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De la responsabilité du présent

Cinquième partie

dimanche 1er janvier 2006, par Masin


Une révolution est un retour du factice au réel.
V. Hugo, Les Misérables.


Au jour d’aujourd’hui, les nouvelles qui parviennent de Kabylie sont plus alarmantes que jamais. L’insécurité semble régner en maître, alors que l’image vendue de l’Algérie est celle d’un pays enfin sécurisé et réconcilié. On peut croire que cette impasse politique dans laquelle se trouve la Kabylie va sonner le tocsin pour un retour sur la scène politique locale des partis traditionnels, le RCD et le FFS, et du Mouvement citoyen.

S’il est difficile de pronostiquer quoi que soit, il est en revanche acquis qu’ils ne sont plus maître à bord du bateau kabyle. Le FLN a repris du poil de la bête à Tizi-Ouzou, comme le montre les élections sénatoriales en cette fin d’année 2006 [1]

Le RCD, lui, a tracé sa stratégie politique à venir lors de son université d’été : il réitère l’urgence de déterrer le pôle démocratique, en prévenant le pouvoir du risque sécessionniste kabyle. Il écarte, à croire la rumeur, un de ses dirigeants pour s’être déclaré publiquement pour une option fédéraliste. À la place, les instances du parti discutent d’un État unitaire régionalisé [2], concept dont on ne sait pas encore grand-chose.

Quant au FFS, qui a mis plus d’une semaine pour se prononcer publiquement sur l’assassinat d’un de ses élus, et non des moindres puisqu’il s’agit du président de l’APW de Tizi-Ouzou, il remet sur la table les conséquences de la bipolarisation pouvoir/islamistes, quasi structurelle maintenant. Persistant dans sa cécité politique, il va jusqu’à pourfendre ceux pour qui la Kabylie sort "la vraie perdante de la politique de réconciliation nationale". Il ne ménage pas non plus ceux qui prédisent que "la finale de la crise, avec un vainqueur et un vaincu, se jouera en Kabylie". Le FFS a pourtant habitué l’opinion publique à la thèse de la manipulation par les clans du pouvoir à chaque fois que la Kabylie s’embrase. Est-ce la finale qui effraie ce « plus vieux » parti de l’opposition ? mais qu’attendre d’un parti qui tombe chaque jour dans la déliquescence la plus totale ? [3].

Le Mouvement citoyen, du moins son aile dialoguiste, notamment la CADC de Tizi-Ouzou, prévoit aller vers un parti politique, selon la rumeur estivale. Une chose est presque certaine, l’inscription dans la voie électoraliste est maintenant acquise, à croire les informations qui filtrent des conclaves de la CICB, avec comme programme politique le mémorandum rendu public : une Algérie sociale. (là, on va mettre le lien vers le mémorandum)
En somme, rien de nouveau.

Le moins qu’on puisse dire est qu’on ne mesure pas à sa juste valeur la rupture produite le 14 juin 2001 ?

Quant au Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, s’il semble surfer sur un désir de rupture, palpable au sein de la jeunesse notamment, il n’en a pas, jusqu’à présent, investi dans une stratégie d’organisation sur le terrain [4]. Il semble se contenter de vivre du capital de sympathie de son leader, Ferhat Mehenni.

Syndrome inavoué de l’impuissance ? Stratégies d’évitement devant les prémices d’un prochain Printemps noir ? La classe politique locale semble embarrassée devant une responsabilité d’un présent inconfortable et hasardeux.

Quant à la diaspora kabyle, forte en France et au Canada (Montréal), si elle a le cœur sur la main lors des moments douloureux, elle est incapable, pour l’instant, d’édifier autre chose qu’un mur de lamentations conjoncturel et sporadique. Entre désir d’oubli et devoir de mémoire, entre désir de vivre son individualité et le besoin de vivre une « impossible » fraternité de groupe, les "diasporés" kabyles n’ont pas fini d’aimer la Kabylie sans les Kabyles. La diaspora est assurément à construire !

Dans cette conjoncture délétère, le pouvoir arabo-islamiste d’Alger reprend du poil de la bête pour attaquer la revendication linguistique et identitaire amazighe par son flanc le plus sensible : le choix des caractères de transcription de tamazight, en essayant, sournoisement mais sûrement, d’imposer les caractères arabes.

Ceux de feu le Mouvement culturel berbère (MCB) qui ont longtemps appelé à cantonner la question amazighe à sa stricte dimension culturelle doivent mesurer aujourd’hui le prix de certains renoncements.

Mais le plus menaçant aujourd’hui, ce n’est pas tant les démissions du passé, mais les ruptures d’aujourd’hui. Et la plus perverse d’entre elles, c’est cette impossible communication avec les générations censées prendre la relève, pour toutes les trahisons passées. Mais aussi et surtout rupture dans les référents culturels.

Depuis 1989, la nouvelle génération de militants n’a eu que la surenchère politicienne comme modèle d’argumentation. Et une école totalement arabisée comme modèle de structuration de la pensée. Changement de "paradigmes" dont les conséquences peuvent être désastreuses.


Nora Larfi

Première partie : Sur les décombres des printemps
Deuxième partie : Un voile pour les collines oubliées
Troisième partie : Tizi-Ouzou, la grande braderie
Quatrième partie : Des femmes dans la tourmente

[1Pour les sénatoriales, à Tizi, c’est le candidat RCD qui l’a emporté alors qu’à Bgayet et à Tubiret, ce sont les candidats FLN qui ont gagné. A Boumerdès et à Bordj bou Arreridj.

[2"Après la rencontre de Bouzeguène qui a regroupé les localités de Ath-Ziki, Ath-Idjeur et Illoula, au début du mois en cours, le week-end dernier a été l’occasion pour un peu plus de 250 militants et élus de Tigzirt, réunis à la salle des fêtes, d’écouter religieusement Aïder Arezki et Meziani Mohand, respectivement chargés de l’organique et de la communication. Vulgariser le concept de l’Etat unitaire régionalisé (EUR), un des chapitres de la refondation nationale proposé par le parti de Saïd Sadi, était le but de la première intervention des conférenciers." F.B., Le Soir d’Algérie, du 19 décembre 2006

[3Le FFS vient de perdre la mairie d’Akbou, sans oublier les dernières bastonnades entre militants au siège national.

[4Le MAK a fini par appeler à une marche pour l’Autonomie de la Kabylie le 20 avril 2007, alors que son congrès n’est prévu que pour l’été 2007 !