ces deux langues ont le vent en poupe. Il y a bien entendu les raisons historiques, mais pas seulement...
L’Etat central a imposé l’arabe à l’école du pays, mais la nouvelle "économie" locale habille sa vitrine en français et aussi en tamazight. Les ingrédients des futurs heurts sont déjà dans la marmite...

La petite ville d’Akbou qui a vu mes premières dragues est maintenant la 3e ville de la Kabylie. Des couples y déambulent main dans la main. Inimaginable il y a 15 ans ! Elle a aussi ses paumés adossés aux murs délavés, ou assis sur des caisses en bordure des rues. Ces jeunes oisifs attendent passivement leur destin et nourrissent l’espoir de l’aventure du rêve occidental.

Les barbus recommencent à avoir pignon sur rue...La loi d’amnistie adoptée l’année dernière leur a manifestement redonné de l’assurance.
Sur les routes, les excès de vitesse sont impressionnants ; tout un chacun cherche à dépasser son prédécesseur, y compris dans des situations très dangereuses : à croire que tous courent vers l’affaire de leur vie... Pourtant une fois la destination atteinte, la nonchalance reprend ses droits.
On ne peut, non plus, ne pas remarquer les versets de coran brodés sur des tapisseries fixées sur les tableaux de bord des taxis et des bus. Néanmoins, les chauffeurs-jockey servent à tout va de la chanson dont le contenu est aux antipodes des religions. Paradoxe quand tu nous tiens...

Dans les restaurants branchés, on peut évidemment avoir comme voisins de table les sempiternels titis tizi-ouziens ou bougiotes. Tout comme on peut caboter à proximité de couples islamiques.
Les gandouras, les hijabs, les bermudas et les décolletés suggestifs se côtoient ainsi de manière paradoxale. Une "lutte des places" sournoise est engagée au sein de la société. Ces contrastes, invraisemblables en ces lieux si exigus m’ont simplement abasourdi.

Concernant l’hôtellerie, on peut avoir bien des surprises.
Un couple de nationalité algérienne non marié ne pourra prétendre à une chambre. L’interprétation zélée du code de la famille peut tourner aisément en mésaventure pour les tourtereaux du pays. Pour être dans la norme islamique, les gérants de tout poil font allégeance aux intégristes. Mais à l’instar des gens du pays, les hôteliers sont tout de même arrangeants. Ils proposent généralement un deal hypocrite : deux chambres contigües au couple algérien. Chacune au nom d’une seule personne...
Mais si le couple est étranger, la "loi" ne s’applique pas : une seule chambre avec un grand lit pour nos tourtereaux comme partout dans le monde - hormis l’Iran et l’Arabie Saoudite bien entendu.

Autrement, toutes les villes (grandes et petites) sont très généreusement animées et on se promène avec plaisir dans certains quartiers. En fait, l’énergie de la jeunesse est à la mesure de sa quête du bonheur. Tant mieux !
En comparaison, les villes occidentales de taille similaire (20 à 50 000 habitants environ) sont tristes à mourir. Ah s’ils le savaient ces jeunes !

Les futurs magasins d’Akbou et les logements des futurs propriétaires au 1er. Une parabole est déjà installée




Gérard LAMARI


Carnet de voyage de Gérard Lamari : première partie
Carnet de voyage de Gérard Lamari : troisième partie
Carnet de voyage de Gérard Lamari : quatrième partie
Carnet de voyage de Gérard Lamari : Cinquième partie
Carnet de voyage de Gérard Lamari : sixième partie



La Kabylie : sur les décombres des Printemps





Messages

  • azul,
    j’ai beaucoup aimé les impressions de M.Lamari mais pas le chapeau de l’article.
    on n’a pas encore fini avec le culte des anciens moudjahidines que vous voulez nous créer celui du mvt 80.
    Chacun a fait ce qu’il a pu et c’est tout.
    Moi-même j’ai distribué des tracts, comme j’ai eu la chance de n’avoir jamais été arrêté je ne suis connu de personne, cela ne me dérange pas du tout, je n’ai fait que ce qui devait se faire et c’est tout, je n’ai aucun mérite et nul ne me doit rien.
    Tout le monde a fait le mvt 80, n’étaient-ce tous ces milliers de manifestants qui avaient bravé le danger et donné de la consistance au mouvement je crois que le pouvoir n’aurait même pas interpellé ceux qu’on nomme communément les 24 détenus.
    n’importe qui aurait pu se trouver parmi les détenus,d’ailleurs tout le monde sait que les 24 ne sont pas tous animateurs.
    bonjour à toute l’équipe de tamazgha.